AyiboPost revient sur cet incident enregistré en mars 2021
Lors d’un voyage de journalistes haïtiens en République Dominicaine du 5 au 7 mars 2021, l’ambassadeur d’Haïti d’alors dans ce pays, Smith Augustin, avait fourni des travailleuses du sexe à certains membres de la délégation.
Le déplacement d’une quinzaine de journalistes haïtiens a été coordonné par la Fondation Zile, dirigée par l’ancien diplomate Edwin Paraison.
De passage à Santo Domingo, les professionnels haïtiens ont rencontré des confrères dominicains et le président Luis Abinader au Palacio Nacional.
Dans la soirée du 6 mars 2021, l’ancien ambassadeur se trouvait autour d’une table au Fiesta Hotel avec quelques journalistes de la délégation haïtienne. La majorité des professionnels de la presse, dont les seniors de la délégation, n’étaient pas présents.
Mais j’étais à cette table ce soir-là quand des journalistes, membres de la délégation, ont fait la demande des travailleuses du sexe. Smith Augustin, accompagné d’un collaborateur de l’ambassade d’Haïti en république voisine, ont eux-mêmes livré les femmes.
Invité à choisir une des jeunes femmes pour passer la soirée, j’ai refusé. Après réflexion, AyiboPost décide de ne pas rendre public le nom des participants pour protéger leur vie privée et ne pas les embarrasser en public.
Lors d’un voyage de journalistes haïtiens en République Dominicaine du 5 au 7 mars 2021, l’ambassadeur d’Haïti d’alors dans ce pays, Smith Augustin, avait fourni des travailleuses du sexe dominicaines à certains membres de la délégation.
Augustin a été contacté avant publication. Il n’a pas fait de commentaires.
Un spécialiste au courant des pratiques consulaires haïtiennes déclare à AyiboPost que la pratique de fournir des femmes dominicaines pour accompagner des responsables et dignitaires haïtiens en déplacement en République Dominicaine remonte au moins à la dictature des Duvalier.
« C’est très courant », m’a déclaré cette semaine un des témoins, insistant que ce genre de « service » permet d’assurer l’appui des médias et des journalistes à leur retour en Haïti.
En République Dominicaine, aucune loi ne régule la prostitution. Donc ni l’ancien ambassadeur, ni les journalistes n’ont commis un acte illégal, selon des experts contactés par AyiboPost.
Cependant, « le fait pour un diplomate en poste à l’étranger d’entretenir des rapports privilégiés avec des prostituées dans le pays d’accueil et de jouer le rôle de démarcheur pour des journalistes auprès de ces femmes de rue est un grave problème d’éthique », analyse l’avocat Samuel Madistin.
Selon le responsable de la Fondation Je Klere, très intéressé par les questions de relations internationales, « l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire auprès d’un État doit, tant dans sa vie privée que publique, veiller à la dignité de sa fonction, au prestige du chef de l’État qu’il représente auprès de son homologue ».
Le fait pour un diplomate en poste à l’étranger d’entretenir des rapports privilégiés avec des prostituées dans le pays d’accueil et de jouer le rôle de démarcheur pour des journalistes auprès de ces femmes de rue est un grave problème d’éthique.
– Samuel Madistin
En se rabaissant de la sorte, poursuit Me Madistin, le diplomate « traîne la dignité de sa fonction dans la boue et s’en rend indigne ».
Patricia Camilien, spécialiste en relations internationales, souligne les implications plus larges de tels actes.
L’échange de cadeaux en nature entre journalistes et les sources et sujets de leurs travaux soulève également des questions éthiques.
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J’ai interviewé l’ancien ambassadeur Augustin lors du déplacement des journalistes haïtiens en République Dominicaine en 2021. Dans son intervention, il a alors nié faire partie du Parti Haïtien Tèt Kale, au pouvoir à l’époque.
L’interview envoyée à Augustin dès sa publication à l’époque était conforme aux enregistrements d’AyiboPost. Ce dernier n’avait soulevé aucune objection quant à son contenu.
Cependant, les supérieurs de l’ancien ambassadeur étaient fâchés contre ses propos rapportés par AyiboPost, selon deux sources au courant de la teneur des échanges.
Au lendemain de la publication, Augustin s’est rendu à la radio pour dire que ses propos avaient été mal interprétés. Cependant, l’interview enregistrée demeure fidèle à la retranscription publiée et disponible sur le site d’AyiboPost.
Lisez l’interview : Échanges avec l’ambassadeur d’Haïti en République Dominicaine
Dans la journée du 6 mars 2021, la délégation des journalistes haïtiens a visité le Palais national dominicain.
Des responsables dominicains avaient auparavant soulevé l’idée d’une rencontre « on the record » avec le président Luis Abinader, ce qui aurait permis aux journalistes haïtiens d’obtenir des réponses pour leurs audiences, par exemple, sur les décisions jugées racistes du président Abinader – comme la construction d’un mur sur la frontière.
Dans le bus qui amenait les journalistes au palais, un responsable a informé la délégation que la rencontre serait « off the record ». J’étais contre toute rencontre en « off » avec le président Abinader. J’ai donc discrètement quitté la salle de réunion quelques secondes après l’arrivée du président dominicain.
Les Dominicains n’ont pas respecté la promesse « off the record ». Après avoir confisqué les matériels d’enregistrement des journalistes haïtiens, ils ont pris des photos de la délégation présente et sorti une note de presse après la rencontre pour dire que des journalistes haïtiens ont « déjeuné » avec le président.
Pourquoi parler de cet incident aujourd’hui ?
J’avais pris des notes contemporaines et prévu de raconter le déroulement du déplacement à une date ultérieure.
À l’époque, j’avais pensé qu’un article sur l’épisode des travailleuses du sexe aurait raisonnablement pu être interprété comme de l’acharnement contre l’ambassadeur après les controverses autour de son interview.
Depuis mars 2024, l’ancien ambassadeur siège au Conseil présidentiel de la transition, un organisme censé pacifier le pays et organiser des élections libres et transparentes.
Un rapport du mois d’octobre de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) recommande de mettre l’action publique en mouvement contre trois conseillers présidentiels, Augustin, Louis Gérald Gilles et Emmanuel Vertilaire, pour leur participation supposée à des actes de corruption.
Ces dignitaires de l’État – qui nient les allégations – sont accusés d’avoir reçu des cartes de crédit de façon irrégulière de l’ancien directeur de la Banque nationale de crédit, Raoul Pascal Pierre-Louis, dans le cadre de démarches engagées par ce dernier pour sa reconduction à la tête de l’institution.
D’après l’ULCC, l’ancien président de la BNC, révoqué depuis, devait rembourser les dépenses engagées sur les cartes en question. Au moins une des cartes, celle de Smith Augustin, a été bloquée pour non-paiement.
C’est aussi la raison pour laquelle AyiboPost revient sur cet incident vieux de trois ans, rendu pertinent dans un contexte de débats sur le comportement de hauts dignitaires de l’État dans l’exercice de leurs fonctions.
Lire aussi : Les dessous du « pacte de corruption » entre des membres du CPT et la BNC
Le contexte global de l’exercice du journalisme en Haïti représente une préoccupation.
Depuis l’assassinat en 2021 de l’ancien président Jovenel Moïse, au moins six journalistes ont été tués dans l’exercice de leur fonction en Haïti, selon un rapport du Comité pour la protection des journalistes.
Le pays se classe troisième parmi les pires endroits où sévit l’impunité pour les assassins de journalistes, selon la même organisation.
De plus, les journalistes haïtiens rencontrent un harcèlement judiciaire, exacerbé par l’absence d’un cadre juridique adéquat pour l’exercice du métier.
Mais un fait particulier retient mon attention dans le débat soulevé par le rapport de l’ULCC.
L’ancien contractuel de l’ambassade d’Haïti en République Dominicaine, accusé d’avoir mis sa chambre de l’hôtel Oasis à disposition des conseilleurs-présidents pour une fameuse rencontre où ces derniers sont accusés d’avoir demandé 100 millions de gourdes au responsable de la banque, s’appelle Lonick Léandre.
Lonick Léandre était aussi le bras droit de Smith Augustin lors de la visite des journalistes de mars 2021 en République Dominicaine.
Il n’a pas pu être joint avant publication.
Image de couverture : L’ancien ambassadeur Smith Augustin s’entretient avec le média El Dia.
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