Les recherches d’AyiboPost révèlent une campagne illégale, non affiliée à la compagnie américaine Target
Un parti politique entreprend une campagne mystérieuse en posant illégalement des affiches dans les rues de la capitale, selon des informations recueillies par AyiboPost. L’image en question imite le logo rouge et blanc de la chaine de magasins américaine Target.
Majoritairement accrochées à des poteaux électriques, ces affiches muettes sont visibles à de nombreux endroits dans l’aire métropolitaine. Elles font peur aux citoyens dans un contexte d’insécurité grave.
Une source proche de Target aux États-Unis déclare à AyiboPost que la compagnie n’est pas associée à l’installation de ses logos à travers Port-au-Prince. La compagnie n’a pas de présence en Haïti et n’a pour le moment aucun plan d’ouvrir une filiale dans le pays. Une page internet avec les prochains magasins de Target a été aussi transférée à AyiboPost : elle ne contient aucune ville en Haïti.
Le service d’affiche de la mairie de Port-au-Prince révèle à AyiboPost qu’il s’agit d’une série de logos posés par un parti politique sans l’autorisation régulière de la municipalité.
Hubert Noël, responsable du service d’affichage et de désaffichage au sein de la mairie de Port-au-Prince, commence à remarquer les affiches à partir de février 2023, une semaine avant la période carnavalesque.
Noël sillonne alors la capitale. Il découvre une quantité importante des affiches à Bourdon, Bois Verna, Champs de Mars et Nazon. Après un état des lieux, la mairie dépêche les agents de terrain du bureau d’affichage et de désaffichage afin de les retirer. « Nous avons enlevé environ 83 d’entre elles ! » témoigne Noël.
Quelque temps après, un certain Grégory Desroches, premier secrétaire de la plateforme politique Bouclier, est venu informer la mairie qu’il s’agissait des affiches de leur parti politique. Ce qui a poussé Hubert Noël à faire des suivis auprès du maire principal, Lucsonne Janvier, en vue de statuer sur la question. À la surprise de Noël, « le maire m’a dit de remettre les affiches à leurs propriétaires ». Selon les propos de Noël, ces affiches sont la propriété du parti politique Bouclier.
Contacté par AyiboPost, le président du parti Bouclier, Prophane Victor, n’a ni confirmé ni infirmé l’implication du parti dans l’installation irrégulière des affiches. «On devait payer pour ça ? se demande-t-il, avant d’ajouter que la mairie est «Bouclier».
En fait, le maire, Lucsonne Janvier, se présente à AyiboPost comme un responsable de Bouclier, lors d’une entrevue réalisée le 7 avril 2023.
Victor Prophane déclare plus loin : « Pour toute question d’affiche, il faut contacter la mairie. Je ne sais pas de quoi vous parlez. Il y a des sujets bien plus importants pour le pays en ce moment ».
Hubert Noël du bureau d’affichage relate qu’un membre du parti Bouclier, employé au sein de la communication de la mairie de Port-au-Prince, a fait mention de la possibilité d’envisager une « régularisation » des affiches de la part du parti afin d’éviter les contraintes. Cependant, il n’a reçu aucune sollicitation en ce sens : « Jusqu’à présent, ces affiches sont illégales dans la rue », poursuit-il.
Si le lien des affiches avec des membres de Bouclier est établi, le nom de la structure politique qui portera le même logo que Target n’est pas connu. Il s’agit de l’emblème de l’embryon « d’un nouveau parti politique, sous la houlette de Grégory Desroches, un ancien membre du parti Bouclier » relate à AyiboPost Lucsonne Janvier, président de la commission municipale de Port-au-Prince.
La plateforme politique Bouclier, très proche du Parti Haïtien Tèt Kale, a compté comme membre l’ancien député Prophane Victor, accusé de contrebande, et l’ancien député Gary Bodeau, sanctionné pour corruption par les États-Unis, alors qu’il était à la tête de la chambre basse. L’homme d’affaires, Steeve Khawly, candidat à la présidence sous la bannière du parti en 2015, est sanctionné par le Canada dans le cadre du régime de sanctions appliquées contre les élites haïtiennes qui supportent l’activité des gangs en Haïti.
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Les affiches de ce mystérieux nouveau parti politique inquiètent des citoyens à Port-au-Prince. Pour Martineau Nelson, professeur de Sémiotique à l’université d’État d’Haïti, « ceux qui manient les armes peuvent remarquer que l’image indique un point de tir. Il pourrait symboliser une mise en garde, car il s’agit d’une zone de tir ».
Le logo, nu, veut créer un suspens et capter l’attention. « C’est une stratégie semblable à celle utilisée lors de la venue de la compagnie de téléphonie mobile Voilà, analyse Louivenson Dasny, graphiste pour l’entreprise de marketing « Affiche-Toi ». Au début, on voyait sur les murs un V sur un fond vert. »
Il faut se rendre au bureau d’affichage et de désaffichage au niveau de la mairie pour obtenir l’autorisation de poser des affiches dans l’espace public. Un processus est préalablement défini et les entreprises doivent payer une contribution, tandis que les organisations à but non lucratif ne payent rien.
Mais les récalcitrants et les puissants dans le secteur politique ignorent souvent les dispositions en vigueur dans les municipalités. Parmi les cas les plus récents, il y a la campagne publicitaire de l’établissement professionnel Innovation Institute en prélude au lancement de sa nouvelle session d’octobre 2022. Cette école professionnelle a investi les murs de la capitale avec ses affichages jaune et rouge sans l’autorisation de la mairie. Mais, les moyens de la mairie ne leur permettent pas de répondre adéquatement : « Vu la quantité de murs qu’occupent les affiches d’Innovation Institute, nous n’avons pas assez de moyens pour les effacer. Ceci nécessiterait un ou deux camions de peinture », déclare Hubert Noël.
Face à cette situation, la mairie a proposé à Innovation Institute un partenariat afin de permettre à quelques jeunes de bénéficier des formations dans l’école, en guise de compensation de leur dette. L’institution n’a pas donné suite à la requête de la mairie.
Jérôme Wendy Norestyl et Widlore Mérancourt
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