POLITIQUE

Douane : nouvelles révélations sur les magouilles de l’ex-député Victor Prophane

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Selon des révélations faites à AyiboPost, l’ancien député avait les douanes dans ses poches et il en faisait bénéficier ses amis

Plus de quatre mois après un bras de fer entre la douane de Port-au-Prince et l’ancien député Victor Prophane, ce dernier a commencé à payer pour des marchandises appartenant à son entreprise. C’est ce qu’a révélé à AyiboPost un cadre de la direction générale des douanes, qui demande l’anonymat, car il n’est pas mandaté par l’institution pour parler en son nom.

Le 18 janvier 2023, Victor Profane a ainsi réglé une première facture d’environ 3,2 millions de gourdes, pour l’un des deux camions saisis par les douanes, pour cause de contrebande. «Ils transportaient des barres de fer, explique notre source. Ils ont été arrêtés à Morne à Cabri. Comme toujours dans la contrebande, les marchandises n’étaient pas au nom de l’importateur. Les factures ont donc été faites au nom des chauffeurs, et les camions placés sous surveillance de la douane.»

Après cette saisie, Victor Prophane est passé à l’Administration générale des douanes (AGD). «Il est venu nous dire que les camions lui appartenaient, essayant de faire du trafic d’influence», poursuit-elle.

L’ancien député aurait menacé de ne pas payer, et de récupérer ses marchandises par la force.

Selon notre source, qui est aussi un haut cadre au sein de la douane, l’ancien député de Petite-Rivière de l’Artibonite aurait menacé de ne pas payer, et de récupérer ses marchandises par la force. «Il est venu plusieurs fois à la douane, rencontrant différentes personnes, proférant des menaces. Mais comme nous n’avons pas cédé, il a commencé à devenir plus raisonnable, cherchant à faire baisser la facture.»

La saga remonte au mois d’août 2022. Lors de vérifications de routine, des inspecteurs des douanes avaient trouvé des armes de grand calibre dans des conteneurs appartenant à l’église épiscopale d’Haïti. Cette découverte avait enclenché un branle-bas à l’AGD, et mené à des vérifications plus approfondies d’autres cargaisons appartenant à d’autres entreprises, dont Celise, qui appartient au président du parti Bouclier, Victor Prophane.

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Parmi les conteneurs qui appartiennent à l’entreprise, des bouteilles d’alcool avaient été retrouvées, sans qu’elles soient pour autant mentionnées dans la déclaration des marchandises faites par Celise. Selon notre source, proche du dossier pour avoir personnellement travaillé dessus, les entreprises Celise ont une dette à payer qui s’élève à plus de 40 millions de gourdes. «Après dix bordereaux impayés, une entreprise ne peut plus importer jusqu’à ce qu’elle les acquitte, et aucune transaction ne peut se faire à son nom à la douane. De plus, tous les dix jours des intérêts légaux de retard s’ajoutent sur ce qu’elle doit payer.»

Selon notre source, les entreprises Celise ont une dette à payer qui s’élève à plus de 40 millions de gourdes.

Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), confirme que l’ancien député Prophane avait tenté d’intimider les douaniers dans leur travail. «J’ai parlé à des personnes qui ont subi ses menaces, explique-t-il. L’ancien député est un homme puissant, impliqué dans le trafic d’armes aussi. Il est un proche de l’ancien directeur Romel Bell.» Romel Bell, ex-directeur de l’APN, a été mis à pied après que des sanctions des États-Unis l’accusent de corruptions considérables.

Joint par AyiboPost, Victor Profane n’a pas souhaité réagir de manière officielle. Il a toutefois apporté un démenti à l’ensemble de ces accusations. «Comme on avait trouvé des armes à l’époque, certaines personnes ont voulu forger un dossier sur moi», affirme-t-il.

L’ancien élu de Petite-Rivière de l’Artibonite a ainsi expliqué que la cargaison de whisky appartenait à une amie à qui il rendait service. Ce n’était pas la première fois, a-t-il précisé.

Pierre Espérance confirme que l’ancien député Prophane avait tenté d’intimider les douaniers dans leur travail.

Bien que Celise n’ait pas un poids considérable comparée à d’autres entreprises haïtiennes importatrices, c’est l’un des acteurs qui importe le plus dans le pays. «Si vous visitez l’entreprise, son stock ne correspond pas à son volume d’importation. Ils avaient pris pour habitude d’importer pour d’autres personnes, pour leur faire bénéficier de prix sous-évalués, grâce à l’emprise de l’ancien député sur la douane. Cette fois nous avons voulu les taxer selon la loi», explique notre source.

Victor Prophane admet qu’il a assez de relations dans l’institution qui auraient pu l’aider à payer moins que ce qu’il fallait. «J’ai été douanier pendant dix-sept ans, et c’est là que j’ai accumulé les contacts, affirme-t-il. J’ai passé des appels pour voir ce qui pourrait se faire pour faire baisser la somme, mais finalement, pour des raisons politiques, on a décidé de me taxer de façon élevée. En réalité, si tout le monde payait la douane comme ils le devraient, personne ne pourrait rien acheter dans le pays tant les prix seraient élevés.»

Les entreprises Celise, plus connues pour l’eau Celise, ont déjà subi des revers à la douane de Port-au-Prince. En 2014, selon un document de l’AGD traitant de la lutte contre la contrebande, Eau Celise faisait partie d’une liste de six entreprises mises sous scellés judiciaires, après des opérations de contrôle de la brigade anti-contrebande.

Victor Prophane admet qu’il a assez de relations dans l’institution qui auraient pu l’aider à payer moins que ce qu’il fallait.

Selon Victor Profane, son entreprise importe surtout des matériaux destinés à fabriquer des bouteilles pour la vente d’eau.

En effet, les barres de fer saisies par la douane ne l’ont pas été sous le nom de Celise, ni au nom de l’ancien député non plus, selon nos sources à la douane. Toutefois, le site Panjiva, l’un des leaders mondiaux dans l’analyse de la chaîne d’approvisionnement globale, retrace des importations de fer, effectuées sous le nom de Celise, provenant de la Turquie et remontant à 2019.

Des personnes impliquées dans la contrebande utilisent souvent cette tactique. Les marchandises importées sont alors dispatchées dans un port intermédiaire, ce qui permet ensuite de faire rentrer dans le pays une partie en contrebande, tandis que l’autre partie est acheminée vers un port officiel.

Le nom de l’ancien député, quant à lui, a maintes fois été cité ces dernières années, et pas toujours pour de bonnes raisons. L’ULCC a ainsi révélé que 44 anciens députés, dont Victor Prophane, n’ont jamais fait leur déclaration de patrimoine, ce qui les rend passibles de sanctions légales comme la perte de certains droits civils et politiques. La déclaration de patrimoine est un instrument permettant de combattre l’enrichissement inexpliqué.

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En 2019, un ancien chef de gang de Petite-Rivière de l’Artibonite, commune pour laquelle Victor Prophane a été élu, avait ainsi accusé le député de l’avoir armé, et d’avoir contribué à faire de lui le bandit qu’il était devenu. Victor Prophane avait nié ces accusations, reprises plus tard par l’ancien Sénateur Youri Latortue contre lui. Il faut signaler que Youri Latortue a été sanctionné à la fois par le Canada et les États-Unis pour son rôle présumé dans la facilitation des activités des gangs en Haïti.

À cause des impayés et de la corruption endémique au niveau de la douane, le gouvernement perd chaque année 600 millions de dollars américains. Ces pertes empochées par des magnats de la politique et du secteur privé s’enregistrent dans un contexte de précarité absolue dans le pays : pour la première fois, le plus haut niveau de faim a été enregistré en Haïti. L’État n’a pas assez de ressources pour investir dans la construction des infrastructures ni pour équiper correctement les forces de l’ordre.

Photo de couverture : Victor Prophane, ancien député et actuel président du parti Bouclier.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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