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Régulièrement, des monuments historiques haïtiens sont intentionnellement détruits

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Le patrimoine bâti se constitue, entre autres, de maisons, des fortifications et des palais historiques. En Haïti, ces monuments ont souvent été détruits par des mains invisibles

La chapelle de Milot qui est partie en fumée le 13 avril dernier a été classée patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Elle fait partie du grand parc historique de la citadelle Laferrière.

Certains ont suspecté que le drame de Milot a été perpétré intentionnellement.

« Pour mettre le feu au dôme de cette chapelle, ce n’est pas une petite affaire. Cela n’est pas arrivé par accident », souligne l’architecte Frédéric Mangonès qui travaillait à la restauration de ce monument au moment où il a été incendié. La même semaine où l’église a pris le feu, la citadelle Laferrière a été aussi vandalisée par des individus non identifiés.

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Si réellement l’événement survenu à la chapelle Immaculée de Milot a été l’œuvre de mains cachées, ce n’est pas la première fois que cela arrive en Haïti.

Selon des professionnels haïtiens œuvrant dans différentes disciplines, plus d’une centaine de monuments nationaux ont été détruits, non par des cataclysmes, mais par l’intervention humaine. L’ancienne cathédrale de Port-au-Prince construite en 1770 est l’un des exemples.

Un coup dur !

Les premières élections démocratiques de décembre 1990 ont porté l’ancien prêtre Jean Bertrand Aristide à la présidence. Roger Lafontant, un ancien ministre de l’Intérieur du régime des Duvalier qui était alors un opposant du nouvel élu a tenté un coup d’État contre lui.

L’ancien ministre duvaliériste a investi le palais national et a séquestré la présidente sortante, Ertha Pascale Trouillot. Ayant appris la nouvelle, une partie de la couche populaire a gagné les rues pour faire échouer le plan de Lafontant. C’est ainsi que l’ancienne cathédrale de Port-au-Prince a été effondrée le 7 janvier 1991.

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Selon l’historien Pierre Buteau, l’ancienne cathédrale a été une vieille église coloniale dont l’histoire a vraiment démarré en 1791.

« Avant le déclenchement de la guerre du Sud, Toussaint Louverture avait tenu dans cette église un discours virulent à l’encontre de son collègue André Rigaud l’accusant de préjugés à caractère raciste. C’est aussi dans cette église que la première constitution de la République d’Haïti a été élaborée en décembre 1806. Elle a eu la première assemblée d’Haïti qui devrait triompher en 1807. »

L’ancienne cathédrale se situait à la Rue Dr Aubry à côté de la cathédrale de Port-au-Prince qui a été détruit par le séisme du 12 janvier 2010. L’historien Buteau révèle que ce monument a été très lié à l’évolution de la foi mystique de la société coloniale et de la société haïtienne.

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« Les présidents y faisaient chanter le Te Deum. Cette église a connu beaucoup d’événements. C’était la maison des personnes de faibles moyens. On y chantait les funérailles des gens qui n’avaient pas de moyens pour se payer de bons offices », explique Pierre Buteau qui ajoute que beaucoup de gens aisés fréquentaient cette église aussi.

« Le drame du 7 janvier 1991 m’a fendu le cœur. Ce n’était vraiment pas nécessaire.  La foule était en colère. C’était une colère fondée, mais les leaders pour lesquels cette masse a gagné les rues qui ne sont pas des êtres fous auraient pu empêcher que cela arrive. L’ancienne cathédrale a été reconstruite par l’Église catholique, mais pas à l’identique à l’ancien bâtiment », déplore l’historien Pierre Buteau.

D’autres drames

L’ancienne église du Môle Saint-Nicolas a été détruite en 1997 sous l’ordre d’un prêtre qui la trouvait trop ancienne. « C’était l’une des plus vieilles églises des Amériques. Le curé qui ne comprenait rien à l’histoire des monuments voulait la détruire pour en construire une autre plus moderne et l’État n’a rien fait pour l’en empêcher. La même année, le prêtre a fait construire une nouvelle église », se souvient Pierre Buteau qui souligne que l’église reconstruite ne reflétait en rien l’ancien bâtiment.

Il n’y a pas que les églises qui ont été victimes des prouesses humaines. Selon Erol Josué, le directeur du Bureau national d’Ethnologie (BNE), le vaudou haïtien a beaucoup subi en ce sens et même beaucoup plus que l’Église catholique.

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« Il y a des péristyles détruits pendant l’occupation américaine, lors des campagnes anti-superstitieuses, qui auraient aujourd’hui plus de cent ans. On a mis le feu dans beaucoup de péristyles dans le Sud et le Sud-Est. C’était une campagne de déshumanisation. C’est ce qui allait donner l’impulsion de Jacques Roumain au BNE. »

Après le départ de Jean Claude Duvalier, il y a eu une autre campagne anti superstitieuse. Selon Erol Josué, des centaines de hounfor (la maison des loas et des esprits) ont été brûlés. « Les chrétiens ont évangélisé des vaudouisants et les ont contraints de brûler leurs hounfors. Alors que ces espaces perpétuaient la mémoire de la société haïtienne depuis l’époque coloniale », se plaint Erol Josué.

Le directeur du BNE ajoute que certains chrétiens haïtiens détruisent leur patrimoine sans le savoir. « À la fin des années 1990, au début de l’an 2000, ils ont mis le feu au Bois Caïman. Or ce bois symbolise l’indépendance d’Haïti. Un tel acte est aussi grave et même beaucoup plus qu’une cathédrale qui part en fumée. C’est la déshumanisation de la société haïtienne », se plaint le directeur.

Le palais national n’est pas exempt 

Pierre Buteau avance que le palais national se trouve à l’emplacement du palais des gouverneurs à l’époque coloniale. Le site n’a jamais changé.

« Ce palais, dit-il, a été incendié 1869 lors de la Grande Guerre des militaires. Finalement c’est aussi dans ce palais qu’a été exécuté le président Sylvain Salnave en janvier 1870. »

C’est sous l’administration de Lysius Salomon qu’on a édifié ce palais qui allait exploser le 8 août 1912. Les opposants du président Cincinnatus Leconte et son petit-fils ont été victimes de cette tragique explosion. C‘est alors qu’on a entrepris l’éruption d’un autre palais sur le même site.

L’ISPAN impuissant 

Les monuments nationaux sont souvent en mauvais état. L’architecte Frédéric Mangonès pense qu’ils ne sont pas protégés comme il le faut. « Il aurait dû avoir des extincteurs à l’église de Milot. »

En Haïti, l’entité publique qui est chargée de conserver le patrimoine bâti est l’Institut de Sauvegarde du patrimoine national (ISPAN).

Selon Patrick Durandisse, directeur de l’Institution, l’ISPAN a un budget de fonctionnement, mais n’a pas un budget d’investissement. « Nous avons des cadres formés dans des universités en Haïti et l’État haïtien a investi dans leur formation à l’Étranger. Mais nous ne pouvons pas les utiliser parce que nous n’avons pas un budget de fonctionnement conséquent. »

En attendant que l’ISPAN ait son budget d’investissement, l’architecte Patrick Durandisse soutient qu’il faut une campagne d’éducation de masse des adultes et des enfants pour qu’ils apprennent à s’approprier les monuments nationaux.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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