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Pourquoi les partis politiques haïtiens doivent être présents sur internet ?

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Dans la première partie de cet article (lien ici), nous avons présenté les résultats d’une petite enquête sur la communication digitale de 83 partis politiques haïtiens. Ces résultats révèlent que sur cet échantillon de partis et regroupements de partis, seulement 2 ont un site web mis à jour, 11 ont une page Facebook active (en considérant que le parti a publié au moins une fois en 2019), 2 ont un compte Twitter actif et 14 ont une page Wikipédia de quelques phrases. Dans cette deuxième partie, nous livrons notre analyse de ces résultats et commentons sur d’éventuelles pistes pour les nouvelles formations politiques issues du #PetroCaribeChallenge.


Les résultats de notre enquête n’étonneront pas les habitués de la politique haïtienne. Car les politiciens haïtiens aiment parlementer à la radio et à la télévision comme partout ailleurs. Stratégie qui peut être payante à courte durée certes puisque : les gens ne travaillent pas et ont du temps pour les écouter, et la grande majorité ne lit pas assez. Mais, à la longue, que retiendra cette audience ? Deux tournées dans les médias (radio et télévision), et des responsables politiques suffisent-elles pour s’enorgueillir d’un succès ? Imposer ses idées se réduit-il uniquement à être l’invité du jour d’un journaliste ou participant d’un programme de radio ?

La radio reste certes le média le plus populaire en Haïti, mais avec l’Internet, et surtout des applications mobiles telles que Facebook, Twitter et WhatsApp, des messages circulent à une vitesse hallucinante

La radio reste certes le média le plus populaire en Haïti, mais avec l’Internet, et surtout des applications mobiles telles que Facebook, Twitter et WhatsApp, des messages circulent à une vitesse hallucinante et restent sur les réseaux. Ceci se différencie de la radio et la télévision où sans rediffusion, les gens ne pourront pas avoir accès aux informations, à moins de les lier aux nouveaux médias. Avec ces apps, les gens sont en contact constant avec les messages, mais les partis semblent totalement l’ignorer.

On peut ne pas savoir lire, mais pouvoir regarder une vidéo sur son téléphone. Le rapport Global Mobile Trends 2018 de l’Association GSM indique que le taux de pénétration de l’Internet mobile en Haïti est juste en dessous des 35 %, pour au moins 6,5 millions de connexions mobiles (en 2017). Les téléphones deviendront des outils privilégiés pour s’informer à mesure que plus de gens vont avoir accès à l’Internet en Haïti. Ce sont des données qu’il faut comprendre et utiliser dans les stratégies de communication politiques. Il faut sérieusement considérer à la fois les médias traditionnels (radio, télévision et journaux papier) et les nouveaux médias.

Selon GSM indique que le taux de pénétration de l’Internet mobile en Haïti est juste en dessous des 35 %, pour au moins 6,5 millions de connexions mobiles (en 2017)

La deuxième observation tout aussi désolante, c’est l’incompréhension des moyens d’accéder à la jeunesse. Il ne suffit plus de dénoncer les tares de la société, d’avancer les erreurs de tel ou tel gouvernant, de prononcer de beaux discours lors des campagnes électorales – ce dont ils sont déjà témoins – mais d’aborder aussi des sujets auxquels ils s’intéressent en utilisant leurs canaux privilégiés. Et surtout les promouvoir. Or, très peu des partis politiques qui devaient s’appuyer sur la jeunesse prennent en compte les nouveaux moyens de communication des jeunes pour vendre leurs idées – quand ils en ont, ils ne les communiquent pas assez, même à leur base.

Enfin, la troisième illusion est de croire que la présence de grandes pontes dans les partis suffit pour leur donner une aura. Cette présence est doublement décevante, car elle devait promouvoir la recherche, les enquêtes dans les communes pour comprendre les desiderata de la population et des publications relatives. Mais, vu la constitution des partis, certains préfèrent les voies faciles : reprendre ce que disent les institutions étrangères et faire une tournée médiatique. D’autres partis attendent de grappiller dans le trésor public pour se faire une santé financière une fois au pouvoir.

Une indifférence marquée par le manque d’institutionnalisation

L’indifférence des partis politiques pour la communication publique (non les entrevues conjoncturelles sur les crises) illustre bien l’observation de Laënnec Hurbon, Alain Gilles et Franklin Midy dans Les partis politiques dans la construction démocratique en Haïti : les partis ne sont pas institutionnalisés. « De nombreux partis sont propriété privée des leaders qui les ont fondés et qui peuvent être hérités alors que d’autres ne connaissent pas d’alternance dans le leadership », écrivent-ils, avant d’ajouter plus loin, « L’indistinction idéologique est, à coup sûr, un handicap majeur à leur crédibilité, car les citoyens-nes ne peuvent qu’hésiter avant d’adhérer à un parti politique. »

« De nombreux partis sont propriété privée des leaders qui les ont fondés et qui peuvent être hérités alors que d’autres ne connaissent pas d’alternance dans le leadership »

Même l’information consultable en ligne sur la majorité des partis haïtiens vient de l’étranger : de la National Democratic Institute, de la Central Intelligence Agency, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés du Canada, des ambassades françaises et américaines… Alors que les partis tirent des pieds quand l’étranger s’immisce dans nos affaires, ils ne se donnent même pas la peine de contrôler leur propre image sur la toile. Or, le meilleur moyen de disposer d’informations fiables sur une institution aujourd’hui, c’est de tenir un site web à jour et de rendre disponible toute documentation y afférente. Des partis qui aspirent à occuper le pouvoir vendent une image de leurs pratiques politiques similaires au fonctionnement du pays.

Le public n’est pas informé du financement de ces partis – ces derniers ne rendent pas disponibles leurs rapports annuels, s’ils en ont. Et même lorsqu’ils ont reçu de l’argent public, ils ne rendent pas de comptes des dépenses effectuées. La grande majorité des partis n’a d’image autre que celle d’amateurs à la hauteur de jeunes adolescents faisant campagne pour diriger le comité central de leur établissement.

La grande majorité des partis n’a d’image autre que celle d’amateurs à la hauteur de jeunes adolescents faisant campagne pour diriger le comité central de leur établissement

Rectifier ou innover

Face à ce constat, les nouvelles formations politiques qui veulent émerger ne doivent pas reproduire les mêmes erreurs. Le fonctionnement de ces entités doit être à l’image du pays qu’ils veulent laisser pour les générations futures, non pas au pays qu’ils ont trouvé. L’exemple doit venir de la pratique institutionnelle déjà établie au sein de son propre parti. Car, comment gérer une multitude d’institutions publiques si l’on ne peut pas gérer une seule censée vous préparer à cet effet ? D’où les tâtonnements quand des équipes montent au pouvoir sans aucune préparation.

L’exemple doit venir de la pratique institutionnelle déjà établie au sein de son propre parti

De plus, transformer un parti en une véritable institution offre des avantages durables à la société à défaut de s’emparer du pouvoir : un parti peut accueillir des stagiaires en sciences politiques, en gestion de réseaux, en communication, en linguistique, en graphisme, en comptabilité ; il montrera l’exemple de transparence et de vision. Il faut des professionnels dans les équipes qui font un travail de recherche, analysent les politiques existantes pour innover et proposer de nouvelles stratégies. Institutionnaliser son parti est sans doute la première arme de revanche ! Si ces professionnels existent déjà, il faut rendre compte de leurs travaux dans des publications électroniques ou imprimées.

L’heure est moins aux revendications politiciennes qu’à une présentation réelle d’une vision sociétale. Trop souvent, les Haïtiens, que ce soit au lendemain des coups d’État militaires depuis 1986, des mandats complétés par René Préval (1998-2001 ; 2006-2012) et Michel Joseph Martelly (2011-2016) n’ont eu qu’à choisir à la dernière minute quelle équipe, quelles idées pourraient représenter l’espoir. Et très souvent, ils se sont fait avoir parce que beaucoup de partis et de regroupements n’émergent que pour participer aux élections.

Les partis et plateformes politiques qui commencent à embrasser la communication digitale sont fortement encouragés. Cependant, il faut placer des professionnels dans ces équipes. Les groupes (politiques ?) qui émergent depuis le #PetroCaribeChallenge (#AyitiNouvleA #NouPapDomi, #Ayiti2054 etc.) l’ont bien compris et misent déjà sur les réseaux pour atteindre plus de jeunes.

Quoi qu’il en soit, que Jovenel Moïse et son équipe quittent le pouvoir ou qu’ils s’y accrochent, comme le veulent les Américains et alliés, il faudra une alternative politique. La vraie. L’on doute fort qu’elle puisse venir des « politicailleurs » en période électorale, de ceux au passé douteux et scandaleux, des corrompus huilés du système actuel… De nouvelles têtes doivent émerger, non pas seulement par leur jeunesse, mais par ce qu’ils peuvent offrir à la nation. Faire comprendre à la population vos idées politiques, en créole ou en français, doit passer par une meilleure stratégie de communication combinant une diversité de canaux.

Yvens Rumbold

Contributeur Ayibopost

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