SOCIÉTÉ

Plus grand rêve, opinion sur la crise, fonction… le chef du vaudou s’exprime

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Carl-Henry Desmornes a été intronisé Ati national le 14 août 2019. Ayibopost l’a rencontré à l’Avenue N dans sa résidence appelée Lakou Ati.

Dans une allée poussiéreuse où deux maçons travaillent se trouve un grand bâtiment peint en blanc. À proximité de l’édifice, il y a une petite cour aménagée de plantes et de fleurs qui laissent entrevoir un décor verdoyant. De petites pierres habillent le sol de la cour qui supporte des chaises alignées tout autour. L’on se trouve dans le jardin de la propriété de l’autorité suprême du vaudou.

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Tout à coup, un homme grisonnant vêtu de blanc portant des colliers de couleurs vives s’amène. C’est Carl-Henry Desmornes. Le visage terne, un regard clair, il s’appuie contre un bâton pour se diriger vers la cour. Le représentant des vodouisants haïtiens a 60 ans. Il a été investi d’un mandat de 7 ans comme « ati national » en août dernier.

Carl-Henry Desmornes est calme. Il pèse les mots avant de les prononcer. Un camion vient livrer des chaises en paille, mais il ne bouge pas. Tout est assuré par des tiers. « Je travaille à l’achèvement de mon peristil. » C’est donc ce qui explique la présence des maçons dans l’entrée de sa maison.

Ati Carl-Henry Desmornes. Photo: Ayibopost / Laura Louis

Qui peut être Ati ?

Le terme « Ati »  signifie sagesse. L’Ati national est le chef suprême des vodouisants. Le houngan confie que pour être Ati, il faut : « Entre autres, être houngan ou mambo, avoir une riche expérience dans le vaudou et de n’avoir pas moins de 50 ans. » Il faut aussi gagner les élections que la Confédération nationale des vodouisants haïtiens (CNVA/KNVA) organise.

Le terme « Ati »  signifie sagesse.

Carl-Henry Desmornes est officiellement la troisième personne ayant accédé au poste d’Ati national. Feu Max Beauvoir a été le premier nommé à ce poste en 2008. Il a occupé la fonction jusqu’à son décès en 2015.

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En 2016, Alcénat Zamort qui allait être le deuxième est mort d’un accident de voiture avant d’être investi. C’est Joseph Fritzner Comas qui a réellement succédé à l’Ati Beauvoir. Trois ans plus tard, soit en février 2019, le tout nouveau chef suprême est destitué. On lui reproche d’avoir violé les principes de la KNVA. Ismaite André a été celui ayant assuré la fonction d’Ati par intérim jusqu’à l’intronisation de Carl-Henry Desmornes.

Qui est l’Ati national ?

Carl-Henry Desmornes s’assoit non sans difficulté à cause des douleurs qu’il a dans les genoux. « Je me suis peut-être cogné les membres inférieurs. Ces jours-ci j’ai des douleurs », se lamente-t-il.

Mais il est dévoué à expliquer les rouages de sa fonction. « Mon plus grand rêve est de reboiser le pays », balance-t-il d’un ton sérieux. Selon ce qu’il laisse entendre, le houngan serait en train de passer de la parole aux actes pour exécuter ses projets.

L’actuel Ati a eu des parcours dans des institutions qui ne sont pas nécessairement vodouisantes. C’est un ancien enfant de chœur qui mène le grand corps du vaudou. « J’ai été catholique. J’ai fait mes études classiques à Saint Louis Gonzague », prononce-t-il d’un sourire narquois.

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Quand il est devenu adulte, Carl-Henry Desmornes a tourné le dos au catholicisme. Cependant, il ne pratiquait pas le vaudou pour autant. « Je faisais quelques rituels, mais j’avais encore beaucoup à apprendre pour devenir vodouisant pratiquant », se rappelle-t-il.

Carl-Henry Desmornes a assuré le management de plusieurs groupes musicaux, dont Zenglen, Mizik Mizik et K-Dans. « Avec Zenglen dit-il, vers les années 1980, j’ai travaillé avec des musiciens comme Garry Didier Perez et Patrick Martineau. »

Ati Carl-Henry Desmornes. Photo: Ayibopost / Laura Louis

Dans les années 1990, Carl-Henry Desmornes a rejoint le groupe Mizik Mizik avec lequel il a travaillé sur « l’album de gèr ». Vers la fin des années 1990, c’était au tour du groupe K-Dans de bénéficier des services de l’actuel Ati national. « J’ai écrit des chansons pour le Groupe. M ap chill est l’une de mes compositions. »

« Les vodouisants prennent soin de moi, soutient-il. Je ne paie rien. Il est une valeur pour les vodouisants de s’entraider. »

L’année 1998 a marqué la fin de la carrière de Carl-Henry Desmornes dans le compas. « J’ai perdu ma femme. Cela a été un grand choc pour moi. Je me suis dit que je devais voir la société dans d’autres lunettes. »

Il a commencé à côtoyer les mambos et les houngans. Puis, il s’est lancé dans la radio diffusion. Il est le PDG de la station Planèt Kreyol. « J’ai acquis des connaissances et j’ai grandi dans le vaudou », affirme-t-il fièrement.

 Quelles sont les responsabilités d’un Ati ?

L’Ati national doit être disponible pour tous les vodouisants. « J’ai même laissé mes entreprises. J’ai confié la gestion de la radio Planet kreyòl à mon fils. Je suis entièrement consacré aux causes du vaudou. »

L’Ati n’est pas rémunéré, mais il ne manque de rien. « Les vodouisants prennent soin de moi, soutient-il. Je ne paie rien. Il est une valeur pour les vodouisants de s’entraider. »

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Ce qui n’empêche pas au chef des vodouisants de vouloir changer la donne. «Durant mon mandat, je compte entreprendre des démarches pour que celle ou celui qui aura à me succéder dispose d’un budget. L’Ati doit avoir à sa disposition des fonds pour réaliser des projets qui reflètent les ambitions des vodouisants. Nous avons besoin des moyens pour construire des temples et d’autres réalisations encore. »

Comment l’Ati voit la crise actuelle ?

Carl-Henry avoue que le vaudou, comme toute religion, regorge d’imposteurs. « Je veux stopper les pratiques qui discréditent le vaudou », déclare-t-il avant de confier que dans sa fonction, l’Ati n’a pas le droit d’employer des manœuvres coercitives. « Je peux parler, exhorter, mais je n’ai pas le droit d’expulser. Il va falloir trouver un moyen, car nous avons besoin de mettre de l’ordre dans le lakou », ajoute-t-il.

 Selon Carl-Henry Desmornes le pays est plongé dans cette crise sans précédent parce que la nation a renié ce qui fait sa force, c’est-à-dire le vaudou.

« EN 1791 les esclaves ont fait la cérémonie du bois Caïman. Treize années plus tard (13 ans représentent très peu de temps dans l’Histoire), ils ont été libérés. Nous n’avons pas compris qu’il fallait rester au service des loas », lance l’Ati national qui propose aux haïtiens de renouer avec les pratiques vodouesques.

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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