Cette recrudescence de la maladie survient dans un contexte où quatre des six centres de prise en charge de l’Ouest se trouvent dans des zones contrôlées par des gangs
L’homme verse du chlore, dose après dose, dans les seaux des habitants venus s’approvisionner au réservoir communautaire, dans la localité de Diègue en ce lundi du mois d’Octobre.
Dans ce quartier de Pétion-ville, où Lucson travaille depuis cinq mois à la désinfection de l’eau pour le compte d’une ONG, l’inquiétude se lit sur le visage des résidents après le recensement de plusieurs dizaines de cas suspects de choléra entre septembre et octobre.

L’agent de terrain Lucson verse du chlore dans les seaux des habitants venus s’approvisionner dans le réservoir communautaire. Photos: Jean Feguens Regala pour AyiboPost. Octobre 2025
Selon les données partielles de la Direction sanitaire de l’Ouest, 287 cas suspects de la bactérie ont été recensés entre le 7 septembre et le 21 octobre 2025, dans les quartiers de Pèlerin 5, Bristou, Bobin, Peguy-Ville, Diègue, Nerette, Girardo, Jalousie et la Route de Frères.
Ces chiffres risquent d’augmenter en marge du passage de l’ouragan Mélissa.
Le recensement des nouveaux cas de choléra à Port-au-Prince s’inscrit dans un contexte marqué, d’une part, par la localisation de quatre des six centres de prise en charge du département de l’Ouest dans des zones sous contrôle des gangs, et, d’autre part, par la persistance d’une précarité sanitaire et hygiénique dans plusieurs quartiers de la capitale.

Un homme lave son récipient dans le lit de la rivière avant de le remplir. Photos: Jean Feguens Regala pour AyiboPost. Octobre 2025
En avril 2025, des dizaines de cas de choléra ont été recensés dans des camps de déplacés dans la zone métropolitaine.
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Le 14 octobre 2025, AyiboPost s’est rendu à Diègue, à environ trois kilomètres de Pétion-Ville, où près d’une dizaine de cas ont été confirmés.
Autour du réservoir communautaire où Lucson désinfecte l’eau des riverains, une quinzaine de personnes attendent leur tour, bidons et seaux en main.
Un peu plus loin, une femme âgée, visiblement affaiblie, est assise à même le sol, les mains sur le visage. Elle dit n’avoir pas dormi de la nuit à cause de malaises persistants et de symptômes liés au choléra. Sa voix est faible, presque inaudible.

Une dame assise, le visage pâle. Elle dit avoir ressenti des symptômes du choléra. Photos: Jean Feguens Regala pour AyiboPost. Octobre 2025
Les riverains présents dénoncent la mauvaise gestion du réservoir, estimant la qualité de l’eau précaire.
« L’eau n’est pas bien captée. La seule réserve dont on dispose dans la zone provient directement de la source. Quand le ravin où se trouve cette source est pollué, l’eau que nous récupérons dans le réservoir l’est aussi », explique Duvert Jean Lefabre, habitant de la zone depuis un an.
Déplacé de Carrefour-Feuilles à cause des violences de gangs, il s’est installé ici, où il tente tant bien que mal de reconstruire son quotidien.
« On n’avait pas l’habitude de voir cette maladie dans la zone. C’est venu d’un coup, et depuis, elle fait des ravages », raconte Rodrigue Val, père de famille installé à Diègue depuis cinq ans.
Situé sur le flanc des mornes, le quartier de Diègue s’est développé de manière anarchique, avec des habitations précaires construites sur de petites parcelles.
Les habitants ne disposent d’aucune infrastructure formelle pour le traitement de l’eau et les conditions d’hygiène demeurent préoccupantes.
Plusieurs habitants de la zone affirment avoir observé une augmentation des cas de personnes présentant des symptômes apparentés au choléra.
La plupart expliquent qu’ils s’approvisionnent au réservoir communautaire disponible dans la zone, ou directement à la source située à proximité, pour leur consommation quotidienne.

Des habitants reviennent du réservoir avec leurs récipients pleins. Photos: Jean Feguens Regala pour AyiboPost. Octobre 2025
« On n’avait pas l’habitude de voir cette maladie dans la zone. C’est venu d’un coup, et depuis, elle fait des ravages », raconte Rodrigue Val, père de famille installé à Diègue depuis cinq ans.
Val venait tout juste de quitter un centre de santé du quartier après plusieurs jours d’hospitalisation à cause du choléra. L’homme, encore affaibli, affirme ne pas s’être complètement remis.
Aujourd’hui, il vit avec sa famille sous une tente et a creusé lui-même artisanalement une fosse pour leurs besoins.
De son côté, Lefabre, maçon et résident du quartier rencontré par AyiboPost, explique que plusieurs résidents de la zone ont dû fuir la violence des gangs dans leurs quartiers.
La plupart d’entr’eux sont installés dans des conditions précaires, sans aménagement.
Selon Lefabre, la majorité des familles n’ont pas de toilettes et doivent improviser pour leurs besoins. « Les latrines sont construites n’importe comment, avec ce qu’on trouve sur place », explique-t-il.
Dieudonné Léclerc, un autre habitant de la zone, a fui Kenscoff sous la menace des gangs il y a huit mois et s’est installé avec ses cinq proches à Diègue.
« Quand les bandits nous ont chassés, nous avons dû chercher un espace où nous installer. Les habitants de la zone nous ont indiqué un terrain, et nous y avons construit notre abri », raconte-t-il.
Joint par AyiboPost, le Dr Valery Paul, chef du service de statistiques et d’épidémiologie à la Direction sanitaire de l’Ouest (DSO), explique que le foyer de cette nouvelle flambée de choléra se trouve dans la localité de Bristou, située à environ 1,4 km du centre de Pétion-Ville.
Entre le 7 septembre et le 19 octobre, près d’une cinquantaine de cas suspects y ont été recensés.
La propagation s’est ensuite étendue vers la localité de Diègue, où 85 cas suspects ont été signalés, poursuit le Dr Paul.
Le principal facteur, selon lui, serait la contamination de la source d’eau utilisée par les habitants.

Deux femmes récupèrent de l’eau dans un captage. Photos: Jean Feguens Regala pour AyiboPost. Octobre 2025
« Parmi les trois sources d’eau de la zone, celle qui est la plus fréquentée est située en contrebas d’un espace où des latrines ont été construites, ce qui a favorisé la propagation de la maladie », explique-t-il.
Depuis la réapparition du choléra en 2022, après trois années durant lesquelles la maladie avait été déclarée à incidence zéro chez l’homme, des flambées continuent de survenir régulièrement dans différentes zones du pays.
En mai 2023, plusieurs localités de Pétion-Ville — notamment Jalousie et Tèt Dlo — avaient déjà enregistré 1 644 cas suspects, selon les données de la Direction sanitaire de l’Ouest du ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP).
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Le Dr Paul indique qu’entre septembre et octobre, six décès ont été enregistrés dans les structures de santé et onze autres au niveau communautaire.
« Dans le contexte d’instabilité sociopolitique que traverse le pays, parler d’élimination du choléra n’est pas pour demain », déclare le Dr Valery Paul à AyiboPost, précisant qu’au cours des deux dernières semaines, les alertes ont diminué par rapport au pic observé en septembre dans les quartiers de Pétion-Ville mentionnés précédemment.
Mais le médecin appelle à la prudence: La diminution des cas n’implique pas la disparition de la maladie.
Selon lui, la prise en charge médicale, l’amélioration des infrastructures d’hygiène et d’assainissement, l’engagement communautaire et l’éducation, la surveillance épidémiologique ainsi que la vaccination constituent les principaux axes d’interventions complémentaires dans la lutte contre le choléra dans le pays.
Ces axes nécessitent une collaboration étroite entre des institutions locales et internationales.
« Dans les jours à venir, le MSPP prévoit de lancer une campagne de vaccination afin de renforcer la lutte contre la maladie », précise le Dr Paul, qui affirme que malgré les flambées observées, le ministère reste mobilisé pour limiter la propagation du choléra.
Bien que les autorités disent observer une diminution des alertes pour la maladie ces derniers jours, la vigilance reste de mise.
« L’évolution reste irrégulière, précise le Dr Paul. Les flambées de choléra surviennent surtout pendant la saison des pluies — entre septembre et novembre — lorsque les conditions sanitaires se dégradent davantage. » explique t-il à AyiboPost.
Par: Jean Feguens Regala et Lucnise Duquereste
Couverture | Des habitants font leur lessive tout près du réservoir où l’eau de la source est captée. Photos: Jean Feguens Regala pour AyiboPost. Octobre 2025
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