1 644 cas suspects de choléra ont été dénombrés jusqu’au 7 mai 2023 dans les hauteurs de Pétion-ville, rapporte la direction sanitaire de l’Ouest du MSPP
Des quartiers de Pétion-Ville, tels que Jalousie, Tèt dlo et Pèlerin 1, font face à une recrudescence des cas confirmés de choléra, selon le décompte fait à AyiboPost par des organisations directement impliquées dans la prise en charge des malades.
L’institution non gouvernementale Médecins Sans Frontières (MSF) dénombre plusieurs décès dont des enfants en bas-âge.
Selon le rapport mensuel de la direction sanitaire de l’Ouest du ministère de la Santé publique et de la population (MSPP), 1 644 cas suspects de choléra ont été dénombrés jusqu’au 7 mai 2023 dans les hauteurs de Pétion-ville. Les habitants de ces zones appellent l’État à la rescousse.
«Plusieurs centaines de personnes ont été contaminées», estime Altidor Cocelito, un habitant de Tèt dlo.
Bon nombre des personnes touchées par la bactérie proviennent également de plusieurs autres quartiers de la capitale tels que le centre-ville et le Champ-de-Mars à Port-au-Prince.
Les cas repérés proviennent en grande partie de la commune de Pétion-ville, plus précisément de Jalousie, l’un des plus grands bidonvilles de cette région avec près de 45 000 habitants. C’est ce que constate Camelin Adozo, un médecin de MSF. Il met l’emphase sur le fait que bon nombre des personnes touchées par la bactérie proviennent également de plusieurs autres quartiers de la capitale tels que le centre-ville et le Champ-de-Mars à Port-au-Prince. «Mais c’est Jalousie qui est le foyer principal», précise-t-il.
Daphney Calixte est une infirmière affectée à la réception au Centre Juvénat à Pétion-ville. Elle indique que l’institution a commencé à recevoir des cas suspects le samedi 22 avril 2023. «Depuis ce jour-là, 26 personnes sont arrivées avec une diarrhée aqueuse», souligne la professionnelle qui est également responsable des rapports statistiques. Parmi les nombreux patients admis en urgence au centre, cinq décès ont été enregistrés, dont une adolescente de dix-sept ans et des enfants âgés de un à quatre ans, précise-t-elle.
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À Tèt Dlo, une localité de Pétion-Ville, des maisons délabrées peinent à tenir debout dans l’échancrure des mornes. Cette contrée est traversée par la ravine «Galèt Grantwou» qui est devenue le réceptacle de piles d’immondices et de déchets en plastique de la communauté. La localité compte presque cinq points fixes de traitement d’eau.

Un des «rega» de la zone Tèt Dlo en mauvais état, avril 2023 | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Une vue de l’intérieur de «rega» en mauvais état. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
Selon des habitants de la zone, parmi lesquels Altidor Cocelito, les points fixes non entretenus par les autorités compétentes sont remblayés en saison de pluie, et les averses, lorsqu’il y en a, mélangées aux détritus de la ravine, se mêlent aux eaux des robinets pour causer de nombreuses maladies chez les riverains, telles que des éruptions de pustules pour les personnes à grande sensibilité. «C’est très grave», se plaint Cocelito.

Une vue de la ravine «Galèt Grantwou», dans la localité Tèt Dlo, avec des tuyaux d’alimentation d’eau, Avril 2023 | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
Les conditions déplorables de la population, dont certains ne disposent pas d’une latrine et défèquent dans des sachets en plastique qu’ils déversent par la suite dans la ravine, ainsi que l’eau non purifiée au chlore, sont parmi les facteurs d’insalubrité qui expliquent cette vague accrue de choléra.
Dans la localité de Tèt dlo à Pétion-Ville, les monticules de détritus sont à ciel ouvert, les saletés et les robinets qui débitent une eau non potable sont le décor sur lequel se joue la dure réalité des habitants, selon les constats sur place d’AyiboPost.

Une vue de l’environnement du réservoir de distribution d’eau de la DINEPA à Tèt dlo, Pétion-Ville, Avril 2023. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
Guerrier, un habitant de la zone, évoque également des centaines de personnes contaminées dans les hauteurs. Il déplore l’ignorance dans laquelle les habitants s’enferment parfois : «Beaucoup de personnes qui ont contracté la bactérie n’en sont pas conscientes et pensent souvent qu’il s’agit d’attaques de nature mystique». Cette croyance, selon Guerrier, les empêche de prendre des mesures préventives.
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«Ce dont nous avons besoin ici, c’est d’une campagne de sensibilisation par porte-voix, de la distribution de kits d’hygiène, d’antibiotiques et de sels de réhydratation orale», analyse Mackendy, un riverain qui remarque que les conditions de vente de nourriture dans des charrettes, souvent sans couvercle, contribuent également à cette nouvelle vague.

Un habitant du quartier Tèt Dlo fait visiter les différents points d’eau de la zone, avril 2023 | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
Altidor Cocelito lance un appel vibrant à la Direction nationale de l’Eau potable et de l’Assainissement (DINEPA) qui, selon lui, boude totalement les besoins de la commune.
Cette recrudescence des cas confirmés de choléra ajoute d’autres zones d’ombre dans un tableau déjà trop noir de précarités sociales sur fond d’insécurité grave.
«À cause de cette négligence d’assainissement, en période de pluie diluvienne, l’eau qui coule dans le robinet des habitants a souvent la même coloration que celle de la ravine. Quand on s’aventure à la boire, on y trouve des bribes de charbon et des matières en plastique », soutient Altidor Cocelito.

Un enfant se lave les mains avant de boire de l’eau du robinet, à Tèt Dlo, avril 2023 | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
Le directeur de la DINEPA contacté par AyiboPost n’a pas voulu réagir.
Cette recrudescence des cas confirmés de choléra ajoute d’autres zones d’ombre dans un tableau déjà trop noir de précarités sociales sur fond d’insécurité grave. «L’érection de barricades dans les artères de Port-au-Prince ne nous a pas facilité les choses », analyse Josaphat Joseph, parent d’une personne contaminée. Immacula Pierre, une patiente au Centre de Turgeau, lance une instance aux autorités et organismes d’aide. « C’est très difficile de faire la prévention adéquate quand on n’est plus en mesure de joindre les deux bouts.»

Un garçon boit l’eau du robinet, à Tèt Dlo, avril 2023 | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
Le choléra, causé par une toxi-infection entérique due à la bactérie «vibrio cholerae» parfois appelée «bacille virgule», a frappé de plein fouet Haïti en 2010. Avec des signes cliniques comme une poussée diarrhéique aiguë, des élans de vomissements et des crampes musculaires qui débouchent à la longue sur une déshydratation sévère, il est à ce jour l’une des plus grandes catastrophes sanitaires à avoir frappé le pays, avec près de 820 000 personnes infectées et 10 000 décès en août 2016, selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’enfance (UNICEF).
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Les vibrions du choléra qui ont un tropisme exclusivement digestif touchent aussi les enfants. «J’ai été obligée de rappliquer dans le centre avec mon bébé de deux ans après des épisodes de diarrhées intenses », relate à AyiboPost Mézier Olguine, une vingtenaire rencontré à Turgeau le 28 avril 2023.
Le Centre de Turgeau, qui héberge une unité de traitement et de prise en charge, dispose d’une capacité de dix lits et quinze chaises. Les personnes positives au «vibrio cholerae» y arrivent en catastrophe et souvent très mal-en-point. Trois tentes spécialisées aux motifs de prévention, munies de chaises en plastique dont les sièges troués s’ouvrent sur des seaux aseptisés au chlore pour les selles, sont aménagées. Une dizaine de patients y élisent partiellement domicile et reçoivent les traitements que nécessitent leurs cas, sous l’œil vigilant des infirmières et des médecins de l’organisation.
Les vibrions du choléra qui ont un tropisme exclusivement digestif touchent aussi les enfants.
Un des convalescents, Atilus Jean Pierre, qui crèche à Pèlerin 1, affirme à AyiboPost que les hauteurs de Pétion-ville croulent pratiquement sous cette nouvelle vague de choléra. L’homme déplore la mort de sa femme, Céline Michelle, des suites de la bactérie qu’il impute aux responsables de l’hôpital Eliazar Germain qui, à cause d’une grève et des incuries administratives, n’ont pas fait la prise en charge adéquate. «Ils ont renvoyé ma femme chez elle sans ménagement, après les 8 600 gourdes que j’ai déboursées pour sa prise en charge, alors qu’elle était mourante », se plaint Attilus. Contactée par AyiboPost, la directrice de l’hôpital Eliazar Germain n’a pas voulu réagir. Elle déclare que parler aux journalistes ne rentre pas dans ses attributions.

Une vue de l’espace de prise en charge des infectés du choléra, à MSF de Turgeau, avril 2023 | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
La situation de la population n’a guère évolué depuis la première vague meurtrière du choléra en 2010. Les occupants des bidonvilles continuent de vivre dans des conditions sanitaires inadéquates. Ils conjuguent avec des installations sanitaires défaillantes et un manque d’accès à l’eau potable. Selon l’ONU, en mars 2016, 72 % des Haïtiens étaient dépourvus de toilettes et 42 % n’avaient pas accès à l’eau potable. 35 % de la population, soit 1,7 million d’habitants sur les cinq millions qui vivent en milieu urbain, risquent des maladies hydriques, à cause de la forte concentration démographique.
Le choléra a fait surface en 2010 au nord de la capitale sur les berges de la rivière Meye, à quelques encablures de Mirebalais. En 2016, une nouvelle vague s’est déclenchée à la suite des dégâts causés par le passage de l’ouragan Matthew dans le sud. Avec des efforts conjugués de l’État et des organisations non gouvernementales, il a été contenu. Aucun cas de choléra n’a été détecté en février 2019 et les autorités haïtiennes se sont enorgueillies de l’élimination totale de l’épidémie en février 2022.
Après cette embellie, le 2 octobre 2022, soit trois ans sans le moindre cas confirmé, le MSPP a signalé deux cas de «vibrio cholerae» dans la zone métropolitaine. Dans la foulée, la direction d’épidémiologie, des laboratoires et de la recherche (DELR) du MSPP a recensé le 12 avril 2023 1 370 cas confirmés dans l’Ouest et 219 décès communautaires.
Par Junior Legrand
Jean Feguens Regala a participé à ce reportage.
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