SOCIÉTÉ

L’enfant affiche des symptômes du choléra. Ses parents ont voulu l’emmener à l’église.

0

Deux jours après l’annonce de la réapparition du choléra à Decayette, la localité ne semble pas préoccupée par la maladie

Read this piece in English

La fillette de Savane Pistache vomissait. Ses jambes n’étaient plus assez fortes pour la soutenir.

Dans la matinée du jeudi 29 septembre 2022, ses parents prennent la décision de l’emmener… dans une cellule de prière.

Des voisins s’y opposent. Et sous leur insistance, l’enfant âgée d’une quinzaine d’années, visiblement déshydratée, est emmenée au centre de santé communautaire de Decayette, explique Faustin Philter, le responsable de l’établissement.

Ce n’était pas le bout du chemin, cependant. Dépourvu d’équipements médicaux, sans médicaments, sérums, etc., le centre avec sa seule infirmière n’a pas pu prendre la patiente en charge.

« On a fait appel à Médecins Sans Frontières », continue Faustin Philter. À cause du blocage des routes par les gangs, la patiente a été transportée à MSF sur une motocyclette, informe le directeur qui n’a pas voulu révéler l’identité de la patiente.

Deux jours après, le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) confirme la présence du choléra à Savane Pistache (Decayette) et dans le quartier de Brooklyn à Cité Soleil.

La maladie a été introduite en Haïti en 2010, par des soldats népalais d’un contingent de l’Organisation des Nations Unies.

Lire aussi : Choléragate: le séisme, le climat et l’environnement avaient bon dos

En février de cette année, le MSPP avait organisé une cérémonie marquant l’élimination officielle du choléra en Haïti. Le dernier cas confirmé, avant cette soudaine réapparition, remonte à février 2019.

« À l’heure actuelle, les services d’urgences du MSPP sont en train d’être réactivés pour trouver les causes de la nouvelle résurgence dans les foyers déjà identifiés », rassure le docteur Lauré Adrien, directeur général du MSPP.

Un expert bien impliqué dans la lutte contre les maladies infectieuses évoque pour AyiboPost trois hypothèses pour expliquer les cas récents de choléra en Haïti. La première reste la thèse d’une présence de la bactérie dans la nature. Une mutation de vibrions non toxigéniques, bien qu’improbable, n’est pas à écarter. Ensuite, la maladie peut avoir été réintroduite volontairement ou involontairement. Il ne faut pas non plus écarter une faille dans le système de surveillance mis en place après 2010.

D’autres facteurs semblent avoir joué un rôle. Selon l’expert, qui demande l’anonymat afin d’éviter des répercussions politiques, les bailleurs et responsables de la santé en Haïti ont totalement négligé après 2010 la prise en charge communautaire, qui inclut notamment des investissements dans l’assainissement. Ils ont préféré la prise en charge dans les centres de traitement de choléra pour des raisons de « publicité ».

« Haïti reste un pays vulnérable, même après une élimination du choléra », à cause du problème d’accès à l’eau potable et l’absence d’infrastructures sanitaires solides. La faible couverture en vaccin pour la rougeole, la polio et le tétanos néonatal fait aussi courir à Haïti le risque de la résurgence de ces maladies.

À Savane Pistache de Decayette, la population ne s’affole pas, constate AyiboPost le lundi 3 octobre 2022. Il n’y a pas de kiosques de lavage des mains ni de campagne de sensibilisation dans la localité.

« J’étais informé du nouveau cas confirmé ce matin, sur les ondes d’une radio, lâche Raphaël Bristol, un notable de Savane Pistache. J’étais un peu choqué d’apprendre qu’il a été recensé dans ma zone. »

« À l’heure actuelle, les services d’urgences du MSPP sont en train d’être réactivés pour trouver les causes de la nouvelle résurgence dans les foyers déjà identifiés », rassure le docteur Lauré Adrien, directeur général du MSPP.

La communauté fait présentement face à un manque criant en eau potable. « Depuis le commencement des troubles sociopolitiques du pays, les camions ne peuvent plus nous apporter de l’eau, se plaint Raphaël Bristol. Cette situation a fait grimper le prix d’un récipient d’eau à 35 gourdes. Le cinq gallons d’eau traitée par osmose inverse vendue dans les kiosques coûte entre 100 à 125 gourdes », dit-il.

Cléenta, une marchande au marché de la Savane Pistache, opine du chef. « Les déchets sont rarement collectés et la zone est devenue très poussiéreuse à cause de la détérioration et la fréquentation excessive de la route principale » rajoute la dame.

À cause de l’insécurité à Martissant, la circulation à Savane Pistache a augmenté. Les passants utilisent la route de Ti kajou, pour se rendre à Carrefour et dans d’autres villes dans la partie sud du pays.

L’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) rapporte la confirmation de deux cas de choléra en Haïti. Sept décès et une vingtaine de cas suspects sont en train d’être investigués.

Lire aussi : Le choléra a disparu d’Haïti, confirment des experts

Au 3 octobre, Médecins Sans Frontières a admis 68 patients dans ses installations de Brooklyn (Cité Soleil) et de Turgeau. Parmi les malades, un enfant de trois ans est décédé.

MSF a ouvert un centre de traitement du choléra (CTC) de 10 lits dans le quartier de Brooklyn, un CTC de 20 lits au centre d’urgence MSF de Turgeau et un CTC de 50 lits à l’hôpital MSF de Cité Soleil, ainsi que divers points de distribution de solution de réhydratation orale (SRO).

Le CTC de Cité Soleil est prêt à recevoir de nouveaux malades du choléra, alors que les autres unités ont déjà atteint leur capacité maximale, selon le site internet de l’organisation.

Dans une déclaration rendue publique aujourd’hui 4 octobre, l’ONU se dit prête à déployer des équipes d’intervention d’urgence pour soutenir les communautés touchées dès qu’un accès sûr est assuré et que les approvisionnements en carburant sont débloqués.

Selon le directeur du centre de santé de la Savane Pistache, Faustin Philter, l’état de santé de la petite fille est stable. Elle est rentrée chez elle après l’intervention des médecins.

Widlore Mérancourt a participé à ce reportage.

Photo de couverture : © 2011- Photo credits: EU/ECHO/Evelyn Hockstein

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

Comments