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Le choléra a disparu d’Haïti, confirment des experts

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Le choléra a fait près de 800000 victimes en Haïti. Neuf ans après les débuts de l’épidémie, Jean-Hugues Henrys, médecin qui a pris part à la lutte contre le choléra, affirme que la maladie a complètement disparu du pays.

À la mi-octobre de l’année 2010, à Meille, une petite localité de la commune de Mirebalais, un patient atteint d’une diarrhée aiguë décède. Quelque temps après, l’hôpital de Mirebalais recense près de 300 malades par jour souffrant de diarrhée. Le laboratoire du ministère de la Santé publique et de la Population analyse les échantillons qui lui sont envoyés. Les résultats sont concluants : il s’agit de bactérie du choléra, le vibrion cholerae.

C’est le début d’une épidémie qui dure des années, et qui fait près de 800 000 victimes, dont des morts par milliers. Bien des polémiques seront soulevées quant à l’origine de la maladie. 9 ans après le début de l’épidémie, Renaud Piarroux, expert du choléra mandaté en 2010 par le gouvernement haïtien, pour enquêter sur l’épidémie, déclare que le choléra a disparu d’Haïti.

Jean-Hugues Henrys, doyen de la faculté de médecine de l’Université Notre-Dame d’Haïti, était un collaborateur de Piarroux dans l’enquête sur l’épidémie. Il est lui aussi formel. « En l’état actuel, il n’y a plus de choléra en Haïti, dit-il catégoriquement. Je me base sur deux faits pour l’affirmer. Premièrement, depuis le 4 février 2019, nous n’avons recensé aucun cas confirmé de choléra. Deuxièmement, le choléra n’est pas une maladie qu’on peut cacher. S’il y avait eu des cas, on en serait avertis. »

De février à juin, sur 571 cas de diarrhée suspecte analysés, aucun ne montre la présence du vibrion cholerae, la bactérie du choléra. C’est la preuve, selon ces deux spécialistes, que la maladie a disparu. Jean-Hugues Henrys balaye d’un revers de main les arguments qui font croire qu’il faut au moins deux ans d’absence de cas, pour parler d’éradication. « Il n’y a aucune base scientifique à cela, explique-t-il. Aucune étude ne l’a démontré. Il faut certes rester vigilants, parce que la maladie peut être introduite à nouveau, mais pour le moment, il a disparu du pays. »

Pour Jean Hugues Henrys et Renaud Piarroux, cette absence de cas ne doit pas empêcher la poursuite de la politique contre le choléra. Cette politique, d’après eux doit évoluer pour prendre en compte les enjeux sanitaires. « C’est une honte pour nous, en tant que peuple, qu’en 2010, des gens buvaient encore de l’eau directement d’un fleuve. Si vous déversez dans un autre pays la même quantité de bactériedu choléra déversée dans le fleuve Artibonite, il n’y aura probablement pas d’épidémie de choléra dans ce pays », déplore le médecin.

La vaccination n’est pas nécessaire

Actuellement, il existerait certaines pressions internationales pour une campagne de vaccination en Haïti, contre le choléra. Selon Jean-Hugues Henrys, il n’y a aucune urgence à administrer un vaccin préventif contre le choléra dans le pays. « Vers 1991, le choléra a été introduit en Amérique latine. Au début des années 2000, il a été éradiqué, et ce n’était pas grâce à la vaccination », explique-t-il.

Vers 1991, le choléra a été introduit en Amérique latine. Au début des années 2000, il a été éradiqué, et ce n’était pas grâce à la vaccination 

C’est aussi ce que pense Zephyrin Nathan, conseiller technique responsable du suivi et de l’évaluation, au sein de la Commission nationale de lutte contre le choléra du MSPP. « La vaccination de masse n’est pas nécessaire parce que nous n’avons plus de cas de choléra, dit-il. Nous avons pris le soin de tester toutes les diarrhées suspectes dont nous avons eu connaissance. Cependant, la vaccination reste quand même l’une des stratégies dans notre lutte contre le choléra. Nous n’avons pas besoin d’une vaccination préventive, mais on pourrait quand même procéder à une vaccination réactive, au cas où la bactérie serait réintroduit. »

Non seulement l’urgence de vacciner n’existe pas, mais aussi le vaccin n’est pas d’une grande efficacité. « Le vaccin contre choléra est à double dose, dit Jean-Hugues Henrys. Les meilleures études montrent que son efficacité est limitée à 60 ou 65 %. Pour comparer, l’efficacité du vaccin contre la rougeole est de 90 à 95 %.  De plus, le vaccin contre le choléra n’a aucune efficacité significative chez les enfants de moins de 5 ans. »

Campagne de vaccination dans le département du Sud (Images, ONU)

Au sujet des allégations qui font croire qu’il existe une volonté de mener une grande campagne de vaccination contre le choléra à tout prix, Zephyrin Nathan explique que ce n’est pas le cas. « Il est vrai que la Fondation Bill et Melinda Gates a voulu financer une campagne, à travers la Global Task Force On Cholera Control. Mais c’était en réponse à une demande que nous avions effectuée en 2018, quand nous voulions vacciner 1 800 000 personnes. À cause des troubles que le pays a connus, ce n’est que récemment qu’ils ont pu donner une réponse favorable à notre requête. Leur réponse nous parvient au moment où nous n’avons plus de cas positifs ; c’est une coïncidence. »

Le conseiller technique affirme que des discussions sont en cours pour orienter les fonds vers une autre cause de santé publique qui les nécessiterait plus que le choléra.

De son côté, Jean-Hugues Henrys n’exclut pas que les Nations unies puissent vouloir procéder à cette campagne afin de laver leur image. « N’oublions pas que l’ONU a attendu des années pour reconnaître son rôle. Elle pourrait bien être intéressée par une grande campagne de vaccination, dans l’objectif de faire croire qu’elle est responsable de la disparition de la maladie ».

La Minustah, à l’origine de la maladie

Lorsque le choléra a débuté dans le pays, la majorité des victimes se trouvaient dans les départements du centre et de l’Artibonite. Le fleuve Artibonite a été le principal vecteur de la maladie. Dans son livre « Choléra », Renaud Piarroux, mandaté par le gouvernement pour une enquête épidémiologique, se dit surpris de la violence de la maladie. Le nombre de victimes enregistrées dans les premiers jours est effrayant. Près de 2000 cas seront enregistrés en un jour, à Mirebalais.

Très rapidement, les spécialistes comprennent que l’eau du fleuve est contaminée par les matières fécales déversées dans la rivière Meille, un affluent, par des Casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti. Le camp de la Minustah appelé Annapurna se trouve près de cette rivière. Il est occupé par des Népalais. Un nouveau contingent vient d’arriver, alors qu’une épidémie de choléra fait rage au Népal.

Centre de traitement du Choléra aà Anse D’hainault, Haiti. Tuesday Oct. 11, 2016. ( Photo/Dieu Nalio Chery)

La fosse septique dans laquelle les soldats jettent leurs excréments est à ciel ouvert, tout près de la rivière Meille. Lorsqu’il pleut, le contenu de la fosse se mélange à l’eau de la rivière, qui rejoint ensuite le fleuve. Selon Jean-Hugues Henrys, pour que le choléra se déclare chez quelqu’un, celui-ci doit être en contact avec au moins un million de vibrions cholerae. Les habitants de la zone dépendent exclusivement du fleuve pour leurs besoins en eau ; ils sont rapidement contaminés.

La quantité de bactérie dans le fleuve est énorme, c’est ce qui d’après Piarroux, explique la violence de l’épidémie. Et pour qu’une telle quantité de microbes s’y trouve, il n’y a qu’une seule explication : il y a eu une épidémie dans le camp népalais, et ce sont ces matières fécales contaminées qui ont été déversées dans l’eau. Cela ne sera jamais établi parce que les soldats auront rapidement aseptisé leurs installations sanitaires, afin d’effacer toutes traces de la maladie dans leur camp.

Un tiraillement sans fin

Pendant des années les Nations unies combattent ces allégations. Pour contrer les accusations de Renaud Piarroux, l’ONU cherche à prioriser la théorie, avancée par beaucoup de scientifiques, qui explique que le choléra est une maladie environnementale. Selon cette théorie environnementale, la bactérie du choléra était « dormante ». Les mauvaises conditions sanitaires l’auraient réactivé. Cette explication a l’avantage de dédouaner les Casques bleus de toute responsabilité dans l’arrivée de la maladie.

Dans son livre, René Piarroux rapporte d’autres procédés utilisés par l’ONU pour enlever le focus sur sa base militaire. Des institutions comme l’OPS manipulent des cartes géographiques qui expliquaient les progrès de la maladie dans le pays. Elles tentent, à la longue, de montrer que l’épidémie a débuté dans l’Artibonite, et non dans le Centre, là où se trouve la base népalaise. Des informations cruciales sont altérées, des preuves escamotées, afin de nier l’existence du premier cas de choléra, appelé cas index, à Meille.

Après des années de bras de fer, et à la suite de plusieurs commissions d’investigation, il sera confirmé que le choléra a été introduit par les Népalais. René Hendricksen, un scientifique danois, découvre que l’ADN de la bactérie retrouvée chez les patients haïtiens est identique à celui qui faisait rage au Népal à la même époque.

Suite à ces révélations, Ban Ki Moon, secrétaire général des Nations unies, un mois avant la fin de son mandat présente des excuses officiellement au peuple haïtien. Il reconnaît le rôle primordial joué par les Casques bleus dans l’épidémie de choléra.

Des victimes portent plainte

En novembre 2011, des milliers de victimes ont porté une plainte collective contre l’ONU et la Minustah, pour dénoncer le rôle des Nations unies dans l’introduction du choléra en Haïti. Selon Mario Joseph, l’un des avocats plaidant cette cause, l’ONU a failli à ses responsabilités et n’a pas respecté ses engagements. Mais les Nations unies, même s’ils ont reconnu leur rôle, refusent d’assumer leur responsabilité devant la justice, estimant qu’elles jouissent d’une immunité.

Mario Joseph estime que l’immunité de l’ONU peut être attaquée. «L’article 55 de l’accord de Siège, qui a permis la présence de la Minustah, dit ce que l’ONU doit faire en cas de dommages collatéraux. Il est notamment prévu une commission permanente de réclamations. Mais l’ONU ne l’a jamais instituée. Donc les Nations unies ont violé l’accord de Siège en ne respectant pas leur engagement. Malheureusement, l’État haïtien refuse de prendre ses responsabilités pour les forcer à dédommager les victimes. »

Selon Mario Joseph, l’ONU a aussi violé le code rural haïtien, quand les soldats ont déversé leurs excréments dans l’affluent d’un fleuve. Il croit que l’ONU doit dédommager les victimes, mais aussi l’État haïtien.

Ban Ki Moon a annoncé en 2016 un fonds pour la lutte contre le choléra en Haïti. Sur les 400 000 000 de dollars demandés, moins de 10 000 000 de dollars ont été effectivement reçus. Le Népal, pays dont les soldats ont introduit la maladie, a contribué à hauteur de 237 dollars.

Jameson Francisque

Images: Dieu Nalio Chery

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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