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P-au-P risque une pénurie d’eau à cause de suspicions de corruption à la DINEPA 

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La BID refuse de verser de l’argent supplémentaire sur les comptes de la DINEPA pour le projet Port-au-Prince 3 parce que l’institution n’arrive pas à justifier des dépenses engagées

Certains employés de la Direction nationale d’Eau potable et de l’Assainissement (DINEPA) n’ont pas reçu leur salaire depuis environ trois mois.

En cause, la Banque interaméricaine de développement (BID) refuse de renflouer les comptes de l’institution parce que ses responsables ne parviennent pas à donner des pièces justificatives pour des millions de dollars américains déjà décaissés pour le projet Port-au-Prince 3 qui porte une valeur totale de 65 millions de dollars américains.

Si cette situation persiste, la DINEPA risque de « connaître une panne d’essence au début du mois de septembre. Cela peut provoquer une pénurie d’eau dans plusieurs communes, comme Delmas, Cité Soleil, Tabarre et une partie de Carrefour, qui dépendent des activités de pompage d’eau », révèle une source bien placée au sein de la DINEPA.

Contactée, la BID refuse de parler de « gèle » des fonds destinés à la DINEPA. « C’est dans les procédures normales de la BID que la DINEPA justifie au moins 80 % d’un précédent transfert de fonds avant de procéder à un autre », peut-on lire dans une note de la BID adressée à Ayibopost.

Notre source auprès de DINEPA confirme qu’aucun nouveau décaissement ne sera effectué dans le cadre de ce projet, avant la soumission des pièces sollicitées. Selon des informations recueillies par Ayibopost, les autres projets de la BID avec la DINEPA ne sont pas affectés par ce blocage.

Des têtes tomberont

Contacté, le ministre des Travaux publics, Joiceus Nader, suggère qu’il est au courant des soupçons de corruption qui menacent de paralyser la DINEPA. « Après l’électricité d’Haïti, je porterai mon projecteur sur la DINEPA, et des têtes tomberont ce jour-là », révèle Joiceus Nader.

Par ailleurs, la DINEPA n’est pas à son premier scandale. L’institution se trouve épinglée, entre autres, pour « détournement de fonds » par la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA) dans le dernier rapport sur la dilapidation de l’argent Petrocaribe. Sur une enveloppe de 84 000 000 gourdes versées à la DINEPA pour mettre en œuvre un programme de développement, l’institution a utilisé frauduleusement 23 489 024 gourdes pour des dépenses de fonctionnement, lit-on dans le rapport.

Lire aussi: Quel avenir pour le dossier Petrocaribe après la publication de la dernière tranche du rapport ?

Aujourd’hui, la situation s’avère gravissime. Lundi 10 août dernier, l’énorme problème de justification des dépenses était au centre des discussions lors d’une réunion du conseil de direction de la DINEPA, rapporte un employé de l’institution ayant lui-même pris part à cette rencontre. La BID reste le principal bailleur de la DINEPA. La structure dépend à « 96 % du financement international », soutient son directeur général, Guito Édouard.

Rien n’indique si la DINEPA finira par trouver les pièces nécessaires pour justifier les dépenses incriminées. Le directeur de l’institution refuse de répondre aux questions d’Ayibopost. Avant la publication de cet article, il a  simplement communiqué quelques informations via WhatsApp.

Un projet important

À la fin de l’année 2017, 65 millions de dollars ont été mis à disposition de la DINEPA par la BID pour réaliser le projet « Port-au-Prince 3 » dans l’ouest du pays. Cette initiative vise l’alimentation en eau potable des communes de Tabarre, Carrefour et une partie de la zone située entre Delmas et Pétion-ville.

La DINEPA a déjà engagé plus d’une vingtaine de gens qui sont payés, depuis trois ans déjà, pour des travaux qui n’ont même pas débuté, rapporte notre source.

Pour mettre en œuvre sa politique dans le secteur de l’Eau potable et Assainissement (EPA), la DINEPA utilise des structures déconcentrées nommées Offices Régionaux d’Eau potable et d’Assainissement (OREPA).

Le directeur de l’OREPA-Ouest, Raphael Hosty, admet que son Office a effectivement embauché de nouvelles têtes pour travailler sur le projet Port-au-Prince 3, « retardé d’un an, à cause de la violence qu’a connu le pays ».

Même s’il explique que des dépenses sont réalisées depuis trois ans pour payer des gens dans le cadre du projet Port-au-Prince 3, le directeur de l’OREPA Ouest, Raphael Hosty admet que cette initiative est encore au point zéro. Il indexe en ce sens « le climat d’insécurité qui a découragé les compagnies à bider pour décrocher les contrats. »

La stratégie du retard

Selon un ancien haut responsable de la DINEPA requérant l’anonymat, faire durer les projets constitue une vieille pratique au sein de la structure : « Ils traînent les pieds et laissent couler quelques années sur la durée du projet. À la date officielle de fin du projet, ils font une demande d’expansion. Ainsi, un projet de cinq ans peut durer dix ans dans l’intérêt des responsables qui le mènent ».

Quant au projet Port-au-Prince 3, Raphael Hosty annonce déjà une demande d’expansion. Le directeur se défend des accusations de corruption. Il soutient « qu’il est difficile d’avoir des actes de corruption quand on fait affaire avec des institutions comme la BID qui mettent en place des plans d’opération annuelle (POA) et des plans de passation de marchés (PPM) ».

Lire également: Des compagnies font des millions dans le business du caca et refusent de payer l’État

Dans un échange WhatsApp, le directeur général de DINEPA, Guito Édouard, rappelle que l’institution dépend à 96 % du financement de l’international. Ainsi, elle est astreinte aux procédures des bailleurs et elle est régulièrement auditée par ces derniers « en fins des projets/programmes EPA ».

Pour ce qui est de l’allocation budgétaire de l’État haïtien, « nous sommes régulièrement audités par la CSCCA », confie Guito Édouard.

Cependant, ces propos ne cadrent pas avec la réalité. Des recherches effectuées au sein de la Direction d’apurement des comptes à la CSCCA révèlent que le dernier audit de la Cour remonte à l’ère du CAMEP et du SNEP. Donc, bien avant la création de la DINEPA.

Samuel Celiné

Photo couverture: En premier plan, le directeur général de la DINEPA, Guito Édouard / Ministère de la communication 

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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