Multiplions les groupes de réflexion, les organes d’expression en utilisant tous les supports disponibles. Leur crainte est que nos voix couvrent les leurs. Il est plus que temps que cette crainte se réalise
C’est délibérément que je choisis ce thème de la guerre des discours pour inaugurer cette collaboration avec AyiboPost. Je préfère avoir des ennemis pour ce que j’ai dit que de cultiver la honte de vivre avec ce que je n’ai pas osé dire.
J’ai encore entendu à la radio une bêtise venant d’un «évangéliste» d’un quelconque culte réformé : «Jésus ne veut pas de la criminalité et des maladies, c’est l’affaire des loas».
On me dira qu’il y a pire : les pleurnicheries d’une dame sortie de son XIXe siècle pour présider un haut Conseil que personne ne prend au sérieux, y compris ceux qui l’ont créé… l’agressivité d’une ministre envers des citoyens (à croire qu’elle oublie d’où lui viennent ses revenus) qui refait à sa guise la carte du territoire, cède, concède quartiers et parcelles… Oui, on me dira qu’il y a pire : ce pouvoir — comment dire un gouvernement — qui fanfaronne, va-t-en-guerre sans domicile fixe, son indifférence envers les conditions de vie et de mort des citoyens d’un pays qu’il ne peut ni servir ni diriger.
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Mais tout est lié. Nous subissons une dégradation de l’état général du langage qui est à la fois le symbole et le produit du sur place dans lequel nous croupissons.
Je préfère avoir des ennemis pour ce que j’ai dit que de cultiver la honte de vivre avec ce que je n’ai pas osé dire.
Perte du sens de la dignité : Appels à la venue de forces étrangères sur fond de morale bourgeoise et de peur, sans aucune analyse profonde du processus ayant abouti au règne de la criminalité. Cris d’angoisse de bons bourgeois et petits bourgeois exaspérés qui avaient oublié de s’insurger contre les massacres perpétrés dans les quartiers populaires, comme de dénoncer le séquestre et la destruction des institutions étatiques par les régimes PHTK. Le sens de la dignité demanderait qu’on exige une solution politique aux problèmes politiques, seul lieu à partir duquel on pourrait lutter de manière intelligente contre la criminalité. La lutte contre la criminalité ne peut être qu’un élément d’une politique nationale.
Perte du sens de l’analyse. Le vaudou, la fatalité, la nature de l’Haïtien, l’incapacité de dialoguer comme défaut originel… Quand on entend des gens prétendument instruits dire des âneries pareilles, on peut s’inquiéter de l’état de la pensée. Si c’est tout ce qu’on peut dire des causes de nos malheurs ! Et pourquoi pas le soleil qui s’est levé d’un mauvais pied, une pierre maléfique cachée dans le sous-sol, ou un complot d’une armée de fantômes qui se livrent la nuit à des danses macabres…
Des Haïtiens ont pourtant proposé des éléments de sortie de crise, produit des discours dignes, lesquels n’ont pas été suffisamment relayés pour s’imposer comme le chemin à suivre, comme une volonté nationale qui forcerait enfin les puissances étrangères à nous écouter.
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Le problème avec l’international, c’est que les voix ne sont pas assez nombreuses, fortes et claires pour lui signifier que ce pays, ce peuple, conscient de ses intérêts, n’est pas disposé à lui obéir. Il suffit d’entendre le Premier ministre de facto Ariel Henry ou ceux qui commencent leurs discours par la nécessité d’aménager les intérêts des États-Unis pour se rendre compte que s’il existe des voix dignes, il y a aussi pléthores de subalternes qui ont fait de l’aplatissement un art et une vocation.
«Radòt», «zen», lieux communs, paresse éthique et intellectuelle, propos obscurantistes sur fond de préjugés et d’aliénation culturelle…
D’où la nécessité, on ne le dira jamais assez, de multiplier les cadres et formes d’expression du savoir haïtien et de la position haïtienne sur la conjoncture : une solution politique haïtienne tenant compte des revendications populaires autour des crimes de sang et des crimes financiers. Le reste n’est que mauvaise littérature.
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Il faut saluer l’énergie de celles et ceux qui tentent d’occuper les médias pour faire entendre cette volonté haïtienne. Mais cela ne suffit sans doute pas. Il faut plus de voix, plus d’énergie. Et aussi accompagner ce discours revendicatif d’un discours élaboré sur ce qui nous a conduits dans ce merdier. Opposer à chaque ânerie un discours de compétence sociale, porteur d’un humanisme vrai et d’un savoir utile à la transformation de la société vers le sens du bien-être de la majorité.
Il faut plus de voix, plus d’énergie.
La réaction a ses guerriers du discours. On connait leurs rengaines : quand ce n’est pas la faute au diable, c’est la faute à nous tous, ou à l’opposition. Le problème, c’est l’insécurité, donnez-nous la sécurité et nous ferons de bonnes affaires et le peuple en profitera. (Comme si ceux qui disent cela ne faisaient pas des affaires avant, et comme si leurs façons de faire des affaires entre eux, avec l’État et contre la nation, n’avaient pas contribué à produire cette misère sociale et ce désastre politique.)
Quelques-uns sont rémunérés. D’autres sont simplement aveuglés par leurs préjugés. Mais ils sont braves et osent parler à voix haute. Soyons aussi braves qu’eux. Multiplions les groupes de réflexion, les organes d’expression en utilisant tous les supports disponibles. Leur crainte est que nos voix couvrent les leurs. Il est plus que temps que cette crainte se réalise. Il faut gagner cette guerre des discours et condamner les défenseurs du pire, sinon au silence, du moins à la honte et à la solitude.
© Photo de couverture : Amnesty International
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