Après les événements franchement embarrassants d’hier mercredi, les États-Unis devraient tempérer la vanne des grands prononcements sur la démocratie en dehors de ses frontières
Les États-Unis font rire le monde. Littéralement. Rires insolents de Vénézuéliens qui partagent les mèmes mettant en scène Juan Guaido, se proclamant président américain par intérim, comme il l’a fait au pays de Hugo Chavez, avec l’appui des Yankees !
Rire vengeur d’Haïtiens, exigeant leur « crédit » pour avoir inspiré les scènes surréalistes qui se sont déroulées ce 6 janvier, au siège du pouvoir législatif d’une des plus anciennes démocraties du monde.
À Washington, pourtant, l’ambiance ne se prêtait pas aux légèretés sarcastiques hier mercredi. Le Congrès devait tenir une cérémonie pour officiellement déclarer Joe Biden prochain président des États-Unis.
Vers 2 h 15, un groupe de protestataires fait irruption au Parlement pour interrompre le processus dans la violence. Le chaos qui s’en suit souille un peu plus l’image déjà ternie des USA aux yeux du monde.
Ici, ce sont des parlementaires qui sont évacués à la hâte sous la menace. Là, des individus survoltés qui vandalisent l’auguste local. Des dizaines d’arrestations sont enregistrées. Quatre personnes trouvent la mort.
« C’est un spectacle écœurant et déchirant », déclare dans une note l’ancien président républicain, George W. Bush. « C’est ainsi que les résultats des élections sont contestés dans une république bananière — pas dans notre République démocratique. »
Dans la majorité des médias, un ton grave, presque triste, fait écho aux évènements. « Insurrection sans précédent », titre l’Oregonian. « Attaque contre la démocratie », répond Reno Gazette Journal. « Démocratie assiégée », analyse Politico alors que Daily News rappelle que le président en place, mauvais perdant n’ayant toujours pas reconnu sa défaite aux élections du 3 novembre, a incité ses partisans à prendre les armes pour l’aider dans sa course folle contre la réalité des résultats, contre les décisions de juges qu’il a lui-même nommés, et désormais contre des élus de son propre camp — y compris son vice-président — sommés de choisir entre la défense de valeurs républicaines et un leader happé par un déni profond et dangereux.
Aujourd’hui, les péchés capitaux de l’expérience américaine transparaissent au grand jour.
Les États-Unis font rire le monde, tragiquement, et ceci, depuis près de quatre ans. Le dernier acte de la comédie Donald Trump marque le climax, probablement pas le dernier, d’une présidence dont la vertu consiste à révéler au monde les dessous sulfureux de la politique américaine, la fragilité d’institutions que l’on croyait assurées, la complicité de gens puissants, mais surtout la faillite morale qui depuis toujours fait corps avec la société américaine.
Loin de surprendre, les événements du 6 janvier disent une vérité proprement américaine, une vérité que cette société doit accepter, si elle veut se donner une chance de progresser.
Il est une contradiction ontologique plantée au cœur de la nation américaine. En vrai, cette nation prend naissance avec un idéal, doublé d’un mensonge effronté.
L’idéal se trouve au second paragraphe de la déclaration de l’indépendance de 1776. « Tous les hommes naissent égaux. Ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et la poursuite du bonheur. »
Cette proclamation grandiose se trouve contredite par le réel de la société américaine. Hier comme aujourd’hui, dépendamment de leur richesse, de leur couleur de peau, de leur lignée, certains sont plus aptes à goûter aux fruits de la prospérité collective.
Hier, c’était l’esclavage dans les treize colonies de la nouvelle République, l’interdiction des unions interraciales, les viols, une violence inimaginable et des meurtres spectaculaires sponsorisés par l’État. La Proclamation de l’Émancipation, en 1863, n’a fait que métamorphoser le système de l’oppression.
Les années qui ont suivi ont exacerbé les inégalités et les injustices, malgré la résistance militante, qui toujours, et parfois avec succès, brave les forces tyranniques, pour rapprocher ce pays de son idéal lointain. Dans un élan hardi, Martin Luther King aimait évoquer la longueur de l’arc moral de l’univers qui toujours se penche vers la « justice ».
Aujourd’hui cependant, les péchés capitaux de l’expérience américaine transparaissent au grand jour. Le droit de vote, jadis réservé aux hommes blancs uniquement, s’est certes étendu aux noirs, aux femmes, éliminant au passage des exigences antidémocratiques comme la possession d’un terrain.
Néanmoins, ne peut facilement voter quiconque affiche la citoyenneté étoilée. Plusieurs recherches scientifiques démontrent comment des politiciens arrivent à exclure des communautés noires, notamment issues de l’immigration, des suffrages qui vont déterminer leur avenir.
Une partie des élites de ce pays considère l’élection de Donald Trump comme une anomalie. Elle ne l’est pas.
La démocratie américaine mérite réparation. Des élus, par une curieuse pratique appelée « gerrymandering », arrivent à choisir leurs votants, pour s’assurer perpétuellement des sièges représentatifs. Que dire du fameux collège électoral ? Deux des trois présidents des trois dernières élections n’ont pas obtenu l’assentiment populaire. Car aux USA, ce sont les États, et non le peuple, qui élisent les chefs de Gouvernement.
De surcroit, les politiques publiques ne reflètent en rien la volonté populaire. Selon l’étude empirique la plus importante jamais réalisée dans le domaine aux États-Unis, les préférences et exigences des élites économiques et groupes d’intérêts mènent la danse.
En clair, pour comprendre l’orientation des administrations américaines, il faut se référer aux préférences d’une petite minorité puissante. Celle-ci entretient son influence à travers les leviers cruciaux que peuvent être les donations et financements de campagne.
« 400 familles ont donné la moitié des contributions à l’élection présidentielle de 2016, rapporte le chercheur de Harvard, Lawrence Lessig. Ce n’est pas une démocratie américaine, dit-il, c’est la démocratie d’une république bananière. »
Ces tares, et nombreuses autres, ont forgé une démocratie à peine fonctionnelle, dans un pays où les interventions hégémoniques externes sont supportées virtuellement par tous les partis et toutes les personnalités politiques.
Élevée au rang de religion nationale, l’idéologie de la « nécessité » des bottes américaines catalyse une longue liste d’intrusions catastrophiques dans les affaires internes d’autres pays. Pour des intérêts économiques et idéologiques, l’Américain obtient des changements de régime, influence des élections, alimente des campagnes de désinformation, fait la pluie, annonce le beau temps.
Une partie des élites de ce pays considère l’élection de Donald Trump comme une anomalie. Elle ne l’est pas. Elle l’est encore moins après les résultats des dernières présidentielles. 74 millions d’électeurs ont décidé, après quatre ans d’insanités, de racisme et de misogynie, de donner un blanc-seing à Donald Trump.
C’est difficile de l’admettre, mais ce républicain reste la manifestation de l’Amérique profonde. Quand le Ku Klux Klan terrorisait les Noirs aux XIXe et XXe siècle, il n’était pas moins décrit au Congrès comme une « authentique institution américaine », digne de chansons populaires et de spectacles sur Broadway.
Les États-Unis font rire le monde, tragiquement, et ceci, depuis près de quatre ans.
Après les évènements franchement embarrassants d’hier mercredi, les inquiétudes ironiques exprimées par le ministère des Affaires étrangères haïtien, les États-Unis devraient tempérer la vanne des grands prononcements sur la démocratie en dehors de ses frontières. Ce pays gagnerait beaucoup à passer un peu de temps à panser ses blessures, atténuer ses divisions et cultiver son jardin, pour reprendre le raciste et antisémite Voltaire.
Si l’influence et la prospérité des Etats-Unis dépendent fortement de ses intrusions dans les affaires de ses partenaires, la survie et l’épanouissement de jeunes démocraties comme Haïti serait plus certaine en dehors des pressions des griffes acérées de l’aigle mondial. La parenthèse Trump se fermera dans quelques semaines. America se relèvera, très certainement. Mais à l’avenir, un peu d’humilité ne ferait de mal à personne. Sérieusement.
Widlore Mérancourt
Comments