19 mai prochain, les avocats célébreront la St Yves. Cette traditionnelle fête est l’occasion pour les hommes de la Basoche de célébrer le saint patron de leur profession bien-aimée
Souvent placés dans l’œil du cyclone, indexés par une opinion qui les déteste depuis toujours, les hommes de robe sont à chaque nouveau scandale sexuel, politique ou économique, les souffre-douleurs d’un système qui ne marche pas. Privés de l’admiration collective, les avocats exercent un métier incompris, et pourtant si essentiel à la liberté de chacun.
In limine litis…
Il faut préciser que l’avocat n’est pas un juge. À ce titre, il ne rend pas de décision. Il ne prononce pas de divorce, n’attribue pas de garde d’enfants, ne consacre pas de droit de propriété. Il ne condamne pas, il n’acquitte pas ; il ne met pas en débet, il ne décharge pas. L’avocat n’est rien de tout cela. Il n’est qu’un « auxiliaire de justice » comme très péjorativement, on aime l’appeler. Il n’est donc, qu’un acteur judiciaire parmi tant d’autres dont la mission originelle, fondamentale et essentielle est de défendre.
OP-ED: Le faux courage des procéduriers haïtiens
La profession d’avocat a subi des évolutions. Plusieurs fois, elle a changé de visage pour s’adapter aux temps et aux circonstances. Mais, elle reste attachée à l’essentiel : la défense. Que ce soit la veuve, l’orphelin ou le nanti, l’avocat ne doit jamais cesser de défendre. Le jour où il cessera de défendre, il cessera d’être. La justice aussi.
Car, la justice est avant tout une question d’équilibre.
Coupable ou innocent ?
Le raisonnement de l’avocat ne doit pas s’articuler ainsi. Il n’a tout simplement pas le droit de se poser cette question, au risque de se perdre ; de tomber dans le piège de l’opinion, de se substituer au juge, de préjuger. C’est comme s’il renoncerait au regard bienveillant qu’il devait porter sur la personne de celui qu’il est appelé à défendre et non à juger, faut-il le rappeler.
Une profession éthique…
L’éthique de l’avocat pénaliste, de l’avocat tout simplement lui impose des obligations de compétence, de dévouement, de bienveillance et de prudence.
En effet, dans une réflexion éthique permanente, l’avocat doit veiller à ce qu’il s’acquitte de ses devoirs envers chaque client, dans chaque situation et surtout pour chaque dossier. Sinon le Bâtonnier et son conseil, chargés de la discipline de l’Ordre ne manqueront pas de le lui rappeler.
OP-ED: La presse haïtienne protège les accusés de viol. Ce n’est pas étonnant !
Au-delà de cette responsabilité éthique, chaque avocat doit répondre à cette petite voix, à cette parole intérieure qui lui rappelle au quotidien ce pour quoi il a choisi la robe.
Défendre est avant tout un gage d’humanité…
Il est évidemment plus facile de se ranger du côté des victimes présumées, de s’associer à leurs émotions à leurs douleurs, de porter leur voix. En se mettant du bon côté des « gentils », on se protège. On ne se découvre pas. On ne se met pas en danger. On ne risque pas de s’attirer la foudre de l’opinion. Mais, n’est-ce pas là une forme de discrimination de se dire ou de croire que l’autre, celui-là même qui serait le bourreau ne mérite pas notre part d’humanité ?
Le grand défi de l’avocat, c’est de voir l’homme au-delà de l’accusé ; l’être humain au-delà du criminel supposé. L’homme, quel qu’il soit !!!
Le sens profond de la plaidoirie de l’avocat comme l’écrit Mathieu Aron, c’est de ramener l’accusé dans la communauté des hommes, même si, c’est un « monstre », même si, c’est le pire des « salauds ». Les plaidoiries sont toujours un pari sur l’humanité et donc, l’une des formes les plus achevées de l’humanisme.
La victime, elle aussi a des droits prévus par les lois et garantis les instruments juridiques internationaux. De même que la justice ne doit pas préjudicier aux droits des accusés, elle ne doit pas l’être pour ceux des victimes. La justice est une question d’équilibre, ne l’oublions pas.
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Il appartient aussi à l’avocat de les défendre avec la même vigueur, le même dévouement, la même humanité, toujours sans aucun préjugé.
En faisant son œuvre sacro-sainte de défendre (revenons aux accusés), l’avocat ne défend pas nécessairement la cause, mais l’individu, l’être humain. Mais, l’inverse est aussi vrai.
En défendant, Patrick Henry, en le sauvant de la peine de mort, Robert Badinter a gagné la première manche de sa victoire finale contre la peine de mort en France.
En mettant en accusation une France rétrograde, dit-elle, Gisèle Halimi a contribué à la dépénalisation de l’avortement.
Mais, en défendant les terroristes, Jacques Vergès défendait l’individu, l’être humain et pas la terreur. Comme Hippocrate, il soignait les malades et pas les maladies.
Revenons à l’éthique des avocats…
En s’affranchissant de ses obligations, l’avocat s’expose, mais aussi il expose sa parole, sa crédibilité. Il expose son serment. Il oublie que ce qu’il faut garder à l’esprit est que le résultat n’est pas le sien. Il n’a pas d’obligation de résultat. Ce serait une atteinte à son indépendance.
Il doit garder à l’esprit qu’il ne juge pas ; qu’il ne rend pas de verdict. Il ne doit jamais oublier qu’il n’est pas un Directeur de conscience et qu’ainsi, il n’a pas le droit de jeter sur les autres, surtout sur ceux qu’il défend, un regard malveillant, condescendant et inquisiteur. Il pourra toujours évoquer sa clause de conscience, accepter telle ou telle autre cause ; de défendre tel ou tel autre individu… l’avocat est avant tout un professionnel libre, libéral et indépendant.
In fine…
La règle de droit se doit d’être appliquée en toute équité. La présomption d’innocence, l’égalité des armes, le doute profitable, le principe du contradictoire, le procès équitable… ne doivent pas être ignorés par une justice saine et impartiale.
Cette même justice qui doit être accessible à tous et qui doit avoir pour chacun d’entre nous les mêmes considérations, le même traitement.
Eric Dupont Moretti disait très justement que ce qui sépare la barbarie de la civilisation, c’est la règle de droit. Celui qui doit s’assurer qu’on ne sombre pas dans le chaos, dans l’arbitraire ; de la stricte application des lois, du respect scrupuleux des principes et des procédures, c’est l’avocat. C’est son devoir de s’assurer que les règles, les principes et les procédures établis s’appliquent erga omnes (envers et contre tous). Tous, sans exception.
L’avocat peut-être de tous les combats. Il peut, aux côtés de la justice, s’attaquer aux inégalités, aux injustices, aux abus… Mais il ne peut pas s’empêcher de défendre. Il ne peut pas se renier lui-même.
Si les systèmes judiciaires sont trop faibles, si les procédures sont désuètes, si les lois sont injustes… et méprisent les droits des victimes, c’est le procès de la justice qu’il faudrait faire, pas celui de l’avocat ; le procès des procédures, mais pas celui des procéduriers.
Nathan Laguerre, avocat
Photo couverture: Bdhh, concours de plaidoirie
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