En proie à une insécurité grandissante, la zone compte une seule institution étatique
La peur flotte dans la poussière des rues non pavées d’ONAVILLE, au nord de Port-au-Prince, à une demi-heure de la route de Morne-Cabri, elle-même située sur la Nationale #3.
Les habitants de cette communauté marchent sur des épingles, et refusent majoritairement de donner des entrevues aux journalistes.
Frantz Dory est un pasteur de la zone. Il accepte de donner son témoignage, mais pose des restrictions quant aux sujets liés à l’insecurité. « La prudence est de mise », lâche l’homme de Dieu, comme unique explication.
Peu habité, « ONAVILLE a toujours été paisible », affirme de son côté Valvil. L’homme, dans la cinquantaine, refuse de décliner son nom complet pour des raisons de sécurité. Il affirme faire partie des premiers habitants du village pour y avoir emménagé avec sa famille seulement un an après son inauguration en 2003.
Lire aussi: Comprenez-vous le rôle de l’ONA ?
« Cinq heures de l’après-midi ou onze heures du soir, il n’y avait aucune différence, poursuit Valvil. On pouvait circuler en toute quiétude ».
Dix-huit ans après, cette réalité est révolue. ONAVILLE est désormais le nom de toute une banlieue en manque d’infrastructures. Mais encore, l’insécurité s’y installe progressivement.
« Les détonations sont de plus en plus fréquentes », confirme Frantz Dory. Fin décembre 2021, « deux hommes sont montés dans une camionnette et l’ont dévalisée. Une dame qui a voulu résister a été poignardée et en est morte ».
Progressivement, des bandits reconnaissent le caractère stratégique de la localité. « Les mornes de ONAVILLE sont certes dénudés, mais quand on s’y trouve, on peut contrôler plusieurs autres quartiers comme le bidonville Jérusalem » informe un habitant de la zone, sous couvert d’anonymat.
Un caïd dénommé Mardi contrôlait la localité jusqu’à son assassinat à Canaan par un gang rival l’année dernière.
Mais les habitants refusent de baisser les bras face au phénomène de l’insécurité. Tout personnage inconnu risque de subir un interrogatoire aléatoire. Ils ont mis à prix la tête du dénommé San pran souf, chassé de la localité pour des actes de vol, en plus d’être soupçonné de faire partie d’un groupement pas net.
Une foule en colère a détruit une maisonnette suspecte dans laquelle plusieurs hommes ont été retrouvés drogués en 2021.
Cette manière de faire s’apparente à la pratique du vigilantisme, qui elle-même donne naissance à des gangs, selon des experts. « Dans cette perspective de la sécurité comme bien commun, les individus ne sont pas prestataires des services de sécurité offerts par l’État, mais des acteurs de la sécurité elle-même », analyse Roberson Edouard, un sociologue qui a mis en place le premier observatoire national de la violence et de la criminalité en Haïti.
ONAVILLE s’étend sur plusieurs centaines d’hectares. L’initiative lancée en 1997 a vu la construction de 92 maisons, établies sur onze carreaux de terre. Elles seront inaugurées sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide. Pour bâtir ces maisons, l’Office national d’Assurance-Vieillesse (ONA) a décaissé dix-huit millions de dollars américains.
« Lorsque des quartiers populaires comme Bel-Air et Martissant ont été assaillis par des bandits, beaucoup de familles sont venues se réfugier ici », informe Hérold Bruny qui habite ONAVILLE depuis quatre ans.
La plupart des mornes sont truffées de maisons construites pour la plupart en tôle. Celles-ci, généralement limitées à une pièce, n’appartiennent pas toutes aux paisibles résidents. « Certaines sont habitées par des individus qui veulent simplement contrôler les allers-retours des gens », déclare Bruny.
ONAVILLE fait face à ce que les spécialistes appellent l’urbanisme inversé. Dans le schéma classique, plus on a d’institutions de régulation dans une zone, plus l’État y est présent. Et plus ce dernier se fait sentir, plus l’espace est organisé.
Mais dans le courant de l’urbanisme inversé, les gens n’attendent pas l’État pour prendre les décisions qui les aident à vivre.
Dans le cas d’un pays comme Haïti où il n’y a pas une planification urbaine et un État qui anticipe le besoin d’habiter des citoyens et met en place des dispositifs pour les accompagner, l’urbanisme inversé est courant.
« Plus on entre [dans les zones reculées], plus l’absence de l’État se fait sentir », constate James Darbouze, affilié au Centre de Recherche et d’Appui aux Politiques urbaines d’Haïti (CRAPU).
À ONAVILLE, il existe un seul sous-commissariat. Mais, « c’est comme s’il ne servait à rien », lâche un chauffeur de camionnette qui assure le trajet entre ONAVILLE et Bon repos. En sous-effectif, l’institution policière se situe dans une station de taxi moto et sert principalement comme point de référence.
Les forces de l’ordre rentrent souvent en relation peu éthique avec des bandits dans les zones où elles opèrent. « Aucun gang, affirme Roberson Edouard, ne peut fonctionner dans un quartier ou une ville sans entretenir des rapports avec les institutions formelles et des policiers », remarque le sociologue, qui place la résistance de la population en tête de liste des solutions potentielles.
Lire également: Sandra René payait son assurance chaque mois. Elle est morte faute de soins.
Personne ne peut dire si ONAVILLE va devenir le prochain Martissant. Le leader de gang Mardi est bel et bien assassiné, mais aucun nouveau chef n’est officiellement introduit. Sa bande continue aussi de fréquenter le quartier.
« Qu’en sera-t-il lorsque ces malfrats seront plus nombreux et mieux armés ? », se questionne Hérold Bruny. Aucune réponse claire n’existe pour cette question.
Photo de couverture: Carvens Adelson. Vue du village ONAVILLE
Photos: Carvens Adelson / AyiboPost
Comments