« Pwentu nen bebe a pou li pa plat »
« Jan ou wèm la mgen moun rouj wi nan Fanmi m »
« Mouche a tèlman nwè li ble a la lèd »
« Se solèy ki fèm vin nwa konsa, lèm te piti po’m te bèl, li te jòn »
Je regarde la vie continuer son cours en soulevant légèrement les épais rideaux de ma chambre. Trois jours depuis que j’ai effectué le dernier «traitement». La spécialiste m’a dit qu’il faudrait attendre au moins sept jours pour laisser le soleil toucher ma peau. Je suivrai ses conseils à la lettre car je ne veux pas redevenir noire… J’en ai marre de cette couleur de terre brûlée, je veux m’en libérer.
Oui, je blanchis ma peau.
La couleur de ma peau m’a toujours défavorisée. Je vis mal avec cet héritage. Je suis limitée, jugée, classée rien qu’à sa vue. Je préfère m’en débarrasser, m’en défaire; à défaut de la décaper, je la blanchirai. Depuis déjà plusieurs années, je suis abonnée aux soins de Marielle, c’est une experte. Marielle est une belle femme au teint de lait, elle est une référence dans le domaine. Il faut prendre rendez-vous et respecter ses indications pour qu’elle accepte de vous recevoir. Elle n’a pas de temps à perdre. Son business marche très bien, ses clients sont très fidèles et ce n’est pas demain qu’ils vont laisser son cabinet. J’ai dit « ils » car ça vaut aussi pour les hommes, la décoloration est unisexe.
Vous vous demandez sûrement ce qui se passe dans ma tête? Qu’est ce qui me pousse à faire ça? Suis-je malade?
Non, je ne pense pas l’être, je vais bien. J’ai juste décidé de changer quelque chose que je n’aime pas, aussi simple que ça. Je fais comme les gens qui recourrent à la chirurgie esthétique pour changer une partie de leur anatomie ou suivent un régime alimentaire pour maigrir ou grossir. Vous voulez me répondre que je vais mourir du cancer? Primo, on va tous mourir tôt ou tard, la mort est bien trop maligne pour qu’on lui échappe. Deuxio, le cancer n’a pas besoin qu’on le cherche pour qu’il vienne à nous, en veux-tu en voilà. Les gens meurent du cancer des poumons sans avoir fumé une cigarette de leur vie, les plus jeunes en souffrent sans raison apparente: c’est un mal général, des fois incurable.
Passons, vous demandez si je ne sais pas que la couleur noire est belle? Où ça? Dans les nouveaux mouvements “Black is Beautiful”, “Ak cheve naturèl ou bèl”? Mhhmm! Ce n’est pas ce qu’on m’a dit plus jeune. Ma réalité est inverse. Un homme m’a fait comprendre qu’il ne fréquentait que des femmes au teint clair quand il a compris que je m’intéressais à lui. Un autre plus effronté a conclu que la femme noire ne pouvait servir qu’à des rituels vaudous. Je ne vous ai pas encore donné le clou de ces anecdotes que j’ai compilé durant mon quart de siècle sur terre : ces hommes étaient tous noirs! Pourquoi prenez-vous donc cet air surpris, est-ce la première fois que vous entendez ça? Les aînés de mon entourage se référaient à moi comme la petite au « koulè poupou« . Depuis quand la merde était belle et fréquentable? Je n’ai jamais vu quelqu’un heureux en contemplant les fèces d’un autre. Pourquoi les gens ne me disaient pas que j’avais une « belle couleur »? Cette description était réservée aux filles au teint clair, moi j’étais «la nwè». A l’école, j’avais très peu d’amis, je n’étais pas chouchoutée dans la famille non plus… Toujours relayée au dernier plan, toujours négligée à cause de ma carnation. J’ai appris à la détester très tôt, à haïr cette marque du diable.
Alors à défaut de ne pouvoir m’enlever la peau, je la blanchis.
Les fins psychologues parmi vous diront que je subis les séquelles de l’esclavage. L’oppressée qui cherche à reproduire l’image de l’oppresseur, une sorte de mentalité enracinée depuis mes ancêtres. Mhhmm possible! Toutefois, attendez avant de me critiquer, savez-vous que le peuple noir est l’un des plus raciste qui soit et encore envers ses pairs ? Ah oui, nous utilisons chaque nuance de notre peau comme une différence pour créer nos distances, clamer notre distinction. Plus tu es foncé, plus tu es pauvre, plus tu es clair plus tu es considéré comme riche ou un descendant direct de Pétion. En parlant de ce dernier, on ne peut oublier Dessalines, l‘un des plus grands héros de notre indépendance. Il est devenu l’emblème des traits indésirables de notre nation, le teint noir, les cheveux crépus, le nez épaté, les lèvres épaisses… Ces qualificatifs ne sont guère des compliments chez nous, au contraire… Pure ingratitude en dépit de tout ce qu’il a accompli pour nous ou bien lavage de cerveau?
Chez nous, il y a de fortes chances qu’un homme noir acquérant un certain pouvoir économique se mette avec une femme au teint clair, les cheveux longs, soyeux… Il faut qu’à distance, vous puissiez lire sa réussite. Cet atout fait partie du kit numéro un de la réussite de beaucoup. Les femmes ne sont pas en reste chez nous. Je compte bien me trouver un blanc en quête d’exotisme à l’un de ces clubs de Pétion-Ville pour avoir un enfant. Jamais, je ne ferai ça à mon enfant, non jamais, je ne le laisserai subir mon sort, tous ces préjugés dont j’ai été victime.
Entre autres, j’ai le droit de faire mes choix, de vivre ma vie comme je l’entends sans nuire à personne. Si j’ai le droit de voter ces politiciens douteux qui affichent leurs dents sur tous les murs du pays, alors pourquoi selon vous n’aurais-je pas ce droit là?
Vous les moralistes, avant de mettre Dieu dans ce débat pour m’infuser des notions telles que l’amour propre pour la création que je suis, demandez-lui la tolérance, demandez-lui d’enlever les préjugés, le racisme chez nous. La vie est une jungle, je m’en sors comme je peux. Son premier commandement est «Aime ton prochain comme toi-même». Commence avec moi!
Avant de me condamner, combien d’entre nous sommes victimes de la soumission occidentale? Nombreux sommes-nous à vouloir porter un défrisant, un assouplissant ou sommes forcés de le faire pour avoir l’air professionnel. Savez-vous que chez nous, il est plus facile de trouver une crème éclaircissante qu’un fond de teint pour peau foncée? Savez-vous que malgré le fait que la majorité de la population soit noire, peu de salons savent prodiguer les soins de beauté spécifiques à notre race? Combien d’entre nous dilapidons une fortune dans les extensions de cheveux pour répondre comme moi aux normes de la beauté occidentale? A la poursuite de la beauté préfabriquée, de la minceur retouchée, de la technologie de dernier cri, combien d’entre nous dépensons sans compter, abusant notre corps? Vous conviendrez avec moi que ces quêtes ont un coût? Lequel? Ne me jugez pas parce que mes péchés sont différents des vôtres. Un chanteur de chez nous a eu à dire qu’à chaque fois que vous pointiez un doigt vers l’autre, quatre d’entre eux nous fixaient…
Encore une chose, regardez les étagères des pharmacies, des supermarchés, des salons de beauté, ces produits pullulent malgré leur prétendue nocivité. Plus près, encore examinez les publicités télévisées ou écrites qui promettent une peau plus claire, plus douce, plus propre et qui mettent en vedette une femme au teint clair: qu’est-ce qu’elles insinuent? Voilà, c’est une industrie rentable à tous les niveaux pour des chimistes, des hommes d’affaires, des salons qui investissent beaucoup dans ce marché auquel vous me dites d’ adhérer. Je ne suis qu’un simple pion, un écran de fumée devant cette grande machine.
Je ne cherche pas à faire école, ni à me trouver des alliés, je ne fais que parler de moi. Je ne cherche pas non plus à attiser davantage vos foudres et vos regards acides, c’est un choix que j’assume avec ces conséquences. Je cherche encore moins votre pitié… Moi, je ne veux plus de ma malédiction… De toute façon, quoique que vous en pensiez… c’est sans rancune… Moi, je vais me reposer. Je dois encore passer quatre jours à me cacher derrière les rideaux avant de faire face à vos jugements.
Lou
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