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Liens bizarres entre un prisonnier au pénitencier national, l’assassinat de Jovenel Moïse et l’affaire Petit Bois

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Alors qu’il est au pénitencier, Markington Philippe possède plusieurs numéros de téléphone. Une dizaine pour être plus précis

Le 7 juillet 2021, Jovenel Moïse, alors président en fonction de la République d’Haïti, se faisait assassiner dans sa résidence privée. D’anciens soldats colombiens ont été accusés de ce crime, pour lesquels d’autres suspects sont encore en cavale. L’un d’eux est Joseph Félix Badio, ancien fonctionnaire de l’Etat haïtien, qui aurait ordonné aux Colombiens de tuer le chef de l’Etat.

Badio, homme le plus recherché par la Police nationale d’Haïti, a des relations très haut placées. Le premier ministre haïtien, Ariel Henry, serait un de ses amis. Il l’aurait rencontré à plusieurs reprises après l’assassinat selon des rapports d’enquête. Mais les liens que Joseph Félix Badio entretiendrait avec un détenu au pénitencier national interpellent.

Cet homme, c’est Markington Philippe. Écroué à la prison civile de Port-au-Prince depuis huit ans, Philippe semble avoir joué un rôle actif dans un évènement majeur qui a eu lieu sous l’administration de Jovenel Moïse. Un faisceau d’indices pointent vers lui comme un des acteurs importants, depuis sa cellule, du coup d’État manqué de Petit-Bois, en février 2021. Ce coup visait la destitution de Jovenel Moïse.

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L’Unité de lutte contre la corruption a licencié Joseph Félix Badio, quelque temps avant la mort de Moïse, parce qu’il aurait demandé à Markington Philippe un pot de vin de 30 000 dollars pour le faire sortir de prison.

Selon une source proche de l’institution carcérale interviewée par AyiboPost, depuis quelques jours Markington Philippe a été transféré de sa cellule. Il se trouve désormais dans le même quartier que les Colombiens accusés du meurtre du président. Pour avoir vécu dix ans en Argentine, Markington Philippe parle espagnol, et s’entretient avec les Colombiens, selon cette source.

Il n’est pas clair pourquoi Philippe a été transféré dans ce nouveau bloc de la prison ni qui en a donné l’ordre. Mais il est désormais côte à côte avec ceux qui ont pu accomplir un rêve qu’il paraissait avoir chéri avec sa participation aux évènements de Petit Bois : se débarrasser de Jovenel Moïse. Son avocat n’a pas pu être identifié avant la publication de cet article et les tentatives d’AyiboPost pour le rencontrer dans la prison n’ont pas abouti.

Joseph Félix Badio est accusé d’avoir exigé 30 000 dollars américains à Markington Philippe pour le faire sortir de prison, selon la lettre de licenciement de l’ULCC, un organisme de l’Etat où il a travaillé.

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Le nom de Markington Philippe est bien connu des dossiers de la justice haïtienne. Il a été emprisonné une première fois en 2003, après la mort du journaliste Jean Dominique, dans laquelle on l’accuse de complicité. Mais en 2004 il parvient à s’évader de la prison. Il se rend en Argentine où il séjourne pendant près de dix ans. Cette fugue, personne ne sait comment elle a pu avoir lieu. Puis, en 2014, l’instruction sur l’affaire Jean Dominique reprend. Haïti demande et obtient son extradition de l’Argentine. Il est à nouveau incarcéré en 2014, au pénitencier où il se trouve encore.

Alors qu’il est au pénitencier, Markington Philippe possède plusieurs numéros de téléphone. Une dizaine pour être plus précis. Parmi ces numéros, deux sont enregistrés aux réseaux de la Digicel et de la Natcom. Ils finissent respectivement par 66 et 56. Les autres sont des numéros qui redirigent vers des points internationaux. Selon une enquête menée par le journaliste américain Jake Johnston, Philippe aurait utilisé ces téléphones pour prendre part (sinon planifier) le coup d’État raté de Petit Bois, alors qu’il se trouvait derrière les barreaux.

Pour mener à bien cette mission, il se fait passer pour l’employé d’un diplomate américain qu’il a connu lors de l’affaire Jean Dominique : Daniel Whitman. Plusieurs personnalités politiques, et même des responsables de la sécurité du président de la République, ont été contactées sous ce pseudonyme, pour leur faire part d’un plan de mise en place d’une nouvelle administration à la tête du pays. Les noms utilisés, d’après Jake Johnston, ressemblent beaucoup à celui de Markington Philippe. Tantôt il se présente comme Marc André Philippe, tantôt comme Mark Philippe.

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Johnston rapporte que l’un des numéros qui a contacté l’une des personnalités contactées pour le Coup d’État, correspond au numéro que Markington Philippe a utilisé pour appeler Daniel Whitman, pour l’inviter à rejoindre son projet fou de putsch. De plus, lorsque la police est descendue sur les lieux de la « conspiration », à Petit-Bois, deux personnes intimement liées à Markington Philippe étaient présentes : la mère de son enfant, et sa fille, Hija Djenicka Philippe. Elles sont toutes deux arrêtées pour crime contre la sûreté de l’Etat.

Les motifs de cette mascarade ne sont pas clairs. En entretien avec le Réseau national de défense des droits humains, qui est allé plusieurs fois le voir en prison, même après la mort du président, Markington Philippe a affirmé qu’il n’avait en rien participé à ce qu’on lui reproche. « Il était clair là-dessus, dit un enquêteur du RNDDH. Il affirme qu’il n’a pas participé à ce coup.  »

Il dément aussi des liens qu’il aurait avec Joseph Félix Badio, principal suspect dans l’assassinat de Jovenel Moise. Badio, recherché par la Police, est accusé comme celui qui a demandé aux mercenaires colombiens de tuer le président, au lieu de l’arrêter comme cela aurait été convenu.

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Joseph Félix Badio est accusé d’avoir exigé 30 000 dollars américains à Markington Philippe pour le faire sortir de prison, selon la lettre de licenciement de l’ULCC, un organisme de l’Etat où il a travaillé. Les deux hommes auraient été en contact depuis quelque temps, bien avant les événements de Petit Bois, et l’assassinat du président. Ces liens entre Markington Philippe et le principal suspect du meurtre de Jovenel Moïse et son implication présumée dans l’affaire Petit Bois soulèvent bien des questions, mais Philippe dément toute implication, dans ses déclarations au RNDDH.

 «Il a assuré que non seulement il ne connaissait pas Badio, mais qu’il ne pensait pas non plus que Badio pourrait le reconnaître s’il le rencontrait. Selon lui, jamais il n’a été question de 30 000 dollars pour se faire libérer. Mais il dit savoir que Badio a pu faire libérer d’autres personnes de la prison», dit l’employé du RNDDH.

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Mais quoi qu’il dise, cette pratique de paiement contre liberté, Markington Philippe la connaît bien pour l’avoir aussi utilisée à une époque. C’est ainsi qu’il avait rencontré Faustin, ainsi connu, autre grand suspect du meurtre de Jean Dominique et de Jean Claude Louissaint.

Faustin, lui aussi inculpé après la mort du journaliste et du gardien de Radio Haïti, aurait contacté Markington quelque temps après l’assassinat de Jean Dominique par le biais d’une amie commune, une certaine Victoria. Cette amie lui avait assuré que Markington avait le bras long, et qu’il pouvait faire sortir de prison qui il voulait.

Faustin lui, veut libérer quelqu’un, arrêté en marge d’une fouille à l’aéroport Toussaint Louverture. Markington et lui se rencontrent et discutent des formalités, y compris le montant de 15 000 dollars américains que coûtera cette extraction.

Il assure à Faustin qu’il connaît le commissaire du gouvernement. Ils se rencontrent d’ailleurs tous les trois dans la voiture du commissaire du gouvernement de l’époque, au parquet de Port-au-Prince,  pour discuter de l’affaire.

Mais lors de sa première rencontre avec Faustin, Markington, selon ses dires, lui a affirmé qu’il travaille sur le dossier Jean Dominique, pour le compte du ministre de la Justice, parce qu’il dit connaître les coupables.

Sauf que Markington Philippe se révèle un véritable menteur, un trait qu’il revendique lui-même. En effet, une fois inculpé par la justice, Markington Philippe change sa version des faits à chaque nouvelle audition. Aux quatre juges instructeurs qui l’ont auditionné, il fournit quatre histoires contradictoires. Des enregistrements audios d’auditions de Philippe Markington, Faustin, ainsi que des extraits sonores de journaux de l’époque sont disponibles sur le site de Duke University, qui a numérisé des années d’archives de Radio Haïti.

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C’est après l’affaire Jean Dominique que le nom de Markington Philippe fait la une des journaux du pays. On ne sait pas trop d’où il vient, mais comme le héros de la série Blacklist,  il semble qu’il connaît tout le monde et que tout le monde lui doit un service.

C’est ce qu’il fait croire en tout cas à Jean Senat Fleury, le premier juge d’instruction placé sur l’affaire du double assassinat. Il y a vingt ans, dans ses premières déclarations lors des auditions du juge, il cite des noms à tout va. Commissaires du gouvernement, ministre de la justice, diplomates américains ou consuls d’autres pays, il affirme qu’il les connaît. A l’époque, il est employé à l’autorité portuaire nationale, mais ne cesse de se réclamer du parti Fanmi Lavalas, pour le compte duquel il dit s’occuper de réunions politiques.

Il est d’abord allé trouver les autorités policières, pour donner les détails de ce qu’il dit savoir sur le double meurtre. Mais il devient rapidement un grand suspect.

Philippe Markington est très vite inculpé comme l’un des exécutants du crime sur la personne de Jean Dominique et Jean Claude Louissaint. Il se défend, affirmant son innocence. Mais il admet qu’il n’a pas cessé de mentir aux interrogatoires. L’un des premiers mensonges qu’il dit avoir donné, concerne les co-accusés du crime Dimsley Milien, dit Ti lou, et Jean Daniel Jeudi, alias Guimy. Il finit par avouer à l’un des juges instructeurs qu’il voulait seulement les faire mettre en prison, parce que selon ses dires ils étaient deux bandits qui habitaient son quartier. Ils ne seront pas relâchés pour autant, car d’autres témoignages, dont celui du sénateur Dany Toussaint, accusé d’être l’auteur intellectuel du double assassinat, leur nom est aussi mentionné.

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Les mensonges de Philippe Markington, admis comme tels par le concerné au cours des audiences sont légion. Avant d’être inculpé, il travaillait à l’autorité portuaire nationale, et aussi à la PNH en tant qu’informateur.

A ce titre, il partageait de temps en temps des informations avec le diplomate Daniel Whithman, chargé d’affaires à l’ambassade américaine. Leur dernière rencontre officielle a eu lieu après l’assassinat du journaliste et de son gardien. Pourtant, Markington Philippe assure que les informations qu’il fournissait à l’Américain étaient fausses. L’idée, assure-t-il, était de prêcher le faux pour obtenir le vrai. Il essayait ainsi de soutirer de vraies informations de Whitman, qu’il acheminait à quelqu’un au sein de l’organisation Fanmi Lavalas. C’est un certain général Lherisson qui recueillait ce qu’il avait glané à l’ambassade.

Mais selon Daniel Whitman, dans des déclarations faites à AyiboPost, il savait qu’il fallait ne pas se fier à cet homme. “Je n’ai jamais cru une seule parole de Markington Philippe, dit-il. Je l’ai rencontré deux fois seulement, il y a 22 ans de cela. En tant qu’employé aux affaires publiques, je rencontrais beaucoup de personnes et je ne refusais pas de leur parler.”

Le prévenu a aussi admis qu’il mentait régulièrement au ministre de la Justice, et qu’il s’apprêtait à le faire encore, le jour où Faustin et lui se sont rencontrés pour la première fois. Il comptait ainsi amadouer le garde des sceaux, qui avait le pouvoir de lui faire retrouver son job à la PNH qu’il semblait avoir perdu.

Dans l’histoire de Markington Philippe, certains noms reviennent aussi sans arrêt. Celui de Daniel Whitman, qui a fait l’actualité en 2021, était aussi très connu dans à l’époque.

Mais il y a aussi le juge Yvickel Dabrezil. Il est l’un des juges instructeurs qui menaient l’enquête sur Jean Dominique et Jean Claude Louissaint. Près de vingt ans plus tard, on le retrouve à Petit-Bois, impliqué jusqu’au cou dans le plan qui vise à remplacer Jovenel Moïse. En tant que juge à la cour de Cassation, Dabrezil était un candidat naturel à la Présidence, après la destitution du feu Moïse. Ayibopost n’a pas pu entrer en contact avec le magistrat. Cet article sera mis à jour avec son intervention, s’il y consent.

Widlore Mérancourt a contribué à cet article. Photo de couverture : une façade de la prison civile de Port-au-Prince en janvier 2022 par Carvens Adelson pour AyiboPost.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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