La dépression post-partum peut avoir de terribles conséquences sur la mère ou l’enfant
« Quand j’allaitais ma fille, j’étais en colère et triste à la fois au point de me demander pourquoi diable ai-je enfanté. » C’est le témoignage de Carline Sévère, la propriétaire de la marque de bijoux Kafedore. La créatrice venait d’avoir en 2016 son enfant unique de quatre ans pour qui elle témoigne beaucoup d’amour.
Cependant, la maman se sentait gênée à la vue du nouveau-né. « Je me négligeais. Je buvais de l’alcool à longueur de journée pendant l’allaitement. Je pleurais souvent et je ne travaillais plus. Le pire, c’est que je n’avais aucun appui émotionnel, j’étais seule et le père de ma fille était rarement présent », se souvient-elle.
Carline Sévère est restée dans cet état pendant sept mois. C’est ce qui a chamboulé sa relation avec le père de son enfant qui d’après elle, ne comprenait pas son comportement à l’époque. « Il n’y avait pas de communication entre nous. Il pensait que j’avais une dent contre lui ou que c’était lui le problème. Alors que je n’avais aucune explication à ce qui m’arrivait. »
En vrai, Carline Sévère a manifesté certains des symptômes de la dépression post-partum. C’est un trouble psychologique survenant quelques jours après un accouchement. Pour se remettre, Sévère s’est dit qu’elle devrait prendre soin d’elle et de sa fille. Elle s’est aussi confiée à des amies qui l’ont aidé à passer le cap.
Une affaire mystique ?
En Haïti, le phénomène est culturellement connu sous le nom de « lèt monte nan tèt ». Souvent, on l’associe au mysticisme ou à un sort naturel. Selon le gynécologue obstétricien, Stéphane Michel, la dépression post-partum n’a rien de superstitieux.
Le médecin affirme que l’accouchement est suivi de plusieurs réactions émotionnelles de base. « Les femmes peuvent ressentir un profond soulagement, de la joie et de la gratitude que le nouveau-né soit en santé. Cependant, toutes les mères ne réagissent pas de la même manière. Certaines ont un sentiment de détachement après l’accouchement », explique le médecin.
Dr Stéphane Michel évoque le terme « maternity blues » ou « baby blues » pour parler d’une réaction physiologique courante relativement légère et passagère qui affecte 50 à 70 % des femmes au post-partum. Ses symptômes, qui sont des sentiments comme la peur, une perte d’énergie, la tristesse suivie de pleurs, ne durent pas plus de deux semaines après l’accouchement.
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Le médecin parle également de la dépression maternelle ou psychose puerpérale qui est une réaction plus sévère que le baby blues. Elle affecte 10 à 15 % des nouvelles mères. Pendant le passage de cette dépression, les mères ressentent notamment des sautes d’humeur, de la confusion, des difficultés de concentration, céphalée, tristesse, amnésie, dépersonnalisation, hallucinations et à un stade avancé, elles développent des pensées négatives au sujet du bébé.
Dans certains cas sévères, la dépression peut occasionner le suicide ou l’infanticide. « Quand la dépression dure plus de deux semaines ou commence après les premiers dix jours du post-partum, on peut évoquer la dépression du post-partum (DPP) », continue Stephane Michel.
Des réactions prononcées
« C’est la présence même de l’enfant qui provoque la problématique dépressive dans la dépression post-partum », précise la psychologue clinicienne Johanne Refuse. Durant ces dépressions maternelles, poursuit-elle, la mère peut se sentir menacée par le nouveau-né.
« La mère a des difficultés narcissiques telles qu’elle ne peut s’identifier au bébé, elle ne peut prendre plaisir à s’occuper de lui », avance la spécialiste. Parfois, la présence concrète du bébé qui demande des soins peut angoisser la maman, rajoute Refuse.
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Les facteurs de risques de la dépression post-partum peuvent être nombreux selon les spécialistes. Pour Refuse, le fait d’avoir vécu des événements stressants, d’être peu soutenue socialement, d’avoir une faible estime de soi ou d’avoir des problèmes conjugaux peuvent être à la base de la dépression post-partum.
Stephane Michel souligne pour sa part d’autres causes comme l’insomnie, les problèmes financiers, l’alcoolisme et la toxicomanie (abus et dépendance aux drogues). « Ces réactions peuvent ainsi s’expliquer par des changements physiologiques, une augmentation de stress par suite de changements de vie provoqués par l’arrivée du bébé », rajoute Johanne Refuse.
L’importance du support familial
La dépression post-partum n’est pas une condamnation.
On peut s’en remettre même en ayant de faibles moyens, selon la psychologue Johanne Refuse. « Autres que les médicaments qui nécessitent de l’argent, il existe de nombreuses solutions alternatives telles que le soutien émotionnel, dit-elle. En Haïti, par exemple, nous avons la famille élargie et même des personnes de notre communauté (voisins/voisines) qui peuvent apporter leur soutien. Le meilleur comportement est de parler, de demander de l’aide. »
Tout compte fait, l’essentiel pour la femme est de s’entourer d’un réseau de soutien, d’amis proches et de la famille et aussi du père de l’enfant. « Lorsque la mère est entourée de personnes tout le temps, elle ressent leur amour et leur soutien. Elle ne se sent plus seule et est en sécurité. Les exercices physiques aident aussi. »
Refuse souligne que l’environnement aimant peut aider la mère à redécouvrir le côté positif de choses, à reprendre sa vie en main et à retravailler son image.
Quand la dépression persiste malgré le soutien reçu et que les émotions deviennent envahissantes, les experts recommandent aux mères de solliciter une assistance psychologique ou médicale.
Laura Louis
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