SOCIÉTÉ

Les policiers haïtiens n’apprennent pas à conduire à l’académie de police

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Même s’ils sont appelés à faire régner l’ordre dans la circulation, les policiers reçoivent une formation qui ne tient pas compte de la conduite automobile

Sale, sans phares, des feux de signalisation en lambeau, des portières déchiquetées, pare-brises éclatées, des pare-chocs qui trainent sur le macadam… Les véhicules de police réduits en carcasses ambulants qui circulent dans le pays renvoient d’abord à la dangerosité du métier.

Cependant, la plupart des agents de la Police nationale d’Haïti (PNH) ne savent pas conduire une voiture. Des cours de conduite automobile ne sont pas dispensés à l’académie où ils sont formés, témoignent des policiers de plusieurs promotions et un responsable de la structure d’enseignement.

Du coup, les jeunes policiers apprennent à conduire sur le tas, en payant une auto-école ou carrément dans les rues avec les véhicules de la PNH.

Kendy Mompremier est un policier issu de la 23e promotion. Il pilote quotidiennement un des véhicules d’un commissariat de la région métropolitaine de Port-au-Prince. Mompremier a suivi un cours de « circulation routière » pendant les neuf mois de formation passés à l’académie de police. Le hic est que cette formation se dispensait uniquement sur une base théorique.

Mompremier ironise. « En réalité, l’aspirant policier sait très bien conduire dans un code de la route, mais n’a jamais touché le volant d’un véhicule sous la supervision d’un formateur de la police ».

Requérant l’anonymat, un des responsables de l’Académie de police a confirmé cette information. Selon ce dernier, l’absence d’un cours de conduite automobile dans l’enseignement prodigué s’explique par un manque de budget. « [Les aspirants policiers] peuvent ne pas savoir conduire, mais ils connaissent tous les principes », clame le responsable.

Résultat, des véhicules neufs de la PNH deviennent des carcasses en un temps record. De plus, des agents sont sempiternellement assignés à des commissariats, sans possibilité de transfert, puisqu’ils sont les seuls à y savoir piloter une voiture.

Un paradoxe bien choquant

Michel Odige a intégré la PNH en 1996. À l’époque, il faisait partie de la 3e promotion de l’institution. Lui et ses collègues furent formés au Missouri aux États-Unis d’Amérique. Odige confie que durant les trois mois de formation, tous les aspirants policiers de sa promotion ont appris à conduire.

Cependant, avant de quitter l’institution policière en 2006, Odige qui a arpenté divers commissariats du pays, dit avoir constaté que les nouveaux policiers, fraichement accrédités dans les commissariats « ne savaient pas piloter un véhicule ». D’après Odige, la formation en conduite automobile qui autrefois était offerte a cessé depuis la 8e promotion. La PNH compte 30 promotions.

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Cette réalité s’observe même au sein des unités proches des décideurs politiques. Luckenson Moleus est un agent de l’Unité de Sécurité générale du Palais national (USGPN). Issu de l’une des dernières promotions de la PNH, Moleus s’est « débrouillé » seul pour apprendre à conduire une automobile. S’il roule aujourd’hui dans le cortège présidentiel, personne n’a daigné vérifier ses compétences de chauffeur.

Photo: Samuel Celine / Ayibopost

Des intérêts bien particuliers

Pourtant, des véhicules frappés de l’inscription « auto-école » peuvent être observés dans l’institution policière. Ils sont utilisés par les responsables de l’académie pour la réalisation de leurs activités personnelles, dénonce Luckenson Moleus.

Ces voitures servent à la formation de quelques policiers, réplique le responsable de l’académie, cité plus haut. Selon ses dires, les séances de conduite automobile dépendent cependant de « l’humeur du formateur qui peut décider de faire pratiquer tel aspirant et de ne pas le faire pour d’autres ». Le responsable soutient que la formation théorique suffit pour aider les policiers à bien réguler la circulation.

Une opportunité d’apprendre à conduire existe bien au sein de l’académie de police, précise Robert Charité, un policier issu de la 21e promotion. « La formation théorique est gratuite, mais pour la pratique, l’aspirant policier doit débourser 500 gourdes pour chaque séance alors qu’il s’agit d’un véhicule de la PNH portant l’inscription auto-école ».

Selon Charité, seuls quelques aspirants de sa promotion avaient les moyens de s’offrir ces séances pratiques.

Un problème généralisé

Autrefois, le leadership de la PNH faisait appel à des auto-écoles déjà établies pour former des policiers.

Anderson Charles qui enseigne la conduite automobile au Champ de Mars bénéficiait de ces contrats de moniteurs. « Depuis l’arrivée de Michel Joseph Martelly au pouvoir en 2011, révèle Charles, on a tout bonnement cessé de faire appel à mon auto-école pour la formation pratique des aspirants policiers. »

Les agents qui manipulent des deux-roues sont aussi concernés. Selon Diego Olicier qui fait partie du Corps des Brigades d’Intervention motorisées, à part la 19e promotion sorti en 2007, seuls quelques jeunes de la 20e promotion ont bénéficié d’une courte formation à moto. « Les autres arrivent sans aucune notion et doivent se débrouiller pour apprendre sur le tas ».

Le nom des policier a été changé pour protéger leur identité. 

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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