Orgies, threesome et autres expériences sexuelles atypiques font partie du quotidien des jeunes du pays. Témoignages.
Bob, Josué, Joshua et Carine sont tous de jeunes haïtiens habitants à Port-au-Prince. Ce sont des professionnels et des étudiants ne dépassant pas la trentaine et qui, pour la plupart, vivent encore chez leurs parents.
Présentés de cette façon, ces quatre jeunes semblent n’avoir rien de spécial à raconter. À part qu’ils ont tous, et à plusieurs reprises, font l’expérience d’une soirée d’orgie sexuelle soit en tant qu’organisateurs ou simples participants.
Pour Bob, jeune homme de 27 ans, cela a commencé lorsqu’il était en classe terminale, avec ses camarades de classe, en 2012.
« Ma première fois s’est mal finie, on ne savait pas trop ce qu’on faisait. Il y avait certaines des filles qui depuis le début refusaient d’avoir des rapports sexuels, raconte-t-il. À cause de cela, certains d’entre nous en sont sortis frustrés, parce qu’ils n’ont pas eu du plaisir. »
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Des années après, ce jeune professionnel, explique avoir fait la connaissance d’un homme dans une salle de gym. Celui-ci organise des soirées plusieurs fois par année pour un public très privilégié. Bob deviendra son ami et ce dernier l’invitera à un de ces rendez-vous orgiaques, malgré son incapacité à payer l’entrée.
Pour cette grande première, Bob rapporte avoir pris plus de plaisir à regarder que participer. Mais, il a fini la soirée avec une fille qu’il a entraînée à l’écart. Pour Bob, prendre part à ces soirées c’est libérer ses démons intérieurs.
« C’était compliqué pour moi à l’époque parce qu’il fallait que je trouve un alibi pour sortir de chez moi à 21 heures et rentrer le lendemain, se remémore-t-il. J’étais en admiration, parce que je ne pensais pas que de tels évènements se réalisaient en Haïti. »
« C’était un vrai méli-mélo. Nous étions trois hommes avec six femmes », rapporte Josué.
Dans les faits, l’homme de la gym possède une grande maison avec un large parking intérieur comblé de voiture. « La soirée a débuté avec un strip-tease, puis un show de femmes lesbiennes qui s’accouplent. Et finalement, tout le monde s’est amusé entre eux dans toutes les pièces de la maison. »
Trois hommes et six femmes
Josué est encore étudiant en droit, il habite à Carrefour. De son côté, c’est en 2019 qu’il a goûté aux orgies. Depuis, il compte quatre expériences. Pour la première, ils étaient quatre en tout, deux hommes et deux femmes. C’était un ami qui avait amené les filles.
Pour la deuxième occurrence, les mêmes personnes se sont présentées et à la troisième, ils ont décidé de passer à la vitesse supérieure en ajoutant une autre fille.
La quatrième et dernière séance remonte à décembre 2019. « C’était un vrai méli-mélo. Nous étions trois hommes avec six femmes, et aucune d’elles n’était présente lors des trois premières fois », rapporte Josué.
Vingt femmes dans une maison
De son côté, le groupe de Joshua compte généralement entre cinq à huit hommes qui ont la responsabilité d’inviter les filles. Parfois, ils réunissent parfois jusqu’à vingt femmes dans une maison à Santo.
Ils ne restent pas tout le temps dans l’immeuble. Certains rentrent chez eux et reviennent. Parfois, ils sortent ensemble pour se rendre à la plage ou ils quittent Port-au-Prince pour aller s’amuser dans une ville de province.
Les orgies remontent à l’antiquité gréco-romaine rapporte Fabrice Torchon, professeur de philosophie.
Quant à Carine, jeune demoiselle qui vient à peine de terminer ses études classiques, c’est le partage du lit d’un couple marié, après leur invitation, qui l’a initié aux rapports intimes avec plusieurs partenaires simultanément. Depuis, elle ne peut plus compter combien de fois elle a eu ce type de relations. Elle souhaite désormais participer à des séances d’orgies plus poussées.
Une ancienne pratique
Les orgies remontent à l’antiquité gréco-romaine rapporte Fabrice Torchon, professeur de philosophie. Comme dans les « soirées sexes en groupe » de ces jeunes, des Grecs et des Romains se réunissaient, buvaient, mangeaient et se prodiguaient du plaisir mutuellement. Les orgies sont donc aussi vieilles que le monde, de même que la prostitution, raconte Torchon.
Pour le professeur de sociologie, Joseph Séjour, ces pratiques ne sont pas si nouvelles que cela en Haïti. Selon Séjour, tout ce qui existe ailleurs, existe aussi en Haïti, mais peut-être à un degré moindre. « Ces pratiques ne sont pas régulières, mais je connais dans mon entourage des personnes qui participent à des orgies depuis plus de vingt ans. »
De son côté, la sexologue Laeticia Degraff, observe que ces pratiques ont évolué avec le temps et ont revêtu diverses formes. « Elles passent par différentes périodes d’acceptation et de réprobation par rapport aux sociétés dans lesquelles elles se développent. » D’où la clandestinité d’aujourd’hui en Haïti, malgré l’influence importante de la révolution de l’audiovisuelle.
Facile à organiser
Organiser des soirées de type orgie, threesome ou autres n’est pas compliqué, expliquent Bob, Josué, Joshua et Carine. En règle générale, ils recherchent des personnes intéressées, un espace, beaucoup d’alcool, des préservatifs, un moyen de transport si nécessaire, et de la bonne musique pour mettre de l’ambiance.
De plus, ce sont les hommes qui paient pour les dépenses puisque les femmes sont des invitées (sauf si l’une d’entre elles est l’organisatrice de la soirée).
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L’espace et l’heure sont choisis dépendamment du groupe. Par exemple, Bob et ses amis se rencontrent souvent le soir, dans une maison dédiée ou dans une chambre.
Josué et son groupe lui, se donnent rendez-vous le plus souvent durant la journée, dans une maison, et se séparent le soir. Joshua et sa bande ne se voient que deux fois par an et toujours dans une maison qu’ils ont préalablement louée. Ils peuvent y passer près de deux semaines et dépenser jusqu’à 2 000 dollars américains.
Un film X, sans caméras
Pour Josué, participer à une orgie donne l’impression d’être plongé dans un film porno, sans les caméras. Même s’ils sont tous dans une grande maison, finalement une seule pièce sera utilisée durant les ébats.
Les différentes étapes de l’acte sont prodiguées à tour de rôle et souvent simultanément. Les échanges de partenaires sexuels aussi se font au rythme de leurs envies. Cependant, les participants qui ne souhaitent pas se mélanger avec les autres sont libres de prendre une fille et de s’isoler dans une autre pièce.
Cependant, Bob explique que les personnes qui prennent part à ce genre d’activité y participent avec toutes leurs idées préconçues et leurs préjugés sur le sexe. Rares sont donc ceux qui vont tenter de faire quelque chose qu’ils n’ont jamais fait avant.
Des précautions à prendre
Il y a des règles primordiales à respecter dans une soirée orgiaque, selon Bob qui en organise lui-même depuis quelque temps. Premièrement, il faut prouver que l’on s’est fait dépister pour les maladies sexuellement transmissibles qui sont communes et utiliser strictement des préservatifs lors des rapports sexuels.
Deuxièmement, l’hôte ne doit pas prendre part aux réjouissances. Il doit garder la tête froide et s’assurer que tout se passe bien pour les participants.
Troisièmement, il ne faut pas laisser de traces. C’est pour cela que l’utilisation des Smartphones ou autres matériels pouvant filmer est interdite durant ses soirées. Et finalement, les filles doivent être majeures et plus nombreuses que les garçons. Pour recruter ces femmes, Bob explique que son ami puise dans son réseau de contacts extensif.
Libre exploration de la sexualité
Le secret et la clandestinité de ces initiatives soulèvent des questions morales. La sexologue Laeticia Degraff refuse de porter des jugements de valeur. Pour elle, il y a de nombreuses raisons qui peuvent pousser une personne à s’adonner à ce type d’activité. Il peut s’agir de l’affaire d’une soirée, ou des arguments convaincants d’un partenaire. La personne peut également vouloir mettre un peu de piment dans sa vie.
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Le philosophe Fabrice Torchon, met lui accent sur le consentement et la légalité de ces activités. « Toutes les sociétés ont des espaces où les gens peuvent explorer leur sexualité librement, en respectant les cadres légales prévues par la loi, sans déranger personne, argumente-t-il. De plus, ces pratiques ne sont pas dégradantes ni dénaturantes pour les personnes qui s’y adonnent. »
Cependant, les orgies en Haïti se font à l’image du pays et de ses idées dominantes. Joshua précise qu’il n’accepte pas les rapports homosexuels masculins, même si les femmes peuvent s’organiser entre-elles. Dans le groupe de Josué, ils sont six femmes pour trois hommes. « Ce sont des occasions pour que la domination masculine se manifeste dans toute sa splendeur », analyse le sociologue Joseph Séjour.
Les premiers contacts
Dans ces soirées, l’hôte joue un rôle de premier plan. Selon Bob, il doit rassurer les participants et les mettre à l’aise. Néanmoins, dès que les gens sont dans le bain, l’ambiance devient chaude, les couples, trio ou quatuor se forment d’eux-mêmes.
« On commence souvent par une activité [non sexuelle], décrit Josué. Par exemple, la première fois, on a fait un barbecue. Il y avait de la musique, on blaguait entre nous, mais de temps en temps on se touchait l’un l’autre, juste pour se familiariser avec la personne avant de passer aux choses sérieuses ».
Les orgies sont des moments de pressions et de compétitions entre les hommes.
Toutefois, Josué révèle que même s’ils essaient de faire connaissance, ils évitent soigneusement de partager des informations personnelles avec leurs partenaires. Ils n’essaient pas de garder contact ou de se faire des amis : ce n’est pas l’objectif du moment.
Malgré tous les préparatifs, les imprévus se pointent parfois. Bob partage qu’une fois, un de ses amis n’arrivait pas à bander. « C’était dû au stress, parce qu’il assure ne souffrir d’aucun problème érectile. Il était sans doute un peu dépassé par les événements avec autant de personnes nues autour de lui. »
En vrai, ces séances sont aussi des moments de pressions et de joutes masculines rapporte Bob. « Les hommes entrent en compétition entre eux pour savoir lequel va le plus durer qu’un autre, lequel va rebander le plus rapidement qu’un autre, ou lequel va débander et ne plus pouvoir remonter le terrain. »
La question du consentement
Ce terrain, surchauffé par l’alcool, l’adrénaline et la musique, peut s’avérer glissant pour les questions de consentement. Pour Bob, si certaines des filles refusent parfois de faire l’amour, c’est généralement parce qu’elles sont très jeunes et inexpérimentées.
La plupart des autres filles que Bob a l’habitude de côtoyer dans ce genre de soirées — souvent des professionnels, des étudiants et des élèves — sont sûres d’elles, et savent exactement à quoi s’en tenir, puisqu’elles sont à la recherche d’un plaisir partagé.
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« Je me souviens de la dernière fois. Il y avait une femme qui portait un masque, car elle ne souhaitait pas que son visage apparaisse, de peur de croiser l’un d’entre nous après dans le cadre de son travail, révèle Bob. Et une autre qui disait que faire l’amour avec son petit-ami était ennuyant, et qu’elle cherchait quelque chose d’excitant. »
Il y a également le risque de transmission d’IST. « Les gens devraient bien réfléchir avant de dire oui à [de telles] propositions, estime, la sexologue Laeticia Degraff. « Malgré toutes les précautions et un grand effort d’organisation ou de professionnalisme de la part de l’hôte, dès qu’il y a usage de l’alcool ou autres drogues la question consentement devient floue. »
Arrêter ? Je ne sais pas trop.
Malgré ces risques évidents, les orgies ont de plus en plus d’adeptes parmi la jeune génération. À part Carine qui n’envisage pas d’arrêter, Bob, Josué et Joshua avouent qu’ils devront tous mettre un terme à cette vie un jour.
« Participer et organiser ces soirées demande beaucoup d’énergie et charrie une charge émotionnelle assez considérable, partage Bob. Je ne peux pas à chaque fois mentir à ma compagne, me trouver un alibi, etc. Je suis à ma neuvième participation, peut-être à ma douzième, je vais abandonner. Ou peut-être à ma quatorzième, je ne sais pas trop. »
Hervia Dorsinville
Bob, Josué, Joshua, Carine et Joseph Séjour sont des noms d’emprunt utilisés pour protéger l’identité des intervenants.
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