Certains hôtels sont effectivement fermés, mais la jeunesse refuse d’attendre la fin du confinement
Depuis la route de Bourdon jusqu’à l’Avenue Christophe, beaucoup de petits et moyens hôtels où les gens pouvaient passer du moment intime, ont fermé leurs portes. Devant la plupart de ces établissements, on ne voit que des chauffeurs de motos qui attendent qu’un passager vienne solliciter leur service, vendredi 3 avril dernier.
Ce panorama dépeuplé reste cependant trompeur. Par ces temps où les autorités sanitaires recommandent la distance sociale et le confinement pour diminuer les risques de transmission du Coronavirus, beaucoup de couples continuent de se voir pour faire l’amour, à l’hôtel ou ailleurs.
Moins de clients que d’habitude
La Guest House Tifou à Carrefour Tifou ne voit presque plus ses clients. En y rentrant, l’on a l’impression que le lieu est déserté. Il n’y a que deux hommes assis à des tables différentes.
« Les responsables de l’hôtel ne viennent plus travailler parce que l’établissement n’a plus la même affluence qu’avant. Ils laissent l’espace ouvert sous la supervision de quelqu’un au cas où un couple voudrait passer un moment », explique l’un des hommes.
À quelques mètres de la Guest House Tifou, se trouve un autre hôtel qui lui aussi continue de fonctionner. Sur la porte d’entrée de l’institution, un petit papier avec des images explique comment se prévenir du Covid-19, nom scientifique du nouveau Coronavirus.
À l’intérieur de la maison d’accueil, il y a une grande salle avec des tables alignées de deux côtés. Même quand il est 4h de l’après-midi, l’on a l’impression qu’il est tard avec le système d’éclairage de la salle.
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Il y a seulement deux personnes dans l’enceinte, un homme et une femme. Assis à une table, ils donnent l’impression de respecter la distanciation sociale tant ils sont éloignés l’un de l’autre. Le couple parle très fort, mais l’on ne peut rien saisir à cause du haut-parleur de l’hôtel qui crache le tube Kansè de Richard Cavé et Rutshelle Guillaume.
Après environ 30 minutes, les tourtereaux prennent rapidement la direction d’une porte qui n’est pas celle de la sortie. « Les femmes sont souvent très timides. C’est pourquoi les hommes viennent souvent payer sans [elles] », confie un des responsables qui n’a pas voulu identifier ni son nom ni celui de l’hôtel.
Avant l’arrêté déclarant l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire national, l’établissement fonctionnait de huit heures du matin à dix heures du soir. À cause du couvre-feu, l’on ferme tous les soirs à 8 heures PM. Le nombre de visiteurs a aussi diminué depuis selon les hommes qui gèrent l’établissement.
« Hier, on a reçu 17 moments. Aujourd’hui on n’en a eu que six », raconte le responsable qui précise qu’avec 500 gourdes, les clients ont droit à une chambre pour deux heures, c’est ce qu’ils appellent ‘moment’.
Selon les experts, le nouveau Coronavirus ne semble pas se transmettre sexuellement. Mais les échanges de salives et les bruyantes respirations qui ont cours durant les ébats intimes permettent la transmission de la maladie.
Confinement intime
Si les hôtels sont fermés ou reçoivent très peu de demandes, c’est parce que beaucoup des personnes qui les fréquentaient ont trouvé des alternatives pour passer leurs moments voluptueux.
L’artiste Jack Sander Cemeus est un jeune que le confinement a vraiment affecté. « Je lis, je dis des textes, je joue de la musique, mais aucune de ces activités ne peut remplacer les moments de jouissance que je connais d’habitude avec ma partenaire. »
Toutefois, Cemeus trouve quand même un moyen pour voir sa partenaire. « La situation que nous vivons maintenant est assez spéciale, dit-il. Pendant le ‘pays lock’, on pouvait braver certains dangers pour sortir, mais maintenant, si on sort, on risque de contracter la maladie. Pendant la période de confinement, on fait de grands sacrifices pour se voir chez moi ou chez elle. C’est la seule personne que je laisse rentrer chez moi ».
Cemeus rajoute qu’il n’aime pas les plaisirs solitaires donc la seule façon pour lui d’assouvir ses pulsions sexuelles est de voir sa petite amie.
Comme beaucoup de jeunes du pays, Cemeus couve une nostalgie pour la liberté d’avant les recommandations de confinement. « On ne se voit pas avec la même régularité, parce je tiens quand même à respecter les mesures préventives (…). On se parle très souvent au téléphone. »
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Pour éviter les contacts avec d’autres personnes, Cemeus avance que sa petite amie et lui priorisent le transport à moto ou en voiture privée quand ils doivent se voir.
Pour Vastie Falonne Vilsaint, étudiante en Diplomatie, rien n’a changé dans ses rencontres avec son partenaire à part le fait qu’elle ne va plus dans les hôtels. « On oublie les hôtels, souligne-t-elle. Mais on ne respecte aucune consigne concernant le Coronavirus. Je vis pratiquement seule, mon petit ami vient chez moi ou je vais chez lui. Récemment, il est venu me voir, on a joué ensemble, on s’est embrassé, puis, on a pris une douche et après on a fait l’amour. »
Si à Port-au-Prince, certains jeunes évitent de se rendre dans les hôtels, à Port-de-Paix la réalité est tout à fait différente selon Richardson Dorsaint, un étudiant en Sociologie qui va passer un séjour dans la zone.
« Il n’y a pas de confinement à Port-de-Paix, lance-t-il. Il y a presque partout des dispositifs pour se laver les mains, on essaie de gérer la distanciation sociale, mais toutes les institutions continuent de fonctionner sauf les écoles et les églises. Donc, si j’ai besoin de voir quelqu’un, on se voit sans problème, à l’hôtel ou chez nous. »
Se retenir
Certains jeunes essaient quand même de respecter les consignes. C’est le cas de Mikerlande Jules, une étudiante en Chimie qui a renoncé à l’idée de voir son petit ami à l’hôtel. « Pendant cette période nous avons limité nos rencontres pour respecter les mesures préventives. Nous parlons beaucoup au téléphone », explique la jeune femme de 26 ans.
Joel Jean Baptiste, un jeune informaticien recourt lui aussi aux appels téléphoniques avec sa copine. « On ne s’envoie pas de photos dénudées ni de sextape. Mais on discute de notre manque de sexe au téléphone. »
Jean Baptiste voyait sa petite amie à l’hôtel. Le jeune homme avoue qu’il est sur les dents à chaque jour qu’il passe, confiné chez lui. « Avant on faisait l’amour deux à trois fois par mois dépendamment de notre disponibilité. À cause du Covid-19, je suis maintenant obligé de m’adonner au plaisir solitaire. »
Tout fonctionne comme avant
Par ailleurs, certains établissements hôteliers enregistrent une affluence conséquente dans la zone métropolitaine. À Carrefour Feuilles, tout fonctionne comme avant. L’hôtel Kay Président Sheelove sur la place Jérémie opère à l’image du quartier.
Dans la localité, des hommes jouent au Basketball devant beaucoup de spectateurs. De petits restaurants reçoivent encore leurs clients. De jeunes gens discutent entre eux sans respecter la distanciation sociale.
Devant l’hôtel Kay Président Sheelove, il y a un grand récipient qui contient de l’eau pour que les gens puissent se laver les mains même si les tenants de l’endroit ne croient pas que le Covid-19 soit en Haïti.
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« La personne qui a promis que le pays allait avoir le courant 24/24 est la même qui annonce que le virus est dans le pays. Comment voulez-vous que je croie à une telle information ? » C’est la déclaration de l’un des hommes qui gèrent la réception de l’hôtel.
En entrant à Kay Président Sheelove, on ne peut pas manquer l’image d’une dame complètement nue qui s’impose sur le mur de l’hôtel. Il y a aussi des photos de la star américaine Marilyn Monroe. Sur l’un des clichés de la star, il y a une inscription en anglais qui se lit : « sex is a part of nature. I go along with nature. » Littéralement, « le sexe fait partie de la nature. Je suis en accord avec la nature ».
Quelques chaises sont disposées pour recevoir les clients. Une seule dame est assise à l’intérieur. Ses yeux sont figés sur son téléphone. Cela étant, il y a beaucoup de personnes qui font des va-et-vient comme les serveuses de l’hôtel qui portent des t-shirts avec l’effigie du nom de l’entreprise. Elles viennent régulièrement chercher de la bière pour les clients assis au bord de la place Jérémie.
Malgré tout ce mouvement dans l’environnement de l’hôtel, ses responsables avouent qu’ils reçoivent très peu de demandes pour les chambres. « En un jour, nous pouvons recevoir deux à trois personnes. »
Laura Louis
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