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Leurs professeurs quittent Haïti, les étudiants en médecine de l’UEH à l’épreuve des cours en ligne

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«Les cours de stage pratique sont souvent transformés en cours théoriques», déplore un étudiant admis actuellement en internat à l’HUEH

Les étudiants admis à la Faculté de médecine et de pharmacie (FMP) de l’Université d’État d’Haïti (UEH) doivent suivre leurs cours sur internet dans un contexte où beaucoup de professeurs quittent le pays, révèle à AyiboPost le doyen de la FMP, Dr Bernard Pierre. Les quelques enseignants encore en Haïti insistent pour donner leurs cours «online», ajoute le médecin.

Les professeurs souhaitent éviter l’insécurité dans les environs de la FMP, située rue Oswald Durand, non loin du Palais national. Cependant, selon le Dr Pierre, un problème d’accès à internet empêche une bonne partie des étudiants de suivre correctement les cours en ligne. La Faculté cherche des ressources pour offrir un accès internet sur l’ensemble du campus, mais les démarches tardent à se concrétiser.

Les jeunes médecins généralistes ne peuvent pas trouver non plus des encadreurs pour poursuivre leur spécialisation.

Les professeurs souhaitent éviter l’insécurité dans les environs de la FMP, située rue Oswald Durand, à moins de dix minutes du Palais national.

Normalement, après un cursus de sept à huit ans, la plupart des étudiants de la FMP se dirigent vers les hôpitaux publics qui dispensent une formation pour les médecins spécialistes, à la suite d’un concours organisé par la faculté. Cette liste d’établissements hospitaliers comprend l’hôpital universitaire La Paix, l’hôpital Justinien et l’hôpital de Mirebalais. L’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), plus grand centre hospitalier du pays, demeure le plus important.

Dans ces hôpitaux publics, au moins douze services de base sont impliqués dans la formation des médecins spécialistes, qui peut durer entre trois et quatre ans. Cependant, plusieurs de ces services importants sont sur le point d’être supprimés faute de moyens et de personnel.

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Par exemple, le service anatomopathologie de l’HUEH duquel dépend la «chirurgie» ne fonctionne plus depuis 2019 à cause du manque de matériels et d’intrants, fait savoir Desliens Ary, l’un des trois médecins résidents admis en formation de spécialisation en «chirurgie» au sein l’institution.

De plus, la plupart des médecins de service qui devraient encadrer ces médecins en spécialisation ne se rendent plus à l’hôpital.

Des médecins en résidence hospitalière sont aujourd’hui obligés d’intégrer des forums scientifiques à l’étranger pour pouvoir compléter leur formation, témoignent des personnes directement au courant de ces démarches.

La plupart des médecins de service qui devraient encadrer ces médecins en spécialisation ne se rendent plus à l’hôpital.

Tout a commencé à la fin de l’année 2020, après la flambée du coronavirus. Le Décanat de la FMP a alors adopté les cours en ligne en raison des cas d’insécurité spectaculaires enregistrés dans les parages de l’institution.

«Certains professeurs qui avaient décidé de ne plus mettre les pieds à la faculté ont opté pour la dispensation des cours en ligne», explique Jephté Emmanuel Mathieu, président de la promotion actuelle de finissants de la FMP.

Étudiant en 5e année, Mathieu est admis à la faculté depuis 2017. Il raconte rencontrer des difficultés pour suivre la deuxième phase de sa formation à la FMP, qui est normalement entièrement pratique et devait se dérouler en présentiel à l’HUEH. Actuellement, cette phase se déroule entièrement en ligne.

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«Les cours de stage pratique [des étudiants encore à la FMP] sont souvent transformés en cours théoriques», déplore Carl Emmanuel César, président de la promotion des étudiants admis à l’internat actuellement à l’HUEH.

Les moniteurs de stage évitent de fréquenter les environs de l’HUEH à cause de l’insécurité qui plane sur toute la zone, explique Jephté Emmanuel.

La plupart des professeurs qui quittent le pays se font remplacer par d’autres qui ne sont même pas aussi qualifiés qu’eux, ou à la hauteur, se plaint pour sa part, Ludjie Love S. Merilan, étudiante en 5e à la faculté de médecine.

La plupart des professeurs qui quittent le pays se font remplacer par d’autres qui ne sont même pas  aussi qualifiés qu’eux, ou à la hauteur.

– Ludjie Love S. Merilan

Même le certificat de spécialisation obtenu par ces médecins après la période de résidence hospitalière n’est pas validé par le Rectorat de l’UEH, dénonce Samuel Faldor, un médecin résident 2 en médecine interne à l’hôpital général. Ce certificat n’est pas reconnu parce que le Rectorat n’a pas le cursus de la formation et le profil des formateurs, apprend AyiboPost.

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Le Dr Jude Milcé, fraîchement intronisé comme directeur de l’hôpital général, confirme un taux élevé d’absentéisme parmi les médecins de service à l’HUEH.

Le service d’urgence, par exemple, compte dix-sept médecins de service, mais seulement deux d’entre eux viennent encadrer les médecins résidents, explique le Dr Samuel Faldor, résident en médecine interne à l’hôpital général.

«Livrés à nous-mêmes, nous sommes tous autodidactes aujourd’hui, déclare Dr Faldor. «Pour compléter notre formation, nous cherchons à nous joindre à d’autres communautés scientifiques à l’étranger.»

Livrés à nous-mêmes, nous sommes tous autodidactes aujourd’hui.

En raison des lacunes de son système d’enseignement, Haïti ne fait plus partie des pays éligibles pour une licence médicale américaine, selon les données de la Commission pédagogique pour les diplômés étrangers en médecine.

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La situation est alarmante. Les médecins résidents de l’hôpital général ont déclenché une grève générale le 22 décembre 2022 pour exiger de l’État haïtien de meilleures conditions de travail, la disponibilité des intrants et un salaire décent.

«C’est un hôpital dysfonctionnel», analyse le nouveau directeur, le Dr Jude Milcé.

L’hôpital général ne semble pas avoir un budget défini. «La directrice sortante, le Dr Jessy Colimon Adrien, m’avait dit que le budget s’élevait à 21 millions de gourdes, mais aucun document ne peut justifier cette somme et comment elle était ventilée. Du point de vue administratif, je ne sais pas combien d’argent est entré dans les caisses de l’hôpital général», souligne le Dr Jude Milcé.

Par Fenel Pélissier

© Image de couverture : Freepik


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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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