SOCIÉTÉ

Les compagnies d’assurance ne couvrent pas les soins comme prévu en Haïti

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Selon plusieurs témoignages recueillis par AyiboPost, lorsqu’un patient se rend à l’hôpital avec son assurance santé, il arrive fréquemment qu’il ne bénéficie pas de la réduction prévue. Contraint de payer l’intégralité des frais

Rosemène s’est sentie soulagée quand elle a souscrit à une assurance santé en 2023. Enfin, elle pensait être à l’abri d’une catastrophe financière en cas de maladie.

Mais en novembre dernier, après une crise de douleurs abdominales, Rosemène s’est rendue à un hôpital de Pétion-Ville qui figure sur la liste de son assurance. À la réception, le verdict tombe : l’établissement ne prend pas en charge directement les patients assurés par sa compagnie.

« J’ai dû payer la consultation et les examens de ma poche », déclare Rosemène.

Rosemène n’est pas un cas isolé. En Haïti, de nombreux assurés se plaignent de la qualité des services offerts par les compagnies d’assurance. Pensant bénéficier d’une couverture santé, certains découvrent au moment critique que leur assurance ne prend pas en charge les frais attendus.

Selon plusieurs témoignages recueillis par AyiboPost, lorsqu’un patient se rend à l’hôpital avec son assurance santé, il arrive fréquemment qu’il ne bénéficie pas de la réduction prévue. Contraint de payer l’intégralité des frais, il doit ensuite entreprendre des démarches personnelles pour obtenir un remboursement, un processus souvent long et lassant, qui peut s’étendre sur plusieurs mois.

En Haïti, de nombreux assurés se plaignent de la qualité des services offerts par les compagnies d’assurance.

En réalité, les compagnies d’assurance accumulent souvent beaucoup de retard avant de payer les hôpitaux ayant accepté de recevoir des assurés. À cause de ces retards, certains établissements de santé hésitent à accueillir des patients assurés.

« Ce n’est pas un refus de prendre en charge les bénéficiaires d’une assurance, mais les compagnies ne respectent pas toujours leurs engagements dans un délai raisonnable », explique le Dr Berthony François, PDG de l’Elohim Complexe Médical.

Certaines assurances « accumulent des dettes pendant près d’un an, ce qui complique la gestion quotidienne des soins dans un contexte où les hôpitaux doivent faire face à des dépenses constantes », poursuit le Dr François.

Le même constat s’impose du côté du Dr James Almazor, directeur de l’Hôpital Sage City Med, situé à Delmas 19. L’établissement, qui collaborait auparavant avec trois compagnies d’assurance basées à Port-au-Prince, a dû réduire ce partenariat à deux en raison de retards et de défauts de paiement.

Depuis environ quatre mois, l’hôpital n’accepte plus les assurés de l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA). Une décision difficile, mais nécessaire, selon le Dr Almazor.

« Ce n’est pas que je refuse de soigner les patients, mais lorsque l’assurance ne rembourse pas les prestations, c’est tout le fonctionnement de l’institution qui en pâtit », explique-t-il.

Selon le Dr Almazor, l’OFATMA doit à l’Hôpital Sage City Med des frais pour une intervention chirurgicale réalisée il y a deux ans. « Nous avons opéré un patient couvert par l’OFATMA, et à ce jour, nous n’avons jamais été payés. Toutes les démarches entreprises pour obtenir ce remboursement sont restées sans réponse », déplore le médecin, à la tête de l’hôpital depuis onze ans.

Ce n’est pas que je refuse de soigner les patients, mais lorsque l’assurance ne rembourse pas les prestations, c’est tout le fonctionnement de l’institution qui en pâtit

-Dr Almazor

Gladys Thomas, directrice générale de l’Hôpital Espoir, indique que l’établissement n’accepte plus les assurés de l’OFATMA depuis 2020 en raison de non-paiement. « La compagnie a accumulé des dettes envers nous depuis environ neuf ans. Elles avoisinent aujourd’hui des centaines de milliers de gourdes », précise-t-elle.

La responsable déplore la qualité du service offert par l’OFATMA. Elle affirme cependant que l’hôpital continue de collaborer avec d’autres compagnies d’assurance privées présentes sur le marché, bien qu’elles accumulent parfois certains retards dans leurs versements.

« Si un assuré ne peut pas bénéficier du service lorsqu’il a besoin d’obtenir des soins et qu’il doit payer tout le service lui-même, alors souscrire à une police d’assurance n’a presque plus de sens », déclare, frustré, Jean-Marc, employé d’une entreprise financière depuis deux ans à Port-au-Prince. Il affirme avoir suivi toutes les démarches depuis sa consultation en janvier : remplir les formulaires, joindre les factures… Pourtant, à ce jour, il n’a toujours pas été remboursé.

« Si je n’avais pas eu les moyens de payer les frais, je ne sais pas comment j’aurais fait », ajoute-t-il.

Rudy Sanon, assuré à l’INASSA, a vécu la même expérience que Jean-Marc en mai 2023. Il s’était rendu à l’Hôpital du Canapé-Vert avec sa femme, qui avait besoin de soins, dans un établissement pourtant couvert par le réseau de l’assurance.

« Quand je suis arrivé, ils n’ont pas accepté l’assurance. Ils m’ont dit de payer les frais du service normalement, puis d’aller faire les démarches auprès de la compagnie d’assurance pour obtenir un remboursement », explique Sanon, qui, découragé par la paperasse, a simplement décidé de régler les frais sans faire de recours.

Une ancienne assurée de l’International Assurance S.A. (INASSA), qui a requis l’anonymat, décrit une expérience marquée par l’insatisfaction, notamment en raison des délais importants dans les remboursements.

Employée d’une institution publique en Haïti, elle a bénéficié de cette assurance entre 2016 et 2022. Durant cette période, les défis ont été récurrents.

« Presque à chaque fois — au moins cinq ou six fois — que je recevais des soins en utilisant ma carte, je devais avancer la totalité des frais », confie-t-elle. « Et lorsqu’il s’agissait d’obtenir le remboursement prévu, les délais étaient souvent très longs, parfois plus de trois mois. »

La dame évoque notamment un épisode survenu en mai 2022. Ce jour-là, elle s’est rendue dans un laboratoire affilié au réseau de l’assurance, MedLab, situé à Canapé-Vert. « J’ai dû payer l’intégralité du service. Ce n’est qu’en août 2023 que j’ai finalement été remboursée », raconte-t-elle, amère.

Depuis, elle hésite fortement à renouveler sa police d’assurance. « Quand on avance les frais et qu’on attend des mois pour être remboursé, on perd confiance », conclut-elle.

Tout comme cette irrégularité pénalise les patients assurés, elle impacte aussi les professionnels de santé qui prodiguent les soins.

« Quand les assurances tardent à payer, cela crée un déficit dans mes revenus mensuels », déclare Ricarven Ovil, un médecin généraliste dans un hôpital privé à Tabarre.

Quand l’assurance met du temps à rembourser, « l’argent que je devrais recevoir en fin de mois diminue », explique Dr Ovil. Une situation d’autant plus difficile que l’hôpital, confronté à la précarité économique du pays, est lui aussi contraint de baisser ses tarifs.

Contactée par AyiboPost au sujet des difficultés rencontrées par les clients avec leurs polices d’assurance, l’INASSA n’a pas souhaité faire de commentaire.

Tout comme cette irrégularité pénalise les patients assurés, elle impacte aussi les professionnels de santé qui prodiguent les soins.

L’entreprise affirme être ouverte et disponible pour tous les clients en cas de réclamation ou de doléances.

Tout comme cette irrégularité pénalise les patients assurés, elle impacte aussi les professionnels de santé qui prodiguent les soins.

L’OFATMA, principal assureur de santé en Haïti, également contacté, n’a pas répondu aux demandes de commentaires d’AyiboPost.

En Haïti, le secteur des assurances évolue depuis plusieurs années dans un cadre réglementaire flou, marqué par un chevauchement de responsabilités entre le ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI) et le ministère de l’Économie et des Finances (MEF).

Selon la revue Développement des Connaissances & Compétences Financières publiée par la Banque de la République d’Haïti (BRH) en novembre 2024, un décret du 20 mars 1981 avait tenté de clarifier cette répartition des compétences.

Officiellement, c’est le MEF qui est chargé de la supervision du secteur, tandis que le MCI décerne des autorisations d’opérer aux sociétés anonymes.

Toutefois, en pratique, aucun des deux ministères n’exerce pleinement son rôle, laissant les compagnies d’assurance fonctionner sans véritable contrôle, d’après la revue de la BRH.

Pour pallier l’absence d’un cadre réglementaire adapté, le MEF a mis en place l’Unité de Supervision et de Contrôle des Assurances (USCA) en 2012, dont l’objectif était d’établir un contrôle plus structuré du secteur.

L’absence de réglementation dans le système de santé rend les établissements et les prestataires particulièrement vulnérables.

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Le Dr Almazor en a fait l’amère expérience.

« Je me souviens qu’entre 2011 et 2013, alors que j’étais médecin à l’Hôpital Français, un patient s’est présenté pour une intervention chirurgicale. Il était employé dans une institution publique et bénéficiait d’une police d’assurance chez Onyx Assurance à l’époque », explique-t-il.

Le médecin, en confiance, a accepté de prendre en charge les soins sans exiger de paiement immédiat.

« J’ai avancé tous les frais liés à l’intervention. L’assurance avait donné son accord pour le remboursement. Le montant total s’élevait à environ 200 000 gourdes. »

Mais après l’opération, l’assurance n’a pas payé.

« J’ai attendu. J’ai relancé la compagnie à plusieurs reprises. Au départ, on me répondait, on promettait un traitement du dossier. Puis les réponses se sont espacées. Et un jour, plus rien. »

Malgré des tentatives répétées, le remboursement n’a jamais été effectué.

« J’ai entrepris des démarches pendant plusieurs années. J’ai essayé tous les recours possibles, jusqu’à ce que je n’entende plus parler de la compagnie », regrette le spécialiste.

D’après les dires du Dr Almazor, il s’agissait d’une compagnie d’assurance réservée aux employés de l’Office National d’Assurance-Vieillesse (ONA).

AyiboPost a tenté en vain d’obtenir des contacts pour cette entreprise avant la publication.

Dans un avis publié en mai 2014, le MEF a publié une liste de onze compagnies d’assurance éligibles à effectuer des opérations en Haïti. Ce sont : International Assurance S.A. (INASSA), Alternative Insurance Company (2001), les Assurances Léger S.A. (ALSA), SogeAssurance S.A., UniAssurance S.A., la Compagnie d’Assurance d’Haïti S.A. (CAH), National Western Life Insurance Co (NWL), Nationale d’Assurance S.A. (NASSA), Haïti Sécurité Assurance S.A., Onyx Assurance S.A. et L’Atout Assurance S.A.

À côté de cette liste s’ajoute également l’OFATMA, une institution publique autonome sous la tutelle du ministère des Affaires Sociales.

L’OFATMA couvre les fonctionnaires, certains employés d’entreprises privées, les employés syndiqués du secteur informel ainsi que ceux du secteur formel.

Néanmoins, il exclut les chômeurs et est moins inclusif en ce qui concerne les personnes à la charge des travailleurs informels, précise un rapport de la Banque mondiale publié en 2015.

En Haïti, l’accès aux soins de santé est très limité, à cause des disparités de revenus et du taux de chômage élevé.

Les régimes d’assurance sont insuffisamment développés et couvrent moins de 5 % de la population, dans un contexte où le taux de chômage avoisine les 30,1 %, toujours selon le rapport de la BRH.

Les personnes qui parviennent à bénéficier des assurances font non seulement face aux irrégularités du système, mais aussi à une situation compliquée par l’insécurité.

À Port-au-Prince, plusieurs hôpitaux ont dû fermer leurs portes ou ont été vandalisés à la suite des attaques de gangs, qui contrôlent aujourd’hui 85 % de la capitale.

Plusieurs hôpitaux et centres hospitaliers situés au bas de la ville ont été touchés par les vagues de violence des malfrats.

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Seuls 37 % des établissements de santé de Port-au-Prince sont pleinement fonctionnels, malgré des difficultés d’accès en raison de l’insécurité.
Les assurés ont encore moins d’options.

Worldine François, bénéficiaire d’une assurance à l’INASSA, a fait face à cette situation lorsqu’elle a voulu utiliser sa police d’assurance il y a un an.

« Parmi une liste d’hôpitaux et de cliniques pris en charge par l’assurance et situés au bas de la ville, que j’avais initialement l’habitude de fréquenter, presque tous sont aujourd’hui fermés, explique-t-elle. J’ai été obligée de payer moi-même pour le service dans un centre qui m’était accessible. »

Par Lucnise Duquereste

Couverture | Photo d’une docteure analysant un document sur son bureau, accompagnée d’un homme se tenant la tête, l’air surpris. ( Source : Freepik ) Collage : Florentz Charles pour AyiboPost –  21 avril 2025

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Journaliste à AyiboPost depuis mars 2023, Duquereste est étudiante finissante en communication sociale à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH).

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