POLITIQUE

L’accord de Montana a élu un président et un Premier ministre. C’est quoi la suite ?

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Alors que les acteurs tardent à trouver une entente, des citoyennes et des citoyens poursuivent leurs activités, mais redoutent le pire à partir du 7 février

Le processus de réflexions et de négociations, entamé dès 2020 pour trouver une solution à la crise politique que traverse le pays a abouti dimanche dernier à l’élection au poste de président provisoire de l’économiste et ancien gouverneur de la banque centrale, Fritz Alphonse Jean, et de l’ancien sénateur Steven Irvenson Benoît, comme Premier ministre.

C’est quoi la suite ? Les protagonistes de cette initiative portée par divers secteurs ont adressé une lettre au Premier ministre, Ariel Henry, le 2 février dernier, pour l’inviter à négocier.

Steven Irvenson Benoît lors de son intervention

« Nous sommes aussi entrés en contact avec l’Église catholique et nous prévoyons d’établir des liens avec l’Université d’Etat d’Haïti et le secteur privé formel, déclare à AyiboPost Ted Saint-Dic, un des membres de l’accord de rupture dénommé Montana. Ce qu’il faut maintenant en plus des contacts que nous établissons, continue Saint-Dic, c’est que le Protocole d’entente nationale désigne son membre [au collège présidentiel]. »

Le Pen compte des personnages politiques comme l’ancien sénateur de l’Artibonite, Youri Latortue ou Jean Renel Sénatus. Le mardi 11 janvier dernier, le « Protocole » et Montana se sont mis d’accord pour la mise en place d’un collège présidentiel de cinq membres, avec un Premier ministre et un cabinet ministériel.

À partir du 7 février, date à laquelle le mandat de l’ancien président,Jovenel Moïse prendrait fin de façon indiscutable, Ariel Henry doit liquider les affaires courantes « en attendant qu’un large consensus se dégage entre les acteurs politiques et ceux de la société civile », selon une note sortie par le Sénat hier 4 février.

Contacté par AyiboPost, un conseiller à la Primature a indiqué que le Premier ministre est prêt à négocier. « Nous encourageons tous les acteurs (incluant ceux de Montana) au dialogue afin de trouver un consensus large jusqu’aux prochaines élections », a déclaré l’officiel.

Les candidats au poste de Premier Ministre

La confiance semble cependant être au plus bas entre les deux groupes. « Nous avons approché Montana à plusieurs occasions en 2021, ils ont choisi de nous rouler dans la farine », déclare le conseiller. Selon lui, « nos amis de Montana se trouvent malheureusement dans la dynamique de “tout ou rien”, dynamique chère à notre histoire sociopolitique de peuple. Ariel Henry est un homme de dialogue. Il les invite au dialogue, le vrai.»

Supporté par les États-Unis et d’autres membres de la communauté internationale, Ariel Henry a rejeté ces derniers mois toute initiative menaçant sa présence à la tête de l’État ou qui mènerait à l’installation d’un président provisoire au Palais national, avant les élections.

L’intransigeance des acteurs peut bien mener le pays vers beaucoup plus d’instabilité à partir de lundi prochain.

Trois jours avant la date fatidique du 7 février, plusieurs axes de la ville de Port-au-Prince étaient sous tension. Cette date rappelle la fin de la dictature des Duvalier. Elle marque également le début du mandat présidentiel, impossible à respecter du fait que Jovenel Moïse n’a pas réussi à organiser à temps les élections.

Aujourd’hui, 7 février inspire des craintes. Rachele Odilon dit madan Odil est marchande de friture. Elle tient son commerce à la rue Panaméricaine à Pétion-Ville. Elle redoute un nouveau lock lundi prochain, l’obligeant à arrêter son commerce qui a déjà du mal à tenir le flot.

Bonivert Claude prenant la parole

L’accord Montana signé le 30 août 2021 veut pallier le vide laissé par le président Moïse après son assassinat le 7 juillet dernier.

L’initiative vise ce que ses signataires appellent une transition de rupture. Pour ce faire, ils ont mis sur pied un Conseil national de transition avec à sa tête le sociologue James Beltis.

Vue de l’assistance et des candidats au poste de Premier Ministre

Ce conseil composé de 52 membres a organisé samedi 29 janvier un débat réunissant tous les candidats aux postes de président provisoire et de Premier ministre. Le lendemain, dimanche 30, furent élus Fritz Alphonse Jean et Steven Irvenson Benoît.

C’est dans une salle comble, en présence de personnalités diverses que s’est tenu le débat des quatre candidats au poste de chef de la Primature et des deux prétendants présidents. Les discussions retransmises en direct sur internet se sont déroulées en plusieurs étapes. Chaque candidat a pu défendre ses positions sur des sujets divers, dont la place de la femme dans la société, l’avortement ou encore l’inflation et la lutte contre la corruption.

Fritz Alphonse Jean et Edgard Leblanc

Fritz Alphonse Jean, candidat au poste de président sorti victorieux du processus a utilisé le terme « d’apartheid silencieux » pour décrire la situation actuelle. Il a pointé du doigt les différentes exclusions dont est victime une grande partie de la population et accuse le capitalisme d’en être la cause.

« L’organisation des services publics est faite afin de profiter à un groupe, a déclaré Jean. Donc, quand on parle de transition de rupture, je fais référence au besoin d’adresser ce problème qui assoit les privilèges des uns sur les autres. »

La réalisatrice et productrice Rachèle Magloire prenant la parole, lors du débat

Steven Irvenson Benoît choisi pour le poste de Premier ministre a lui utilisé l’expression d’État serviteur pour résumer la pratique qu’il compte instaurer une fois à la Primature.

« En général, les ministres et Premiers ministres viennent et volent, a déclaré Steven Irvenson Benoît. Moi, une fois à la primature, je ferai une déclaration de patrimoine publique. Comme ça, tous sauront ce que je possède. » Le politicien rappelle l’avoir fait en 2008 alors qu’il était député.

Fritz Jeanet Edgard Leblanc Fils, candidats au poste de Président

Si le débat du 29 et l’élection du 30 janvier 2022 étaient publics, certains, dont Clovis Westevenson, licencié en science politique estiment que ces initiatives peinent à « atterrir auprès du peuple ».

« Je ne sais pas ce qu’ils entendent par rupture, déclare Westevenson. La même classe politique qui a accouché d’un Steven Benoît député puis sénateur, peut accoucher d’un Steven Benoît en rupture ? » se demande-t-il.

Steven Benoit prenant la parole après sa victoire

Le jeune homme affirme voir mal Ariel Henry partir le 7 février et laisser la tête du pays aux deux hommes élus par le CNT. Il déclare que le peuple qu’ils sont supposés représenter ne leur a accordé aucune légitimité.

Les experts pointent aussi du doigt le déficit de légitimité de l’actuel Premier ministre Ariel Henry, catapulté à la Primature par les manœuvres de la communauté internationale, à un moment où il affrontait Claude Joseph pour ce poste, après la mort de Jovenel Moïse.

Jean Laurent Lherisson est urbaniste. Il a suivi avec attention les différentes étapes depuis la signature de l’accord. « Nous sommes face à un acte novateur pour plusieurs raisons, déclare-t-il, tout en saluant les modalités de l’exercice qui respectaient les prescrits constitutionnels, selon ses dires, “mais aussi la transparence exemplaire” démontrée.»

« En termes de transparence, ils sont même allés plus loin que ce que prescrit la Constitution, mentionne Jean Laurent Lherisson. Le vote était sous bulletin, cependant chaque votant a dû déclarer son vote et c’est de manière publique et nominale que les voix des candidats ont été comptées. De chez vous, vous pouviez participer à l’exercice et compter avec eux. »

Lire aussi: Comprendre la différence entre l’accord d’Ariel Henry et celui de la société civile

Alors que les acteurs tardent à trouver une entente, le pays reste dans l’expectative. Des citoyennes et citoyens poursuivent leurs activités, mais redoutent le pire.

Pour Rachele Odilon qui ouvre son commerce de friture dès six heures du soir, peu importe qui est président ou Premier ministre, du moment qu’on adresse la question de l’insécurité et de l’inflation, elle est contente.

 

Photos: Carvens Adelson / Ayibopost

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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