Le journaliste Nehemy Joseph a été assassiné le 10 octobre 2019. Il était un mari, un frère, un collaborateur et le benjamin de sa mère
Le jeudi 10 octobre 2019 a été plus que noir pour les proches de Nehemy Joseph qui en ce jour n’est pas rentré chez lui.
D’ailleurs, le journaliste ne rentrera plus, car son corps sans vie a été vaguement retrouvé dans le coffre de sa voiture, ses vêtements tâchés de sang. Nehemy s’est recroquevillé avec le poing fermé parmi des gallons jaunes qu’il gardait dans son véhicule. Pour avoir servi la communauté de Mirebalais pendant plus de sept ans, c’est la récompense qui lui a été réservée.
Rachelle Joseph, la veuve du défunt, ne peut retenir ses larmes même derrière un téléphone. L’on peut facilement entendre le son tremblotant de sa voix et ses douloureux soupirs. « Nehemy a été un bon garçon, dit-elle. Il n’a jamais levé la main sur moi », reprend la dame de 29 ans.
Pour une énième fois, la presse haïtienne est endeuillée. Nous adressons nos sympathies à l’endroit de la famille et des collègues de Néhémy Joseph. Les journalistes se mettent au service de la vérité. Celle-ci triomphera, malgré les assassins.@PNH_officiel, il est temps d’agir!
— Ayibopost (@Ayibopost) October 11, 2019
Parti sans dire adieu
Ils se sont connus depuis neuf ans, « quatre ans de fiançailles et cinq ans de mariage », se souvient la dame.
Pourtant, Nehemy est parti sans dire au revoir. « La dernière fois que je l’ai vu, il rentrait pour dîner. J’étais allongé sur notre lit, il est venu s’asseoir à côté de moi pour manger », poursuit Rachelle d’une voix triste. Nehemy est ensuite sorti parler à un groupe de jeunes dans le quartier. Il aimait la compagnie des autres selon sa veuve.
Pendant qu’il parlait aux jeunes, une autre personne lui demandait chez lui. « Quand Nehemy est revenu, je lui ai dit d’aller à la rencontre de cet ami qui voulait le voir pour une soi-disant réunion qui à ce qu’il paraît n’a pas eu lieu. Car il revient toujours après les réunions, mais ce soir il s’est absenté. J’ai appris par la suite la triste nouvelle de sa mort. J’ai senti des douleurs jusque dans mon âme.» En prononçant ses paroles, le ton de la voix de Rachelle s’est abaissé comme si elle vivait encore le drame.
De son côté, Jean Judson Joseph essaie d’être fort quand il parle de l’unique frère qu’il a eu mais il avoue que son cœur se déchire. « Chaque soir dans mon lit, je me demande s’il est réellement mort. À force de réfléchir, j’ai des maux de tête », soupire le grand frère du défunt. « Quand je rentrais à Mirebalais, c’est lui qui venait à ma rencontre. Je vis à Port-au-Prince mais Nehemy refusait de me rejoindre à cause de notre mère. Il voulait rester dans la ville pour veiller sur celle qui n’avait que nous deux depuis que notre pauvre père est décédé huit ans de cela. »
La mère de Nehemy âgée de 78 ans ne peut pas parler. « Je ne la laisse pas parler aux journalistes parce qu’elle est hypertendue. Mais je peux vous dire qu’elle souffre énormément », raconte Jean Judson.
Qui était Nehemy Joseph ?
Nehemy est né en le 21 avril 1983. Il a étudié la technologie médicale, le droit et le journalisme. Cette année il a eu l’idée de mettre sur pieds une école de technologie médicale. « Tout a été mis en place pour que l’école soit ouverte cette année », confie le frère du journaliste.
Nehemy œuvre dans le journalisme depuis 2012 selon James Dorvil, un collaborateur du défunt. Les deux ont animé une émission chaque dimanche sur panic FM à Mirebalais. « De 7h à 9h30 nous présentions “Ann aji”, un programme à caractère socio-politique. Mais Nehemy était correspondant de la radio Mega à Port-au-Prince », lance l’ami de Nehemy qui a fait savoir que son collaborateur vit encore dans son cœur.
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« Pour Nehemy je suis devenu un auditeur de la radio Mega. Étant donné que je suis communicateur, je le suivais beaucoup pour le corriger ou le féliciter », continue cette fois le frère du regretté de mémoire.
Quant à Rachelle Joseph, elle affirme que son mari a été créatif, sensible et menait une vie associative. « Il s’impliquait socialement dans la communauté en organisant des des activités sportives et récréatives ».
« Nehemy avait un franc parler. Il disait ce qu’il pensait. Beaucoup l’aimaient en même temps, il se faisait beaucoup d’ennemis. Il [publiait] des alertes sur son compte Facebook », avance Judson Jean.
Rachelle Joseph, la veuve de Nehemy reçoit des menaces
Les proches de Nehemy veulent que justice lui soit rendue. « Je ne veux pas que son cas soit traité comme celui Jean Dominique ou de Jacques Roche. Cependant, jusqu’à présent rien n’a été fait concrètement. Des mandats ont émis contre les personnes qui possiblement auraient été impliqués dans son assassinat comme cet ami qui est passé le voir le soir même de sa mort. Mais jusqu’ici, le concerné n’est jamais comparu devant la justice », se plaint Rachelle Joseph.
Elle affirme qu’elle reçoit des menaces des individus qu’elle n’arrive pas à identifier. « Je ne peux dormir tranquillement. Ma maison est maintenant la cible de projectiles. » Rachelle voudrait quitter la ville de Mirebalais mais elle a peur d’être victime au moment de son déplacement.
Une victime de trop
Après Vladjimir Legagneur et Rospide Pétion, Nehemy Joseph est le troisième journaliste assassiné sous l’administration de Jovenel Moïse. Pendant l’année 2019 plusieurs journalistes ont été attaqués d’une manière ou d’une autre dans l’exercice de leur métier. Le 16 septembre dernier, le journaliste Elmon Zidor de la radio Hosanna FM a été poignardé à Jacmel lors d’une protestation contre la hausse des prix des produits pétroliers.
Le photojournaliste Dieu-Nalio Chéry a été blessé le 23 septembre dernier après que le sénateur Jean Marie Ralph Féthière ait ouvert le feu sur un groupe de manifestants.
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Après la diffusion le 28 octobre dernier d’une interview exclusive avec le président de la République, des journalistes de la Radio-télé Métropole ont signalé avoir été menacés. Avant cette date, les 19 et 24 juin de cette année, les véhicules du média en question ont été attaqués sous prétexte que celui-ci serait proche du pouvoir.
Le vendredi 1 novembre, Franciyou Germain, journaliste et responsable du groupe MagHaïti a été agressé lors de la couverture d’une manifestation. Le 9 novembre, un militant de l’opposition a giflé Ellecy Dieulassaint, reporter cameraman de la Télé Métropole, lors d’une activité à l’hôtel Marriott.
Pour sa part, Nehemy Joseph s’est éteint avec tous ses projets. Il n’a pas eu d’enfants car sa femme a connu quatre fausses couches. Le journaliste n’a laissé que sa voix à travers ses émissions socio-politiques.
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