Les adultes exigent souvent une transparence totale qui cadre difficilement avec le besoin d’intimité des adolescents. La promiscuité dans laquelle vivent certains parents n’aide pas non plus
Aujourd’hui âgée de 24 ans, Djenane Remilien affirme avoir vécu plusieurs fois un manque d’intimité dans sa jeunesse.
« Mon père épiait mes moindres faits et gestes et ne ratait jamais l’occasion de faire un scandale », confie la jeune femme dont les parents se sont séparés depuis son plus jeune âge.
« Une fois, alors que j’étais chez ma mère pour un week-end, mon père est allé fouiller dans mes affaires et il est tombé sur des lettres de mon amourette de l’époque », se remémore Remilien qui confie avoir passé un mauvais quart d’heure par la suite.
Quoique plus fréquent avec les jeunes filles, ce genre d’attitudes des parents n’est pas totalement absent vis-à-vis des garçons.
Bellevue Jean Fritz Gérald est fils de pasteur, et il n’a pas du tout été exempt des comportements bien trop intrusifs de ses parents. Du haut de ses quinze ans, Bellevue participait à un jeu de correspondance très à la mode à l’époque. Mais par malheur, son père est tombé sur l’une des lettres de sa correspondante et en a fait toute une histoire.
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Mais l’histoire qui l’aura surtout marqué, c’est quand « sa belle-mère est allée fouiller dans ses poches pour y trouver des préservatifs qu’elle a songé à apporter à son père. « Outre le scandale que cela a occasionné à la maison, raconte l’actuel étudiant en psychologie à la faculté d’Ethnologie, le pasteur a fait de ma mésaventure le principal sujet de son sermon, le dimanche qui suivit ».
La plupart des parents en Haïti ne conçoivent guère la nécessité pour leurs enfants d’avoir des espaces intimes. L’intimité est pourtant une notion, entre autres psychologique, qui participe à la construction de la personnalité. N’étant pas inné, son besoin « apparaît généralement à la préadolescence, vers 11 ans », selon la psychologue clinicienne Johanne Landrin. Il n’est pas rare qu’à ce stade des conflits éclatent entre des parents et leurs pubères frustrés du fait de ne pas avoir leur propre espace privé.
Le sous-développement peut parfois expliquer la prévalence du problème. Il n’est pas rare que des familles de plusieurs personnes partagent une seule pièce de maison dans le pays. Dans ces cas-là, « le préadolescent qui se retrouve dans l’impossibilité d’une quelconque forme d’intimité peut se sentir frustré et mal dans sa peau. Ce qui à son tour peut provoquer des sautes d’humeur ainsi que des confrontations avec autrui. »
Des scènes bizarres
La volonté de contrôle des adultes conduits à des scènes cocasses. Jessica fréquente son petit ami depuis maintenant plus de deux ans, et elle doit encore supporter que sa mère vienne s’asseoir entre son amoureux et elle lorsque celui-ci la rend visite.
La violation de ce « besoin lié à la pudeur » n’est pas sans conséquence.
Johanne Landrin estime que la personne dans ce cas particulier peut souffrir de « traumatismes ». Étant donné que « c’est à cet âge que s’affirme la personnalité », avance la psychologue, et que « l’intimité fait partie intégrale du développement de la fille et du garçon qui se mettent à observer du changement au niveau de leur corps, l’accès à leur [un espace privé] devient nécessaire afin de devenir quelqu’un d’équilibré et d’épanoui à l’âge adulte. »
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Les parents pensent souvent bien faire lorsqu’ils refusent aux enfants le droit d’avoir leurs propres secrets. Mais ils doivent comprendre qu’il est normal pour leurs enfants de « ne pas vouloir partager leurs espaces et effets personnels. Et que surtout, ce n’est pas un signe d’égoïsme, mais plutôt d’intimité », soutient la spécialiste.
Ainsi, lorsque l’adolescent affirme que son corps lui est propre et qu’il peut en disposer comme il l’entend, ou qu’il dit avoir le droit de penser ce qu’il veut, tout comme il a la capacité d’agir et d’échanger des informations, on est en présence de la manifestation de « son intimité corporelle ; psychique ; comportementale et sociale ».
De manière plus large, l’intimité est aussi liée aux interactions avec les autres et à l’espace physique auquel on limite l’accès. C’est par exemple « la chambre, les vêtements ou autres effets personnels », explique Johanne Landrin.
Le respect de l’intimité passe alors par la compréhension de l’importance de ce besoin par les parents ou encore par la famille. « [Les parents] doivent accepter que l’enfant grandisse et s’affirme petit à petit jusqu’à l’âge adulte ».
Une surveillance inacceptable
Remilien était âgée de 17 ans en classe de Secondaire 2 lorsqu’un « 14 février », le père de la mécanicienne de carrière s’est déguisé en cireur de souliers et s’est installé devant l’institut scolaire de sa fille pour la surveiller. « Dès ma sortie, il a attrapé mon sac et s’est mis à fouiller pour voir si je n’avais pas reçu de chocolat. »
Ce type de parents, Robert Neuburger, psychiatre français, les qualifie d’intrusifs. Ils dépossèdent leur enfant d’un espace psychique propre à lui, comme la liberté d’avoir des secrets et ses propres pensées (quitte à ce qu’elles soient contraires à celles de ses parents), et finissent par le déshumaniser. Un tel enfant n’existe pas, écrit l’expert dans son livre « Les territoires de l’intime » paru en 2000.
Au fil des ans, l’enfant dont les besoins n’ont pas été considérés à leur juste valeur deviendra un adulte blessé. Les cicatrices ne seront certes pas visibles, mais il n’en demeure pas moins que les impacts sur la vie future du Sujet peuvent être multiples.
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Chaque personne réagit différemment. Mais l’enfant privé d’intimité peut avoir des difficultés dans la régulation des émotions ainsi que dans les relations interpersonnelles ; une mauvaise estime de soi et un sentiment de vide. Cet enfant peut aussi éviter les émotions pénibles à l’avenir.
Par ailleurs, l’intimité est souvent et à tort réduite à sa dimension sexuelle. Mais encore elle est couramment associée à la vie privée. Or, les deux termes ne signifient pas exactement la même chose. Tandis que le premier renvoie plus à l’intériorité de l’individu, le second est davantage politique. Ainsi, certains préféreront parler de droit pour la vie privée dite politique, et de besoin pour l’intimité beaucoup plus sociale. D’après le psychiatre Robert Neuburger, l’intimité individuelle est acquise vers les 22 ans.
Pour Johanne Landrin, « il est possible que l’on soit violé intimement et qu’on ne s’en aperçoive pas ». Mais pour celui qui en est conscient, il importe de « demander de l’aide » au risque d’entraver sa personnalité et son développement en général.
Ou anvi touye tèt ou? Ou konn yon moun ki anvi touye tèt li? Yon moun ki depresif? Mande l rele +50929199000. Se nimewo asistans Asosiyasyon ayisyen psikoloji. Pale ak yon moun siw pa santi w byen. Tande si yo kontakte w. Moun ki pi fò pase move pas.
— Widlore Mérancourt (@Widlore) March 14, 2021
Réclamer son espace personnel prouve que l’on a conscience d’être doté d’un soi que l’on cherche à protéger. « Avoir accès à son intimité n’est pas une faveur, mais un besoin essentiel ».
Rebecca Bruny
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