Témoin d’assassinats de nombreux hommes politiques et de massacres, le bâtiment ne prendra plus place dans le grand projet de cité administrative de l’État
Le pénitencier national ne fera plus partie de la cité administrative de Port-au-Prince, dont la construction traine depuis 2010.
Il est prévu de dresser à la place de cette prison le bâtiment qui doit loger le Ministère des Travaux publics, Transports et Communications.
« Le pénitencier national n’est pas un bâtiment administratif et par conséquent, il n’a pas sa place dans une cité administrative », tranche le directeur exécutif de l’Unité de Construction de Logements et de Bâtiments publics, Clément Bélizaire.
Requérant l’anonymat, une source proche de l’administration de la prison révèle que la proximité du centre carcéral avec la ville a pesé sur la décision. La gestion d’éventuels cas d’évasions reste très difficile, car l’emplacement de l’institution rend pénible le repérage des évadés.
Un site a été identifié dans la commune de Ganthier pour la construction du « complexe pénitencier de l’Ouest » qui s’étendra sur environ 25 hectares de terre, selon le chef de cabinet du directeur de l’administration pénitentiaire, Louis Guerro Plancher.
Ce complexe abritera une prison de niveau sécuritaire trois, capable de recevoir « 4 000 détenus, à une distance de détention estimée à 4,5 m2 », selon le chef de cabinet qui rappelle que le pénitencier actuel n’offre que 0,69 m2 comme espace entre les prisonniers.
Le projet coutera environ 60 millions de dollars américains. Parce que l’État haïtien n’a pas les moyens économiques pour le mettre en œuvre, le chef de cabinet confie qu’un forum est mis sur pied afin de récolter des fonds auprès des bailleurs internationaux.
Aucun monument commémoratif
Le vieux pénitencier national tient place au cœur de la capitale depuis 1770. Il a été construit sur le site d’un ancien cimetière de la ville.
Selon Clément Belizaire, le plan actuel ne prévoit la construction d’aucun monument pouvant rappeler l’histoire tumultueuse de ce lopin de terre.
Le chef de cabinet de la Direction de l’Administration pénitentiaire, Louis Guerro Plancher, dévoile que l’administration de la prison avait plaidé en faveur de la construction d’un musée sur le site, mais, dit-il, « ces genres de choses n’intéressent pas les plus hautes autorités ».
Cette absence de dispositif commémoratif ne fait pas unanimité. Guylène Bouchereau Salès est membre de la Fondation Devoir de Mémoire Haïti. Bien qu’elle admette l’obligation de déplacer la prison, l’idée d’effacer tout bonnement le pénitencier national la « scandalise ».
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« Il convient de laisser un espace pour dresser un monument apte à enseigner aux générations futures l’histoire de ce lieu sinistre, témoin d’assassinats, de massacres et d’agonies sous le poids de la faim ou de la maladie de plusieurs milliers de détenus, victimes de l’irresponsabilité des autorités du pays », exige Salès.
« Les murs du pénitencier national sont témoins de l’exécution à coup de baïonnettes, du rédacteur de l’acte de l’indépendance d’Haïti et secrétaire de Dessalines, Boisrond Tonnerre le 24 octobre 1806. Il a été arrêté le jour même de l’assassinat de l’empereur », rapporte l’historien Georges Michel.
À la veille de la chute du président Vilbrun Guillaume Sam, le 26 juillet 1915, Charles Oscar Étienne a organisé le massacre de 168 prisonniers politiques au pénitencier national avant qu’il ne se fasse tuer lui-même par le père de trois de ses victimes, le général Edmond Sylvestre Polynice, à l’entrée de l’ambassade de la République Dominicaine où il s’était réfugié.
Histoire circulaire
Le traitement actuel du pénitencier national rappelle celui réservé à Fort Dimanche, une ancienne geôle de la dictature des Duvalier.
En 1986, après la chute du régime brutal, multiples voix se sont élevées pour réclamer que Fort Dimanche, hauts lieux de tortures devienne un lieu de mémoire des victimes. Six ans plus tard, en 1991, le fort a été désaffecté par l’administration de Jean Bertrand Aristide.
Aujourd’hui, les murs de l’espace abritent des bandits opérants à Cité Soleil, le plus grand bidonville du pays.
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Cet état de fait demeure une déception pour Guylène Bouchereau Salès qui, depuis 1986, avec les membres de la Fondation Devoir de Mémoire Haïti, n’a jamais cessé de réclamer l’espace afin d’y construire le « Musée de la mémoire des victimes de la dictature ».
La Fondation a aussi entrepris des démarches pour la construction d’un parc de souvenir des victimes à Fort Dimanche. La proposition a été rejetée par les autorités qui se sont succédé à la tête du pays. Ceci perpétue le risque que la jeunesse continue à ignorer les atrocités commises sous Duvalier.
Bien avant le Pénitencier national, les prisons civiles du Cap-Haïtien et de Jacmel ont été désaffectées sans aucune explication.
Samuel Celiné
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