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Le pénitencier national n’est pas un endroit pour les humains

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Evens a passé trois ans au pénitencier national à Port-au-Prince. Il est un privilégié pour n’avoir pas fait partie de la majorité des détenus en situation de détention préventive prolongée. Il  partage avec nous une partie de ses souvenirs, dans ce lieu sinistre où s’entassent des centaines d’hommes sans espoir, ni recours

« Depuis le premier jour, tout a changé pour moi. La prison est un tout autre monde où même l’odeur est différente. Les détenus côtoient aisément des choses qu’ordinairement on voit loin des humains. Chacun vit une expérience unique. J’ai pu surmonter les difficultés parce que j’ai été sage, calme et modéré dans mon langage. C’est ce qui m’a épargné certaines violences.»

 Le greffe

« Le greffe n’est pas encore la cellule d’affectation. Là, l’air est beaucoup plus respirable parce qu’il y a moins de détenus. Depuis la cellule de garde-à-vue, des anciens détenus nous avaient averti d’enfouir dans un trou l’argent qu’on avait. Sinon, il sera récupéré par un « major » et toute résistance sera réprimée. C’est l’administration de la prison qui exige que chaque carré ait son représentant. Il y a ainsi un major de cellule et un major général de carré. Un carré peut compter jusqu’à huit cellules.

Le jour d’arrivée au pénitencier national, on subit une fouille vraiment approfondie de la part des prisonniers. Les détenus vous interrogent sur les motifs de votre présence. Ils se sentent perturbés parce que l’arrivée de chaque nouveau détenu aggrave leur inconfort. Les violeurs sont maltraités par le major de la greffe. Si le viol est commis sur un mineur, la sentence est encore pire. Pour les larcins, le major qui est « grand voleur », bastonne le nouveau détenu qu’il traite de « petit vicieux ». Cependant, un criminel à l’attitude dure qui se défend rageusement, bénéficie du « respè ». A ce moment, il est intégré dans une « kolòn», un groupe de prisonniers qui se protègent et se supportent.»

Tout nouveau détenu est un « blan »

« Avant le transfert en cellule, il faut avoir au moins deux mille gourdes. Cet argent sert à acheter son «respè ». Le major de cellule vous donne ainsi accès à la télé, au ventilateur, à un peu de glace et à de quoi fumer. Le détenu fraichement arrivé est appelé « blan ». En fonction de la fréquence de provisions qu’il reçoit de l’extérieur, il jouit d’un traitement spécial de la part du major. Il faut toujours avoir quelque chose à donner au major. Sinon, un autre « blan » aura le traitement spécial.

En cellule, chaque centimètre appartient à un détenu. C’est là qu’il place ses effets. Le détenu ne peut pas laisser son coin pour s’installer dans un autre. Il y a souvent de vives disputes dans les cellules pour des histoires de ce genre. Pourtant, il est parfois bon de se déplacer pour  se dégourdir les jambes et éviter les crampes. En se déplaçant, on enjambe les autres allongés au sol. Souvent, le major de ma cellule refusait les nouveaux détenus qu’on amenait. Il évitait d’encombrer l’espace pour diminuer les mauvaises odeurs. Il avait ce pouvoir parce qu’il est un major général.

Les majors de cellules rapportent au major de carré tout ce qui se passe. C’est par lui que l’administration de la prison contrôle les cellules en cas de problèmes. Le major général communique toute décision au chef de carré qui est un agent de l’administration. Il peut aussi se rapporter au chef de poste qui contacte les chefs de carré pour résoudre certains problèmes. Pour les cas mineurs, ils sermonnent les détenus. Dans certains cas, les détenus sont sévèrement battus par les gardiens.

Ma cellule avait cinquante-deux détenus. Normalement, elle devait contenir douze (12) à seize (16) personnes. Je dis seize parce que je crois qu’il y a de l’espace pour juxtaposer quatre petits matelas par terre. Les détenus couchent dans des lits superposés accrochés aux murs. C’est un peu comme les cellules des caves de cimetières.»

Une nourriture que même la chienne ne mange pas

« La nourriture de la prison ne devrait pas être mangée par des humains. Même « bèl fanm », la chienne de la prison, ne la consomme pas. Une fois qu’elle l’a reniflée, elle la refuse. Elle préfère la nourriture avariée apportée par les parents de détenus. Je voulais voir les conditions de préparation de la nourriture. Un jour de pénurie d’eau, je me suis proposé pour apporter dix seaux pour ma cellule. Ainsi, j’ai pu investir la cour qu’on appelle « lari a ». La nourriture est ainsi  faite: on vide de l’eau, de l’huile et du sel dans de grandes chaudières, on verse des sacs de maïs dans l’eau non encore bouillante et on brasse le contenu avec des lamelles de caisses de hareng saur. Ce maïs est à 100% pas cuit.

Les détenus ont trente minutes en dehors des cellules pour se laver, aller aux toilettes et faire leurs vaisselles. Ce temps s’épuise rien qu’en attendant devant les toilettes. Il faut toujours se précipiter. Après les toilettes et le bain, on fait la queue pour la bouillie. Sans sel ou sans sucre, cuite ou pas cuite, les prisonniers la consomment. Il y des jours de « dekabès », c’est-à-dire, la bouillie n’est ni cuite, ni consistante et sans sucre. Une fois goûtée, on la jette.»

 

 D’inoubliables tristesses

« Une fois les cellules ouvertes, les gardiens disparaissent. Dès qu’ils approchent, il faut absolument vider les lieux. C’est à coup de matraques qu’ils font rentrer en cellule les détenus qu’ils croisent. Un jour, je n’ai pas eu le temps de finir ma douche, j’avais de la mousse sur le corps et je me suis précipité sous les coups comme un cochon dans ma cellule. Mes compagnons se sont coincés pour me créer un peu d’espace afin que je me lave avec de l’eau qu’ils avaient stockée. Ceux qui n’avaient pas pris leur douche dehors ont pu en faire de même. Ensuite, on a séché le sol.

J’ai passé quatre mois sans nouvelles de ma femme. Elle était tombée en syncope après avoir passé une journée à attendre quelqu’un avec qui elle avait rendez-vous pour emprunter de l’argent. De retour la nuit, la personne l’a ignorée. Au retour, ma femme est tombée parce qu’elle n’avait rien mangé dans la journée et elle était hypertendue. On ne m’a jamais dit qu’elle a été hospitalisée.

Les gardiens de prison utilisaient des morceaux de bois de 2×4 pouces pour bastonner les détenus. Ils adorent frapper sans ménagement les fesses, les mollets et surtout la taille des détenus. C’est pourquoi les gens meurent de douleurs à la ceinture après avoir fait la prison. Certains ont leurs os endommagés sans qu’ils ne le sachent. Les agents se régalaient de ces tortures. Ils se relayaient sur les détenus pour se « lâcher » les bras disaient-ils. Vous auriez des larmes aux yeux en écoutant un détenu qui s’est fait tabassé. On leur met le cou sous un banc, la botte d’un agent sur leur dos. Ils subissent ces tortures surtout lorsque les agents savent que le détenu possède un téléphone portable. Un nouveau directeur a été nommé, et il a tout changé. Il a interdit la torture des détenus.»

 Complètement fauché aujourd’hui

« J’étais le seul qui travaillait à la maison. J’étais agent de sécurité. Après mon arrestation, ma famille n’avait pas de toit pour dormir. Ma femme a du séparer nos trois filles dans des maisons différentes. C’est ainsi que ma fille de seize ans est tombée enceinte. Je l’ai su après ma libération. Aujourd’hui je suis complètement fauché. Ma femme a liquidé tous nos biens quand j’étais en prison. Depuis ma libération, je ne travaille pas.

Le pénitencier national n’est pas un endroit pour des humains. Lorsqu’il y a une visite, l’administration fait nettoyer des endroits précis. On oriente les visiteurs pour leur épargner l’atrocité de la situation.

Parfois les détenus malades passent la journée au dispensaire sans trouver l’assistance d’un médecin. Il y a des condamnés de trois mois qui ont cinq ans en prison. Ce sont des hommes sans espoir ni recours. Il y en a d’autres qui ont huit ans quoiqu’ils aient purgé leur peine de trois ans. D’autres n’ont que des amendes à payer, mais ils n’ont personne à qui s’adresser. Les autorités devraient dialoguer avec les détenus. Ainsi, ils comprendront mieux aux fins de prendre en  considération leurs revendications.»

 Ralph Thomassaint Joseph 

Image : Dieu Nalio Chéry

Directeur de la Publication à AyiboPost, passionné de documentaire.

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