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Le « linge artisanal » a encore ses adeptes en Haïti

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« En plus d’être écologique, il n’y a pas lieu de s’inquiéter de potentielles réactions allergiques avec le linge », renchérit la gynécologue

Scherlande Augustin, 22 ans, porte des linges depuis ses premières règles. « C’est ma mère qui m’en a donné pour la toute première fois », confie la jeune femme. Et depuis, ces morceaux de toile font partie de son hygiène intime.

D’autres jeunes femmes avouent en avoir fait usage pendant longtemps ou continuer à en faire, mais elles sont réticentes à en parler ouvertement.

Ainsi, contrairement à Augustin, Marie-Claire qualifie de « tenten » ces bouts de tissus qu’elle a portés pendant plusieurs années. Fille de la campagne, elle se souvient que ses linges étaient pour la plupart « des morceaux de maillots usés » que sa mère gardait sous son matelas.

Les morceaux de toile étaient malgré tout insuffisants en nombre et en qualité. « À l’époque, on vendait ces linges à Port-au-Prince, mais pas dans les recoins éloignés des campagnes. Ainsi, la routine consistait à laver ces toiles, les mettre au soleil et les conserver pour les prochaines règles. »

C’est en neuvième année que Marie Claire a opté pour des serviettes hygiéniques. Ce fut également la fin de son « cauchemar ».

Marie Claire explique avoir eu des démangeaisons au niveau de ses poils pubiens ou encore des coupures à l’intérieur de ses cuisses à chaque utilisation de ces serviettes. Ces réactions désagréables, plusieurs autres utilisatrices les rencontrent.

En effet, les serviettes hygiéniques industrielles contiennent des produits chimiques qui peuvent causer des irritations, des maladies graves, voire la mort.

Raison pour laquelle, la gynécologue Cephora Anglade croit que le linge reste l’une des meilleures options pour gérer l’afflux sanguin des règles.

« En plus d’être écologique, il n’y a pas lieu de s’inquiéter de potentielles réactions allergiques avec le linge », renchérit la gynécologue.

Le linge, sauveur?

La dioxine est un produit classé cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé. Elle peut aussi occasionner des fausses couches. Pourtant, on la retrouve dans la composition de certaines serviettes, même si les quantités ne dépassent pas les seuils autorisés. D’autres produits, dans ces mêmes dispositifs, irritent les parties intimes des utilisatrices.

Nephtalie Lucanord, étudiante en biologie médicale, a ainsi été contrainte de changer de marques de tampons à deux reprises, sans réellement comprendre ce qu’il en était.

« Je venais d’avoir mes premières règles et j’utilisais des tampons de la marque Lia. Mais à chaque fois que mon cycle se terminait, j’avais des démangeaisons insupportables dans le vagin », se souvient-elle.

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Lucanord a abandonné la marque Lia pour une autre qui ne lui a pas apporté de réels soulagements. « Mes parents ont pensé à une infection vaginale et m’ont emmenée voir un médecin qui m’a conseillé d’essayer une nouvelle marque de tampons que j’utilise jusqu’à date », révèle-t-elle.

Des marques bio proposent également des serviettes hypoallergéniques et lavables. En plus du côté sanitaire des linges ou des serviettes bio, ces moyens sont aussi plus économiques, comparés aux serviettes qu’il faut acheter par paquet tous les mois.

Pour Scherlande Augustin qui est encore écolière en NS4, « réserver les serviettes jetables pour les occasions particulières », a donc tout son sens.

Différents dispositifs

Il existe plusieurs types de protections menstruelles. Les serviettes hygiéniques constituent la catégorie des protections externes. Il y a aussi des tampons, portés à l’intérieur du vagin. Ils ont la forme d’un bâtonnet fait de coton, synthétique pour la plupart, qui recueille le sang de la menstruation sans qu’il sorte dehors. Il existe également les coupes menstruelles, ou cups. Ce sont des dispositifs placés à l’entrée du vagin dans lequel le sang coule.

Les tampons et les coupes sont mieux adaptés pour les femmes ayant déjà une vie sexuelle active.

Toutefois, bio ou pas, les tampons ou toutes autres protections ne doivent pas être gardés au-delà du temps conseillé. Certains se portent le jour, d’autres la nuit. Le niveau d’absorption est indiqué sur l’emballage et permet plus de liberté dans le choix des produits.

« L’image peut être celle d’une goutte, jusqu’à trois, indique Anglade. Si l’on a des règles qui ne sont pas abondantes, on optera alors pour les protections avec l’image d’une goutte, sinon pour une autre qui en a plus. »

Syndrome du Choc toxique

Les coupures ou les irritations sont un moindre mal, si l’on tient compte de tous les problèmes que pourraient causer certains dispositifs menstruels.

Outre l’endométriose, l’infertilité et le cancer qui sont des maladies que peuvent provoquer les composants des protections jetables, il y a aussi le syndrome de choc toxique. À la fois très rare et très grave comme maladie, le SCT concerne spécialement les jeunes femmes dans la vingtaine qui utilisent des tampons synthétiques.

Garder ces tampons trop longtemps augmente davantage le risque de développer le SCT. De même si les tampons sont trop absorbants.

Peu de femmes en sont au courant, reconnaissent des spécialistes comme la réalisatrice du documentaire « Tampon, notre ennemi intime » paru en 2017, Audrey Gloaguen.

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Naphtalie Lucanord ou Gessica Bazane assurent qu’elles se changent au maximum trois fois par jour. D’après la gynécologue Cephora Anglade, il faudrait de préférence se changer toutes les quatre heures.

Le niveau d’absorption doit aussi être pris en compte. Les tampons trop absorbants recueillent à la fois le sang des règles, les sécrétions vaginales et la flore intime. Dépourvu alors de protection naturelle contre les agents pathogènes, l’appareil génital féminin devient vulnérable à toutes les infections, y compris le STC.

Cette maladie a été la cause d’un grand scandale aux États-Unis, vers la fin des années 1970. Une marque de tampon baptisée Riley a été distribuée à des milliers de femmes. Plus de 600 d’entre elles ont été victimes du syndrome du choc toxique en une année, et une centaine en sont mortes.

Aucun cas n’a jusqu’ici été formellement signalé en Haïti. Il est difficile de savoir si cela n’est pas déjà arrivé, selon Cephora Anglade.

Se changer régulièrement

Pour minimiser les problèmes, il faut ne pas dormir avec des tampons le soir, suivre les recommandations d’utilisation et retirer le tampon dès la fin des périodes menstruelles.

Cephora Anglade assure qu’il existe une nette différence entre « les allergies qui sont un appel à l’aide du corps faisant savoir qu’il ne supporte pas un produit spécifique et les irritations qui peuvent survenir des suites de frottement, de contact avec un objet ».

La spécialiste conseille à une femme victime de coupures d’opter pour des protections avec le plus de coton possible en vérifiant l’emballage des produits, puisque certaines marques le mentionnent, et d’accompagner ce geste avec des astuces telles que « l’application de vaseline sur les parties fragiles des cuisses, changer plus souvent ses serviettes hygiéniques ou tampons, se bien sécher pour réduire l’humidité autour de son vagin… »

Photos : Widlore Mérancourt

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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