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Le grave danger des églises transformées en centres hospitaliers en Haïti

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De nos jours, les lakous et l’hospice des médecins feuilles ne sont pas les seuls endroits où des malades se rendent pour chercher la guérison. Désormais, l’église hospitalise et pratique une médecine dite « divine ». Sans expertise en médecine, ces leaders religieux mettent en danger la vie des malades

Christella Morose est chrétienne. Cette jeune fille de 18 ans était atteinte de la tuberculose. Après une tentative infructueuse auprès des médecins spécialistes à l’hôpital du Sanatorium, des proches ont invité sa famille à se recourir à la prière et au traitement médical d’une église.

« J’étais hospitalisée dans un temple de l’Armée céleste. Selon des proches de ma famille, cette église avait eu une révélation pour une jeune fille. Et, comme les analyses médicales pour découvrir ce dont je souffrais n’étaient pas concluantes, ma maladie a été vue à ce moment comme étant surnaturelle », a longuement expliqué la jeune fille.

Avec l’abdomen rond comme un ballon et l’état physique détérioré par une perte de poids accrue, Christella Morose présentait des symptômes particuliers.

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Les traitements suivis à l’église s’avéraient cependant inefficaces. Au menu, il y avait de la prière et des remèdes administrés à base de feuille, de vin. « Parfois, l’on me recommande de boire de l’huile sainte », raconte la jeune fille. « L’un des moments atroces que j’ai vécue c’est qu’on m’a roulé à plusieurs reprises dans une mare d’eau jetée au sol de l’église à cet effet », précise-t-elle.

À cause de la faible performance du système de santé dans le pays et des pratiques culturelles traditionnelles, des citoyens recourent à la prière pour se défaire des maladies.

Dans ces lieux de culte transformés en centres hospitaliers, les malades sont parfois portés sur le dos d’officiants en transe. Certains sont frappés pour chasser les démons selon les rituels de guérison divine utilisés dans la plupart des groupes chrétiens de l’Armée céleste.

Système de santé au ralenti

Avant de se tourner vers la médecine céleste, les médecins avaient déclaré que Christella Morose ne vivra pas longtemps après les analyses et de multiples radiographies abdominales. « Mais, dit-elle, l’un des médecins avait décidé de me donner un médicament contre la tuberculose pendant un mois. » Les résultats ont été bénéfiques et après six mois de traitement l’état de santé de Christella Morose était parfait.

En Haïti, l’accès aux soins de santé demeure très limité. Le service est inefficace et sa lenteur entraîne des conséquences qui sont parfois tragiques.

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Les données d’Évaluation des prestations des services de soins de santé (EPSS-II) sur le nombre de professionnels de la santé en Haïti font état de 3 354 médecins qui évoluent sur tout le territoire pour environ 10 millions d’habitants.

À cause de la faible performance du système de santé dans le pays et des pratiques culturelles traditionnelles, des citoyens recourent à la prière pour se défaire des maladies.

Des églises transformées en hôpitaux

Ces jours-ci, hospitaliser des malades n’est pas seulement l’œuvre des Armées célestes. Au Carrefour Rita, en face les locaux des Nations-Unies, se loge l’église de Dieu les Envoyés. Plus de 8 patients y ont été constatés lors d’une visite d’Ayibopost.

Parmi eux, une quadragénaire, accompagnée de sa fille de 14 ans, malade depuis 9 mois. Elle dit s’être installée au temple depuis mardi avec sa fille handicapée. Selon lui, la demoiselle va mieux et peut à présent se tenir debout.

Une autre dame rapporte qu’elle a déjà passé 4 mois à l’église. Elle attend d’être complètement guérie de sa maladie qu’elle croit être d’origine maléfique.

Des règles strictes

La plupart de ces malades retiennent l’attention des dirigeants de cette église dirigée par le prophète Mackenson Dorilas. « Les personnes ayant des troubles mentaux et ceux avec des maladies surnaturelles (kout poud, moun mò sou yo) sont retenus hospitalisés au temple », dit le prophète.

Selon le responsable de cette église, la prière est recommandée pour toutes choses y compris les maladies. « À part la prière, Dieu nous a donné le pouvoir de guérir les malades avec des compositions faites de feuilles (Ézéchiel 47 : 12) », raconte fièrement le prophète.

L’homme de Dieu admet ne pas recourir aux services d’un professionnel de la santé. Il dit se laisser guider par le Saint-Esprit et des révélations pour administrer les remèdes à bases de feuilles aux malades.

Aucun malade à Shalom

Parallèlement, à Shalom aucun malade n’a été remarqué dans le temple. En appelant au numéro de service de prière pour l’église, la réceptionniste a fait savoir que Shalom est pleinement disponible pour prier avec les malades.

« Vous pouvez passer à l’église avec le malade et voir le gardien pour qu’il enregistre son nom, sa maladie, sa cause, avant que l’on accepte », explique-t-elle. Plus loin, elle rapporte qu’il y a des moments précis dédiés aux malades lors de certaines activités spirituelles.

Un ancien membre de Shalom, Pierrot Jean-Luc raconte avoir été hospitalisé pendant près de deux années à l’église Shalom. « J’étais persécuté. De 2013 à 2015, j’avais des troubles mentaux, mais je suis guéri par la grâce de Dieu », dit-il. L’homme raconte que sa famille l’amenait simultanément voir un psychiatre.

À l’époque, une centaine de malades étaient hébergés dans cette église située à Delmas 33, rapporte Jean-Luc.

Différence entre temple et sanctuaire

Rendel Bernadin est l’un des pasteurs de l’église évangélique des Pèlerins. Pour lui, la bible n’invite personne à hospitaliser un malade au sein d’un temple. « Garder un malade au sein d’une église, temple du Seigneur, pour lui prodiguer des soins n’est pas biblique », croit-il.

La bible n’invite personne à hospitaliser un malade au sein d’un temple. Pasteur Rendel Bernadin

« La bible exhorte les fidèles à prier pour les malades, à leur imposer la main », poursuit Bernadin. Il relate que des sanctuaires peuvent juger nécessaire de garder certaines personnes atteintes de maladies maléfiques pour de constantes prières. « Le sanctuaire est strictement un lieu de prière et de jeune. Il se diffère du temple qui, à part la prière et le jeune, est aussi vu comme le lieu d’adoration du Seigneur. »

Pour Paule-Andrée Byron-Louis, ancienne assistante-directrice au sein de la direction de promotion de la santé au Ministère de la Santé publique (MSPP), « les églises ne sont pas des espaces [aptes à prodiguer des] soins contre des maladies chroniques ».

De ce fait, « les gens doivent être informés sur les dangers encourus en hospitalisant leur proche dans un temple », précise-t-elle ajoutant que cette question mérite d’être gérée par une approche éducative centrée sur la population chrétienne.

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« Au départ, l’hospitalisation était seulement enregistrée dans les hounforts (temple vaudou) », continue le médecin qui pense que ce phénomène procède de la tradition culturelle du peuple. Du coup, poursuit-elle, les approches en éducation de santé étaient centrées sur les pratiquants du vaudou afin qu’ils ne retiennent plus les malades dans les hounforts.

La direction de promotion de la santé au MSPP élabore actuellement un nouveau plan en éducation de santé pour les églises afin d’atténuer cette nouvelle pratique dans la société.

Le service n’est pas gratuit

Prier pour les malades constitue un moyen pour les pasteurs de collecter de l’argent. Des frais sont requis pour le service. Durant son séjour au temple de l’Armée céleste, les parents de Christela Morose avaient reçu des prescriptions et cotisé pour les soins reçus.

Prier pour les malades constitue un moyen pour les pasteurs de collecter de l’argent.

Pour sa part, le prophète Mackenson Dorilas dit ne pas recevoir de paiement pour les malades hospitalisés dans son temple. « En revanche, les personnes désirant me voir doivent acheter une carte afin de placer un rendez-vous », précise-t-il ajoutant que le prix de la carte est de 1 500 gourdes.

« Les fonds collectés dans la vente des cartes sont utilisés pour nourrir les malades, acheter de l’huile sainte, et toute autre chose nécessaire pour la guérison », fait savoir le prophète. « Après guérison, l’individu est donc invité à faire un don à l’église selon sa volonté », ajoute Mackenson Dorilas.

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Parallèlement, la quadragénaire citée plus haut dit avoir payé 2 500 gourdes pour acheter la carte. «Lors du rendez-vous, le prophète m’avait seulement dit les causes de la maladie de ma fille. Par la suite, j’ai déboursé 25 000 gourdes pour lui procurer des soins nécessaires », explique-t-elle.

Par ailleurs, la nourriture n’est pas offerte. Les gens viennent avec leurs accessoires et ustensiles de cuisine pour se préparer à manger sur la cour de l’église.

Des cas de décès enregistrés

Souvent, des personnes hospitalisées dans ces églises trouvent la mort. Quand cela arrive, certaines familles réclament un dédommagement, d’autres exigent que les obsèques soient sous la responsabilité de l’église.

Selon les déclarations d’un ouvrier de l’église Shalom, le pasteur titulaire aurait refusé de laisser les malades dormir à l’église. Cette décision a été prise suite à des cas de décès répétés et les demandes de compensation des parents.

Le prophète Mackenson Dorilas admet, pour sa part, que les malades ont l’habitude de mourir au sein de son temple. « À la différence, les parents ne m’ont point demandé de dédommagement parce que je ne leur ai pas demandé un sou pour le traitement », se réjouit-il.

*Christella Morose et Pierrot Jean-Luc sont des noms d’emprunt

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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