Un expert international au courant du processus électoral évoque à AyiboPost la possibilité d’anomalies dans la liste électorale. Avant toute élection, cette liste doit être auditée, demandent des politiciens et des acteurs de la société civile
La liste électorale pour les prochaines élections émanant de l’Office national d’identification (ONI) doit être auditée pour donner confiance aux citoyens et évacuer les accusations de fraudes potentielles.
Cette requête d’organisations de la société civile et de partis politiques vient de trouver un écho favorable au Conseil électoral provisoire (CEP) dans un contexte d’accusations d’émission de plusieurs cartes d’identité à certains citoyens et de critiques contre la signature du contrat liant l’État haïtien avec l’entreprise allemande Dermalog pour fabriquer les cartes, malgré des avis défavorables des autorités régaliennes en 2018.
«C’est tout à fait normal, c’est souhaitable», a déclaré à AyiboPost Max Délices, le directeur du CEP lorsqu’il a été questionné sur la nécessité d’auditer la liste électorale.
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Progressivement mise à jour, la liste contient environ cinq millions d’électeurs aujourd’hui, révèle Délices à AyiboPost.
Le directeur par intérim depuis 2019 émet des doutes quant aux possibilités pour un citoyen de voter plusieurs fois, compte tenu des garanties de sécurité biométriques installées dans les cartes et les numéros uniques.
Mais un expert international proche du processus électoral révèle à AyiboPost la teneur des discussions de haut niveau effectuées sur la question de l’audit.
«Certains secteurs de la communauté internationale ne veulent pas de l’audit, mais ils ne le disent pas officiellement parce qu’ils savent qu’il y a un problème avec le fichier et d’autres n’en sont pas favorables parce qu’ils anticipent que l’exercice peut être compliqué et qu’il va prendre du temps», déclare l’expert à AyiboPost.
Progressivement mise à jour, la liste contient environ cinq millions d’électeurs aujourd’hui.
Écartée dans l’accord politique du 21 décembre 2022, la question de l’audit indépendant, pour s’assurer l’intégrité de la liste électorale a été évoquée lors de l’élaboration de l’entente politique du 11 septembre 2021, continue l’expert qui demande l’anonymat pour pouvoir discuter librement du sujet épineux.
«C’est une demande faite par les partis politiques de l’opposition, car ils n’ont pas confiance dans la manière dont a été élaboré le fichier de la liste électorale», dit-il. «Cette demande n’a pas été satisfaite jusqu’à présent», souligne-t-il.
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En avril 2017, le président Jovenel Moïse signe un projet de loi pour instituer une Carte d’identification nationale unique, en remplacement à l’ancienne carte d’identité.
L’année suivante, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif émet deux avis défavorables contre un contrat de 27 millions de dollars américains entre Haïti et la firme Dermalog, choisie par l’exécutif pour le projet.
Le gouvernement à l’époque ignore les recommandations de la CSCCA et signe le contrat avec l’entreprise allemande qui détient des projets dans au moins une vingtaine de pays, dont le Brésil ou le Salvador, pour des systèmes d’identification biométriques automatiques.
Écartée dans l’accord politique du 21 décembre 2022, la question de l’audit indépendant, pour s’assurer l’intégrité de la liste électorale a été évoquée lors de l’élaboration de l’entente politique du 11 septembre 2021.
La carte donnée par Dermalog contient une puce intelligente qui recueille l’empreinte digitale de son détenteur, l’empreinte de l’iris (yeux), les données biographiques et la signature du citoyen.
Depuis le début des distributions, des dénonciations faites dans les médias suggèrent la possibilité pour un seul citoyen de détenir simultanément plusieurs cartes, ce qui lui permettrait de voter à plusieurs reprises lors d’éventuelles élections.
«C’est arrivé au début, car on faisait une production de masse des pièces d’identité», soutient à AyiboPost, Reynaldo Camilus, directeur technique au niveau de l’ONI.
Cependant, prévient le responsable, même quand une personne possède deux cartes, «une seule est activée».
La puce permet de désactiver l’ancienne carte à la récupération de la nouvelle. «L’empreinte digitale qui active la deuxième carte désactive automatiquement la première», selon Reynaldo Camilus.
C’est arrivé au début, car on faisait une production de masse des pièces d’identité. Cependant, […] même quand une personne possède deux cartes, « une seule est activée ».
– Reynaldo Camilus
Un accord signé en 2005 et renouvelé en 2020 entre le CEP, le ministère de la Justice (MJSP) ainsi que l’ONI prend en compte les informations biométriques des citoyens dans l’élaboration de la liste électorale.
En cas de doute lors des élections, «on peut toujours vérifier à l’aide de l’empreinte et de la reconnaissance faciale», soutient Max Délices, le directeur du CEP.
Cependant, aucune disposition n’est communiquée par le CEP pour l’usage d’appareils afin de détecter électroniquement si un citoyen a déjà voté dans un autre bureau de vote.
Des institutions de la société civile insistent pour un audit de la liste avant les élections. «C’est incontournable pour assurer la confiance des électeurs dans le processus électoral à venir», estime Samuel Madistin de la Fondation Je Klere.
Ces deux dernières années, beaucoup de personnes ont été tuées et des dizaines de milliers d’autres sont déplacées en raison de la violence des gangs, évoque le responsable de FJKL.
En cas de doute lors des élections, « on peut toujours vérifier à l’aide de l’empreinte et de la reconnaissance faciale ».
– Max Délices
Les accusations de corruption qui ont entouré la sélection de la firme chargée de confectionner les cartes et la campagne de rejet menée par l’opposition à Jovenel Moise ont totalement décrédibilisé la carte, selon Samuel Madistin.
Il faut prévoir des moyens efficaces pour «corriger les erreurs sur la liste électorale y compris les omissions et la radiation des personnes décédées ou qui ont changé de lieux de résidence», d’après l’avocat.
Bien qu’opposé à la réalisation d’élections dans le contexte actuel de gangstérisation du pays, le Réseau national de défense des droits humains se prononce également en faveur de l’audit.
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Contacté par AyiboPost, le directeur du RNDDH, Pierre Esperance, rappelle les controverses et accusations d’irrégularités ayant entouré les deux dernières élections en 2011, 2015 et 2017.
«Le plus gros problème reste la liste électorale et les cartes», estime Pierre Esperance. «Il faut prendre des mesures pour ne pas tomber dans ces situations à nouveau», soutient-il.
Même lorsque le moment était opportun et approprié, l’économiste et homme politique Fritz Alphonse Jean de l’Accord Montana affirme qu’il y a «beaucoup de suspicions entourant le système électoral en général, y compris la liste des électeurs».
Il y a le problème d’identification pour certaines personnes, «tandis que d’autres possèdent deux ou trois cartes», indique le président élu de l’Accord Montana, qui réclame des «réformes» sur cette question.
Le plus gros problème reste la liste électorale et les cartes. Il faut prendre des mesures pour ne pas tomber dans ces situations à nouveau.
– Pierre Esperance
Le débat sur l’intégrité d’éventuelles élections se profile sur le tableau sombre d’une insécurité grave, accélérée depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021.
Ariel Henry — dont le nom figure parmi les soupçonnés du magnicide, selon plusieurs rapports, et monté au pouvoir avec l’appui des membres du Core group, un regroupement d’ambassades étrangères en Haïti, sous forte influence des États-Unis — avait promis de stabiliser le pays et d’organiser des élections.
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Plus de deux ans après, le CEP n’a toujours pas un conseil et trois émissaires de la Caricom impliqués dans des négociations politiques entre Ariel Henry et l’opposition ont quitté le pays mardi 14 novembre 2023, sans avoir trouvé un accord entre les protagonistes.
La première élection de l’ère dite démocratique prend place en Haïti en 1990. Le président Jean-Bertrand Aristide du front national pour le changement et la démocratie a remporté ces scrutins.
Avec un taux de participation de 50,8 %, ces élections contrastent avec les exercices similaires subséquents, critiqués pour la plupart pour fraudes et intrusions irrégulières de la communauté internationale dans la sélection des élus.
Le débat sur l’intégrité d’éventuelles élections se profile sur le tableau sombre d’une insécurité grave, accélérée depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021.
En 2016, un courriel d’un cadre de la Fondation Clinton a suggéré une intervention des États-Unis pour propulser Michel Martelly au deuxième tour des élections de 2010, contribuant ainsi à l’élection du chanteur controversé comme président du pays. Une intervention corroborée par Ricardo Seitenfus, le représentant en Haïti de l’époque pour l’Organisation des États américains (OEA).
Cette année, un rapport des Nations-Unies épingle l’ancien chef d’État, Michel Martelly, pour son rôle dans la création de gangs criminels et la haute corruption de son gouvernement. Le Canada l’a aussi sanctionné pour ses liens présumés avec les gangs.
L’ancien président Michel Martelly a été contacté par AyiboPost avant publication sur sa page Facebook. Cet article sera mis à jour s’il réagit.
Jovenel Moïse, supporté par Michel Martelly pour le succéder à la présidence, n’a pas réussi à réaliser d’élections présidentielles ou législatives jusqu’à son meurtre brutal le 7 juillet 2021, dans l’intimité de sa chambre à coucher.
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«Nous pouvons être prêts techniquement [pour des scrutions en 2024], mais cela ne veut pas dire qu’il est possible d’organiser des élections», relate à AyiboPost l’actuel directeur du CEP, Max Délices, évoquant le nécessaire «assentiment des acteurs», un conseil électoral, la résolution de difficultés techniques et l’établissement d’un cadre légal.
Par Jérôme Wendy Norestyl & Widlore Mérancourt
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