POLITIQUE

L’histoire de la carte d’identité en Haïti est étroitement liée aux élections

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En 2005, la carte d’identité fiscale a été remplacée par la carte d’identification nationale (CIN). Des millions de dollars ont été dépensés pour mettre à jour ce nouveau système d’enregistrement. Soudainement, en 2017, un projet de loi institue la carte d’identification nationale unique. La CIN est désormais éliminée. Voici l’histoire de cette carte en Haïti

Sous la dictature duvaliériste, les Haïtiens avaient une carte d’identité mais les autorités étatiques de l’époque écrivaient tout à la main. Parce que la carte n’était pas généralisée, l’acte de naissance servait à identifier les citoyens.

Le 21 septembre 1987, un décret a créé l’Office National d’identification des personnes physiques. Ce décret a tenté vainement de répondre à la problématique de l’identification des citoyens du pays.

Dix-huit ans plus tard, un nouveau décret est adopté par le président Boniface Alexandre et publié dans le journal officiel Le Moniteur le 7 juillet 2005.

Ce décret de 30 articles institue la Carte d’identification Nationale (CIN). Il est venu compléter celui de 1987 qui a créé l’Office national d’identification des personnes physiques. Il ordonne de « procéder à l’identification des Haïtiens dès leur naissance ; tenir le registre national d’identification ; recevoir les demandes de cartes d’identification nationales ; délivrer et renouveler les cartes d’identification nationales ; collaborer avec l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique (IHSI) au recensement de la population ; exécuter toutes autres attributions qui lui sont assignées par la loi ; collaborer avec le conseil électoral pour l’établissement des listes électorales ».

Selon le décret, la délivrance de cette carte est une obligation de l’État et la première est gratuite.  Elle est délivrée à tout Haïtien qui a atteint l’âge de dix-huit ans accomplis. C’est la seule pièce d’identité qui permet à un électeur d’exercer son droit de vote à toute assemblée électorale.

En plus d’être obligatoire pour tous citoyens désireux d’occuper un poste dans la fonction publique ou un poste politique, la CIN est importante pour poser certains actes dans la vie civile.

La carte, surnommée alors « carte électorale », devait être renouvelée toutes les dix années. Les informations suivantes y figurent : le nom ; le nom d’épouse de la femme mariée ; le (s) prénom(s) ; la date de naissance ; le sexe ; le lieu de naissance avec des précisions sur le département, la commune et la section communale ; le statut matrimonial ; le numéro d’identification nationale basé sur une structure de codage pour chaque citoyen ; la photographie numérique ; les empreintes digitales numérisées et la signature de l’intéressé.

Un projet de gouvernance de l’ONI resté dans les tiroirs

Selon le décret du 1er juin 2005, la gouvernance de l’ONI est confiée à un conseil d’administration doté d’un mandat de trois ans. Le mandat de ce conseil est renouvelable une seule fois. Il est nommé par arrêté présidentiel pris en conseil des ministres. C’est au conseil d’administration qu’il revient de décider des choix technologiques à faire pour l’émission des cartes sécurisées.

Le conseil est composé d’un président qui représente le ministère de la Justice et de la Sécurité publique désigné par le titulaire de ce ministère ; d’un vice-président, représentant du ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales ; d’un trésorier qui représente le ministère de l’Économie et des Finances, désigné par le titulaire de ce ministère ; d’un membre, représentant du conseil électoral. Et, un membre d’office, directeur des archives nationales.

L’ONI est dirigé par un directeur général qui joue le rôle de secrétaire exécutif du conseil d’administration. Il participe aux séances du conseil, sans voix délibérative.

Le directeur de l’ONI est nommé par arrêté présidentiel pris en conseil des ministres, sur recommandation du ministre de la Justice et de la Sécurité publique, à partir d’une liste de trois personnes soumise par le conseil d’administration.

Cependant, depuis la création de l’ONI, ce Conseil n’a jamais été formé.

L’émission et la distribution de la CIN

Une campagne de sensibilisation avait invité les citoyens à se présenter dans les centres d’enregistrement, installés pour la plupart dans les mairies. Quelques jours après, soit en avril 2005, le processus d’enregistrement pilote des Haïtiens sur la première base de données biométrique du pays avait démarré. Mais, le décret du président Boniface Alexandre n’était pas encore adopté.

Au début, selon le rapport préliminaire de l’observation des joutes électorales du 7 février 2006 du Réseau national de Défense des Droits humains, la carte constituait plus un outil électoral qu’un outil d’identification en tant que tel. Son émission et sa distribution ont eu pour prétexte la réalisation imminente des élections présidentielles et législatives.

Les cartes, mentionne le rapport, avaient constitué une source d’inquiétude ayant porté le Conseil électoral provisoire (CEP) d’alors à repousser à plusieurs reprises, les dates officielles de la tenue des élections.

Selon le rapport du RNDDH, cette première carte qui contenait dix-sept chiffres était imprimée sur un support en Teslin. Ce support est vendu seulement aux États-Unis. II est généralement utilisé pour les cartes fournies par les autorités étatiques.

Pour les élections de 2006, les cartes d’identification nationales avaient été délivrées par l’Organisation des États américains (OEA). Plus tard, soit en février 2007, l’Office national d’identification a été mis en place et l’émission des cartes, les corrections, etc., lui ont été confiées.

Les limites de ce système d’enregistrement

De nombreuses cartes avaient été réclamées avant les élections de 2006. Cependant, des problèmes d’enregistrement des citoyens, des erreurs dans les cartes émises ainsi que des difficultés de distribution avaient été enregistrés, ce qui a constitué les premières limites du système étatique d’enregistrement biométrique des citoyens et citoyennes.

Au fil des ans, d’autres limites sont apparues. On reprochait à l’ONI la saturation du système, la non-épuration de la base de données existante, notamment après le séisme du 12 janvier 2010, la non-prise en compte des condamnations en perte de jouissance des droits civils et politiques ou à des peines afflictives et infamantes, selon les prescrits de l’article 14 du décret du 1er juin 2005.

Selon cet article, tout jugement rendu affectant l’état civil ou l’exercice des droits civils et politiques d’un individu doit être notifié à l’ONI aux fins d’épuration de la base de données. Cet article prévoit qu’en outre, une fois par trimestre, les officiers de l’état civil doivent soumettre à l’ONI tous actes affectant l’état civil des citoyens et citoyennes. Il précise aussi les conditions dans lesquelles la qualité d’électeur se perd.

Il s’agit malheureusement de dispositions légales qui, selon les informations recueillies par RNDDH sur le terrain, n’ont jamais été mises en application. C’est pourquoi, chaque fois qu’il a été question d’élections, la non-épuration de la base de données a toujours été soulevée.

 Conséquemment, sept (7) ans après la mise en place en Haïti du premier système d’enregistrement biométrique, le constat selon lequel l’ONI ne répondait pas aux exigences du décret du 1er juin 2005 avait été réalisé. Il y avait donc une nécessité de renforcer le système.

Le besoin de renforcement

Un accord a été conclu le 12 octobre 2012 entre l’ONI, représenté alors par son directeur général Jean Baptiste SAINT-CYR, d’une part et la Société d’investissement Pétion Bolivar SAM, et la Société Smartmatic of Haïti S.A. d’autre part. Sur la base d’une proposition technique jugée plus économique pour l’État haïtien, l’entente confiait à ces entités la responsabilité de réviser le système afin de le rendre apte à répondre efficacement aux nombreuses exigences soumises.

Selon l’article 3 de cet accord, en plus de l’inscription, une procédure de contrôle empêchant les citoyens de s’enregistrer plus d’une fois devait être mise en place. De plus, le système devait notamment permettre l’émission des actes de l’état civil modernisés, la préparation de registres de décès, l’émission et la délivrance des cartes d’identification pour les citoyens enregistrés et âgés d’au moins dix-huit (18) ans, la formation pour le personnel haïtien.

Dans le cadre de cet accord, l’État haïtien avait été doté d’un système intégré de Gestion de l’Identité et de l’État civil comportant un système complet d’identification baptisé (IDMS), de deux (2) centres nationaux de données, équipés et opérationnels, d’un bâtiment technique de l’ONI installé à Puits Blain, d’un Centre National d’Entrepôt de Données (Datawarehouse), permettant d’analyser les données de plusieurs ministères et d’émettre les rapports y relatifs.

Pour faciliter le processus d’enregistrement et le rendre accessible à tous et à toutes, sept cents (700) kits d’enregistrement ont été déployés à raison de six cents (600) kits dans les communes du pays et de cent (100) kits dans les consulats et ambassades à l’étranger. Des véhicules roulants ont aussi pu être acquis dans le cadre de cette entente, en vue de faciliter la réalisation des activités de terrain. L’État haïtien a pu enfin bénéficier d’une plateforme de formation en ligne dans l’objectif d’assurer la formation continue des employés-es de l’ONI.

Fin 2014, une base de données améliorée a été remise à l’ONI et tous les cas de duplication ont été supprimés.

Les opérations de mise à jour de ce système d’enregistrement et de livraison des cartes, en passant par la formation des cadres supérieurs et intermédiaires, ont coûté à l’État haïtien cinquante-cinq millions (55.000.000) de dollars américains.

Toutefois, les dispositions du contrat susmentionné n’ont pas pu être totalement mises en œuvre et la base de données améliorée n’a jamais pu être effective. Par exemple, pour ce qui a trait à l’article 3 dudit contrat, la capacité d’effacer des informations en vue d’épurer la base est subordonnée à la présentation par les ayants droit, des actes de décès et la communication, par les instances concernées selon les prescrits de l’article 14 du décret du 1er juin 2005, des décisions de justice passées en force de chose souverainement jugée.

Cependant, malgré ces nombreuses limites, la perception était que le système de l’ONI, avec un peu de volonté politique réelle et quelques aménagements, pouvait fonctionner puisque doté d’instruments légaux suffisamment forts et mis en place avec des solutions technologiques suffisamment robustes pour assurer sa pérennité. Cette base n’offrait aucune possibilité de manipulation de données en dehors des procédures établies dans le système.

Une nouvelle évaluation pour optimiser le système de l’ONI

Le Conseil national des acteurs non étatiques (CONHANE), le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), la Commission épiscopale nationale Justice et Paix (CE-JILAP) et le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) ont publié leur rapport sur le contrat entre l’État haïtien et la firme allemande Dermalog. Ils mentionnent qu’à la veille des élections de 2016, un rapport d’étude de performance avait été élaboré et présenté aux responsables de l’ONI par la Société Smartmatic of Haiti S.A.

Ce rapport d’étude de la société Smartmatic, intitulé Modernisation de la plateforme d’identité nationale – Solution d’enrôlement pour l’ONI-Haïti, propose en six (6) points les réaménagements à opérer pour améliorer les performances de l’ONI et assurer un service rapide et efficace d’enregistrement et de distribution des cartes.

Ces points concernent entre autres, la restauration des services de maintenance, la formation pour l’opération maximale des appareils, la restauration de tous les services au centre de données, l’amélioration de la connexion de réseau et la correction des problèmes électriques rencontrés notamment à Boutillier.

Par la suite et sans que le lien entre ce rapport et les informations qui s’ensuivent ne puisse être établi, les responsables de l’ONI ont fait l’acquisition toujours en 2016, d’équipements onéreux devant permettre l’authentification des cartes des citoyens et citoyennes et la traçabilité de celles-ci, dans un souci d’épuration de la base de données. Il serait même évoqué qu’à date, l’ONI n’a pas encore fini de payer ces équipements.

Une ultime proposition de réforme est rejetée …

La proposition de Modernisation de la plateforme d’identité nationale – Solution d’enrôlement pour l’ONI-Haïti a été complétée puis acheminée aux autorités concernées le 29 octobre 2018.

Toutes les activités ont été budgétisées à hauteur de deux millions neuf cent quatre-vingt-sept mille cent quatre-vingt-quatorze (2.987.194) dollars américains. Cette proposition a été rejetée par les autorités étatiques sans que les raisons de ce rejet n’aient été communiquées.

… Et, la CIN est changée en CINU 

Trois mois après son investiture, le président haïtien Jovenel Moïse, a adopté en conseil des ministres un projet de loi instituant la Carte d’identification nationale unique et portant sur la protection des données personnelles. C’était le 19 avril 2017.

Avec ce projet de loi, la carte Carte d’identification nationale unique (CINU) remplace la Carte d’identification nationale (CIN). Et un Numéro d’Identification unique (NUNI) remplace aussi le Numéro d’Identification nationale (NIN). La CINU, de son côté, se renouvelle chaque 15 ans. Du jour au lendemain, la CINU balaie toute l’histoire du CIN et aussi les fonds débloqués pour créer, actualiser et optimiser ce système d’enregistrement qui venait juste de boucler une décennie.

Journaliste à Ayibopost. Je m'intéresse à la politique et à la culture.

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