Justice

Le concept « garde à vue » n’existe pas dans les lois haïtiennes

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Le terme vient d’un raisonnement juridique qui permet de déduire que la personne arrêtée est détenue quelque part bien avant sa présentation par-devant un juge ou du commissaire du gouvernement

Trois ans de cela, 78 personnes retenues en garde à vue ont pris la fuite dans un commissariat de la ville d’Aquin, département Sud du pays. Selon un rapport du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), ce commissariat a été converti en prison en raison du nombre important d’individus en contravention avec la loi retenus dans l’espace.

Pourtant, le terme garde à vue qui, par définition, renvoie à la détention d’un individu ayant commis une infraction n’est pas spécifiquement établi dans les textes de loi haïtienne. Il est utilisé dans la pratique judiciaire sans aucune référence légale, souligne l’avocat pénaliste Frantz Gabriel Nerette.

L’expression fait référence au délai de 72 heures mentionné dans le Code d’Instruction criminelle. Ce texte de loi fait obligation à la police de présenter l’individu inculpé dans un délai ne dépassant pas 72 heures par devant un juge ou le commissaire du gouvernement.

Selon Me Guerby Blaise, docteur en droit pénal et sciences criminelles, l’article 26 de la Constitution de 1987 qui traite de la détention ne fait pas non plus mention de la « garde à vue ».

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Le passage en question dans la loi mère du pays dispose que « nul ne peut être maintenu en détention s’il n’a comparu dans les 48 heures qui suivent son arrestation, par devant un juge appelé à statuer sur la légalité de l’arrestation et si ce juge n’a confirmé la détention par décision motivée ».

Quant au délai de comparution, il y a contradiction entre les deux textes de loi puisque la Constitution ordonne que le présumé doit comparaître par devant les autorités judiciaires après 48 heures alors que le code d’instruction criminelle répartit à 72 heures ce même délai.

Quoi qu’il en soit, dans la pratique judiciaire haïtienne, que ce soit au niveau de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) ou des actions menées par le commissaire du gouvernement, les procès-verbaux mentionnent que l’individu inculpé est maintenu en garde à vue pour tel motif. C’est aussi le cas dans les registres des commissariats en Haïti après chaque arrestation, constate AyiboPost.

L’absence du concept soulève des questions légales. « Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle prescrit », selon l’article 24,1 de la Constitution du pays.

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Étant donné qu’aucun texte normatif dans le système judiciaire ne mentionne la question de la garde à vue, l’avocat pénaliste Me Guerby Blaise, estime que le doyen du tribunal de première instance comme juge de la liberté peut décider de procéder à l’annulation de l’arrestation d’un inculpé dont le procès-verbal mentionne qu’il a été maintenu en « garde à vue », parce qu’en réalité, « il n’existe aucun fondement légal et juridique qui renvoie au terme. Son utilisation n’est pas techniquement une violation de la loi, mais les textes de loi existants font de préférence mention de détention », dit-il.

Selon le pénaliste Frantz Gabriel Nerette, le terme garde à vue vient d’un raisonnement juridique qui permet de déduire que la personne arrêtée est détenue quelque part bien avant sa présentation par devant un juge ou du commissaire du gouvernement.

Le parlement devrait voter une loi pour statuer sur cette affaire de garde à vue, pense Me Guerby Blaise. « Cette loi devrait non seulement définir le vocable, mais l’instituer dans l’ordre juridique interne du pays. »

Le temps que l’individu inculpé devrait passer en garde à vue doit être aussi révisé de manière à harmoniser les dispositions de la constitution et celles du code de l’instruction criminelle, fait savoir Me Blaise.

Cette loi devrait parallèlement informer quand le délai de garde à vue doit être prolongé afin d’éviter de priver une personne de sa liberté après le nombre d’heures fixées par loi.

Une bonne partie des lois haïtiennes proviennent d’un exercice de copie du droit français. La mise en application du premier code d’instruction criminelle haïtienne remonte en 1835. Selon Me Blaise, ce code avait typiquement repris les mêmes éléments juridiques du droit pénal français. Aucune mention du concept « garde à vue » ne s’y trouvait.

Photo de couverture : James Emery / Flickr

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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