Il n’y a que deux rhumatologues connus dans la capitale
Alexa Cabèche revenait d’une sortie à la plage avec des amis. Sur le chemin du retour, ils sont passés à une activité de « Car Wash », ces programmes où musique et eau sont déversées sur la foule. Elle savait que ce n’était pas prudent, à cause d’une douleur au genou qui la tenaillait souvent. Mais elle n’a pas pu résister.
Au milieu de la nuit, alors qu’ils dormaient, ses amis ont été réveillés par des gémissements de douleur. Ils sont allés voir ce qui se passait. Ils ont trouvé la jeune femme en pleurs.
« J’avais atrocement mal aux genoux, dit Alexa Cabèche. Mes amis m’ont trouvée avec deux oreillers sur les genoux, pour tenter de les réchauffer. J’étais couverte de la tête aux pieds. Mais la douleur était plus forte que tout et je n’avais rien qui puisse m’aider. C’était terrible. Mais c’est après cette expérience que ma mère a compris que j’avais vraiment mal quand je lui parlais de mes genoux. »
Cette douleur, la jeune femme la ressent depuis longtemps. Mais c’est par hasard qu’elle a découvert qu’elle souffrait de rhumatisme. « J’étais allée voir un médecin pour un kyste ovarien, dit-elle. J’ai eu des examens à faire, pour un bilan de santé afin de savoir si je pouvais commencer le traitement. Lorsqu’il a eu les résultats, il m’a informé de l’arthrite. J’étais surprise, c’est vrai que j’ai des douleurs chroniques, mais je ne pensais pas qu’on pouvait souffrir de rhumatisme aussi jeune ».
Une maladie fréquente
Comme Alexa Cabèche, Vanicia St Clat a découvert son mal indirectement. « Lorsque j’avais mes règles, j’éprouvais en même temps beaucoup de douleurs aux articulations du genou et des chevilles. Mes hanches aussi me faisaient souffrir. Malgré plusieurs examens, le gynécologue ne pouvait pas trouver la cause de ce mal. Un jour je lui ai dit qu’il fallait peut-être que je fasse des examens pour découvrir si j’ai un rhumatisme. Les résultats étaient positifs. »
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Le docteur Rachel Édouard Noël est l’une des deux seules rhumatologues connus à Port-au-Prince. Ce n’est que récemment qu’un deuxième médecin, Claire Belliot Jacquet, a commencé à exercer. Pendant quinze ans, le docteur Noël était le seul médecin rhumatologue de la capitale.
Au cours de cette période, l’une de ses étudiantes et elle ont mené une étude sur la prévalence de rhumatisme en Haïti. Elle était de 1 %, c’est-à-dire dans la moyenne internationale.
Pendant quinze ans, le docteur Noël était le seul médecin rhumatologue de la capitale
« Quand on parle de rhumatisme, on voit une grande catégorie de maladies qui éprouvent les os et les articulations, dit Rachel Édouard Noël. Mais ce ne sont pas des traumatismes ; il ne s’agit pas d’os brisés, qui eux nécessitent un orthopédiste. Il y a plusieurs types de rhumatisme, mais les plus courants en Haïti sont l’arthrite rhumatoïde et l’arthrose. »
L’arthrite rhumatoïde est une inflammation des articulations. On peut en souffrir à tout âge. L’arthrose est liée à l’usure des articulations. Avec le temps, le cartilage des os, placé à leur extrémité, s’use et devient plus mince. Cela cause des douleurs, mais ce sont les personnes âgées qui en souffrent en majorité. L’étude a aussi révélé que pour l’arthrite rhumatoïde, ce sont les femmes qui étaient les plus touchées, avec une prévalence de quatre femmes contre un homme.
Ce sont des examens de laboratoire qui peuvent détecter l’arthrite rhumatoïde. « Le plus souvent, et surtout si plusieurs articulations sont douloureuses en même temps, la cause est une maladie auto-immune. Cela signifie que c’est le système immunitaire lui-même qui s’attaque aux articulations, en produisant des anticorps. On parle alors de polyarthrite rhumatoïde », dit Rachel Édouard Noël.
Quant à l’arthrose, c’est par une radiographie que le médecin est plus à même de la déceler. « Quelqu’un qui a des articulations douloureuses depuis des années, et qui remarque que la douleur est de plus en plus forte, souffre probablement d’arthrose », poursuit la spécialiste.
Le poids de l’âge
Ce sont les personnes âgées, à cause de l’usure du cartilage, qui souffrent le plus d’arthrose, mais certains facteurs non négligeables peuvent entrer en compte, comme le surpoids.
Alexa Cabèche et Vanicia St Clat ont le froid en horreur. C’est l’un des éléments déclencheurs de leur douleur. « J’évite la climatisation au maximum, dit Alexa Cabèche. Les ventilateurs aussi, mais c’est plus difficile, car en même temps, quand il fait chaud, je suis facilement grippée. Si je sors le soir, et que je prends une moto, je sais déjà que je vais souffrir une fois rentrée, surtout si mes habits ne couvraient pas mes genoux. »
Selon le docteur Noël, l’arthrite est sensible au froid, mais en général les rhumatismes sont plus sensibles à l’humidité. « Les gens qui ont une arthrose peuvent sentir quand il va pleuvoir parce que les articulations commencent à leur faire mal », dit-elle.
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Pour le moment, Vanicia St Clat vit à Boston, où il fait très froid. Mais à son grand étonnement, les douleurs ne sont pas aussi fortes qu’elle pourrait s’y attendre. « Les médecins m’avaient prescrit des médicaments, mais ils me faisaient grossir. J’ai arrêté de les prendre. Les douleurs sont insupportables principalement quand j’ai mes règles. »
Tout dépend du type de rhumatisme, certaines articulations sont plus vulnérables. « En général l’arthrite rhumatoïde commence dans les mains et les doigts, dit Noël. Pour l’arthrose ce sont le plus souvent les genoux, mais cela dépend du métier qu’exerçait la personne. Un danseur ou un cycliste pourra développer une arthrose de la hanche, quelqu’un qui travaille sur un ordinateur, et qui a une mauvaise posture peut développer une arthrose au cou par exemple. »
Des astuces utiles
Cabèche et St Clat ont développé leur routine, pour vivre avec la douleur. Vanicia St Clat assure qu’elle ne se douche jamais avec de l’eau froide, et elle met toujours plusieurs vêtements. Elle boit du thé de gingembre tous les jours, mange beaucoup de légumes, et a toujours à sa portée de la vaseline pour se masser les articulations.
Pour Alexa Cabèche, la solution passe par des habits qui tiennent au chaud, sans compter les gels antidouleur. Mais le sport aide beaucoup. « Je ne pratique pas régulièrement, mais quand je vais à la gym je remarque que je n’ai presque plus de douleur », dit-elle.
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Selon le médecin, plusieurs facteurs peuvent déclencher ou aggraver un rhumatisme. « Il y a des prédispositions, mais on ne peut pas dire que c’est totalement héréditaire, dit-elle. Toutefois, quelqu’un qui est en surpoids augmente ses risques de développer une arthrose au genou. »
L’alimentation peut aussi être la cause d’une forme de rhumatisme appelée la goutte. C’est surtout le gros orteil qui fait mal au patient, dans le cas de cette maladie. « Certaines personnes en souffrent à cause d’une alimentation trop riche en protéines. Il faut alors éliminer ces apports en protéine de l’alimentation », assure la spécialiste.
Les patients consultent de plus en plus des rhumatologues, selon le docteur Noël. « En vingt ans, il y a eu du progrès, dit-elle. Avant, beaucoup de gens allaient voir un orthopédiste, mais grâce à internet surtout, du moins pour ceux qui en ont accès, les consultations sont devenues plus nombreuses. Mais du travail reste à faire, car il y a encore des gens qui se disent que c’est juste une petite douleur et que c’est normal. Quand ils viennent me voir, il peut être trop tard et la seule solution c’est le fauteuil roulant. »
La rhumatologie est une spécialité très demandée, d’après la rhumatologue. Paradoxalement, cela explique la rareté de rhumatologue dans le pays. « J’ai eu des étudiants qui s’y sont formés, mais ils sont partis pour ne plus revenir, regrette Rachel Edouard Noël. Malheureusement c’est le cas dans plusieurs domaines de spécialité en médecine. »
Jameson Francisque
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