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Le Brésil donne à P-au-P l’un de ses derniers centres culturels

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La « diplomatie sociale » du Brésil, très acclamée, s’inscrit dans un contexte de forte influence politique de pays comme les États-Unis ou le Canada en Haïti

En raison des violences perpétrées par des gangs au centre-ville de Port-au-Prince, la Capitale a progressivement perdu certains de ses espaces vivants, jadis animés par des activités culturelles et intellectuelles.

À Pétion-Ville, le centre culturel Brésil-Haïti (CCBH) offre désormais aux artistes et au public un refuge où la créativité et les échanges survivent, à travers des ateliers, concerts, débats, expositions et rencontres.

Un responsable de l’institution, rencontré par AyiboPost, évoque une explosion des demandes de partenariats et des fréquentations depuis 2023.

Le 27 août 2025, les branches d’arbres, atténuant les rayons d’un chaud soleil de midi, distillaient une fraîcheur ombragée dans l’enceinte du CCBH.

Sur la cour, un va-et-vient constant : des jeunes, pour la plupart, entrent et sortent.

 

Une photo du Centre Culturel Brésil-Haïti à Pétion-ville, le 27 août 2025.  CP : Junior Legrand

Une photo du Centre Culturel Brésil-Haïti à Pétion-ville, le 27 août 2025. CP : Junior Legrand

Sous une tonnelle, d’autres, assis en ronde, frappaient des tambours et emplissaient la cour d’une longue suite de battements syncopés.

Le centre paraissait, à première vue, un nouveau refuge pour un parterre de jeunes friands d’activités culturelles.

Wisancha Justin, étudiante en géographie dans la vingtaine, fréquente le centre depuis novembre 2024, l’année où elle a commencé ses cours de tambour au sein de l’« Atelye Tanbou Plen Minui » (ATPM).

Wisancha Justin, une des étudiantes de Atelye Tanbou Plen Minui (ATPM).

Wisancha Justin, une des étudiantes de Atelye Tanbou Plen Minui (ATPM). Photo : Junior Legrand

Avant que les exactions des gangs au bas de la ville de Port-au-Prince ne la poussent vers le CCBH, Justin fréquentait régulièrement des lieux culturels comme le Centre d’Art, Anba Tonèl, la Maison Dufort ou Yanvalou, aujourd’hui inaccessibles sous la pression des gangs.

Pour la jeune femme, privée d’activités culturelles par l’insécurité et se disant moins « épanouie et détendue », le CCBH est devenu un véritable havre.

Il la reconnecte aux expositions, aux concerts et aux rencontres, tout en lui offrant un lien précieux avec d’autres passionnés d’art et de culture.

Wisancha Justin, étudiante en géographie dans la vingtaine, fréquente le centre depuis novembre 2024, l’année où elle a commencé ses cours de tambour au sein de l’« Atelye Tanbou Plen Minui » (ATPM).

De son côté, Nichanda Préval est nostalgique du Centre Culturel Caraïbe, du Centre d’art, espaces devenus infréquentables depuis le début de l’année au Centre-ville de Port-au-Prince, par rapport à la situation d’insécurité.

Préval, slameuse, fréquente le CCBH depuis 2022, lorsqu’elle y participe pour la première fois à un atelier psycho-théâtre.

Sur le plan académique, les déplacements répétés des facultés dus à l’insécurité ont perturbé le parcours de Préval, dont les cours se déroulent désormais en grande partie en ligne.

La photo d'une membre de l'administration du CCBH et Neno Garbers, son directeur, le 27 août 2025. CP : Junior Legrand

La photo d’une membre de l’administration du CCBH et Neno Garbers, son directeur, le 27 août 2025. CP : Junior Legrand

 

Implanté depuis 2012 en Haïti et administré par la mission diplomatique du Brésil, le CCBH se veut être un acteur dans la diffusion et le développement des expressions culturelles, avec un engagement en faveur de la diversité artistique et de l’éducation à la culture des deux pays.

Depuis la fin de 2020, sans publicité, la fréquentation du centre – ainsi que les nouveaux partenariats entre celui-ci et d’autres institutions en Haïti pour la réalisation de différentes activités – ont explosé, selon Werner Garbers Elias Pereira, son directeur général.

En décembre 2024, le CCBH réalise un nombre « record » de quinze activités en un seul mois et enregistre une affluence d’environ 5000 personnes dans ses locaux, contre 2000 à 3000 les années précédentes.

Depuis, les partenariats avec d’autres institutions, notamment pour la dotation de l’espace, s’élèvent à plus d’une trentaine, selon le responsable rencontré par AyiboPost.

Une photo de Neno Garbers, le directeur du centre culturel Brésil-Haïti à Pétion-ville, le 27 août 2025. CP : Junior Legrand

Une photo de Neno Garbers, le directeur du centre culturel Brésil-Haïti à Pétion-ville, le 27 août 2025. CP : Junior Legrand

Selon un rapport interne et non public partagé à AyiboPost couvrant la période de 2023 à 2025, ces institutions regroupent, entre autres, des représentations diplomatiques, des institutions publiques haïtiennes, des ONG et organisations internationales, des communautés religieuses – incluant à la fois des églises protestantes et des associations vodouisantes -ainsi que des associations de la société civile.

« La demande était telle que nous n’avions pas la capacité logistique et technique pour l’absorber, confie Garbers à AyiboPost. Ce qui nous a obligés à développer d’autres stratégies, comme le renforcement de notre personnel. »

En décembre 2024, le CCBH réalise un nombre « record » de quinze activités en un seul mois et enregistre une affluence d’environ 5000 personnes dans ses locaux, contre 2000 à 3000 les années précédentes.

Pour Garbers, cette affluence et ces nouveaux partenariats sont étroitement liés à l’insécurité qui ravage actuellement la capitale et qui a forcé la population et les institutions à abandonner leurs maisons et leurs locaux habituels, créant au passage une concentration plus accrue des activités dans la commune de Pétion-Ville.

Depuis le mois d’août 2025, le centre culturel Brésil-Haïti offre au centre culturel Araka, – dont les locaux au bas de la ville de Port-au-Prince ont été en partie incendiés par les gangs armés en mars 2024, – un espace où stocker des archives qui ont pu être sauvés.

D’autres institutions se sont également rabattues sur le CCBH.

Créé en décembre 2011, le Café Philo – rencontre philosophique initiée par l’ancienne professeure de l’Ecole normale supérieure, Héléna Hugot, en collaboration avec des étudiants haïtiens – se tenait au Café des Copains, à Bois-Verna et diffusé à la Télévision Caraïbe.

En décembre 2023, les activités de Café Philo sont suspendues en raison des exactions de groupes armés dans les environs de son dernier local, le Centre Culturel Caraïbe (CCC), rue Chavannes, au centre-ville de Port-au-Prince, rapporte le coordinateur national, Ralph Jean-Baptiste.

Après près d’un an d’inactivité, ces rencontres philosophiques se tiennent désormais au centre culturel Brésil-Haïti, depuis janvier 2025.

Ce changement de lieu a amené une réorganisation du Café Philo.

« Notre fonctionnement a changé. On est obligé de réaliser un seul Café Philo chaque dernier mardi du mois au lieu de tous les mardis », déclare Jean-Baptiste.

Le CCBH se veut une plateforme « neutre sécurisée et ouverte à la culture ».

L’institution n’établit pas ses partenariats sur une base financière.

Seules des contributions peuvent être envisagées lorsque le centre ne dispose pas des services ou des moyens logistiques nécessaires à un événement spécifique, précise Garbers à AyiboPost.

Une pboto de l'espace du centre culturel Brésil-Haïti à Pétion-ville, le 27 août 2025. CP: Junior Legrand

Une pboto de l’espace du centre culturel Brésil-Haïti à Pétion-ville, le 27 août 2025. CP: Junior Legrand

Pour le Brésil, lit-on dans le document obtenu par AyiboPost, « ce travail avec la société civile haïtienne constitue un exemple concret de diplomatie sociale, où l’investissement dans la culture et la cohésion communautaire devient un vecteur d’influence positive, de solidarité et de coopération Sud-Sud. »

Cette « diplomatie sociale » prend place dans un contexte de forte influence politique de pays comme les Etats-Unis ou le Canada en Haïti.

La situation sécuritaire globale menace la vie associative, culturelle et intellectuelle à Port-au-Prince.

Deux responsables d’organisations joints par AyiboPost affirment avoir été obligés de réadapter leur fonctionnement, voire de suspendre totalement certaines de leurs activités.

C’est le cas par exemple de la Mission de Transformation Humaine  Sociale Unique en Haïti (Mithsou-Haïti) – Plateforme mobilisant plus de 2000 jeunes, dont 200 membres actifs –  créée en mai 2021, qui diffuse  désormais une grande partie de sa programmation en ligne, évitant ainsi le déplacement de ses participants, selon son co-fondateur, Abdias Agenor.

L’organisation, qui réalisait ses activités dans les locaux de la mairie de Delmas – une commune sous la menace constante des gangs de « Viv Ansanm » – propose gratuitement des formations en santé sexuelle et reproductive, des ateliers de premiers secours et des concerts.

« Entre fin 2023 et début de l’année 2024, nous avons suspendu nos activités en présentiel après que la mairie de Delmas a reçu des menaces directes de bandits armés », évoque à AyiboPost Abdias Agenor.

Quoique l’insécurité ne l’ait pas encore frappé de plein fouet, ses remous effleurent parfois le centre culturel Brésil-Haïti à Pétion-Ville.

En avril 2024, après plusieurs meurtres perpétrés par des individus armés à quelques mètres de l’espace, le centre a été obligé de fermer ses portes durant un mois.

« Même les ambassadeurs de la représentation diplomatique du Brésil en Haïti ont pris peur pour nous et nous ont encouragés à cesser définitivement nos activités en Haïti », rapporte Garbers a AyiboPost.

Mais, pour le responsable, [l’administration] « têtue », ne désespère pas du pays et espère que le centre fera des émules.

« Nous voulons que le centre soit vu comme un projet pilote ou un prototype. Et que des initiatives d’échange et de coopération culturelle de ce genre soient répliquées un peu partout à travers le pays », conclut Garbers.

Par :   & Junior Legrand

Couverture | Une photo du Centre Culturel Brésil-Haïti à Pétion-ville, le 27 août 2025. CP : Junior Legrand

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Louis-Jeune est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a fait des études en philosophie et en science politique à l'Université d'État d'Haïti. Il s'intéresse à l'investigation et au journalisme multimédia.

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