Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire vient de publier son cinquième rapport de certification depuis 2017. Les juges accusés bénéficieront-ils de la même impunité que ceux épinglés dans les cinq rapports précédents ?
Sans diplôme ou utilisation de faux documents académiques. Très décriés. Absence d’intégrité morale… 28 juges viennent d’être rejetés du système judiciaire par le Conseil supérieur de ce pouvoir le 16 janvier 2023.
Ces magistrats épinglés vont-ils pour autant répondre de leurs multiples forfaits et violations de la loi devant la justice ? Rien n’est moins sur.
Depuis 2017, année du lancement du programme de certification des juges par le CSPJ, cinq rapports sont sortis. Chacun contient une liste de magistrats habilités à poursuivre dans le système et un nombre de juges écartés pour violation des lois et des règlements. Aucune poursuite n’a été engagée contre les délinquants.
Depuis 2017, cinq rapports sont sortis. Aucune poursuite n’a été engagée contre les délinquants.
D’ailleurs, le CSPJ, en fonction depuis 2012, fait l’économie des faits graves reprochés aux juges dans son dernier rapport. Les qualifications vagues liées à la moralité utilisées dans le rapport sont volontaires. Elles visent à «protéger la magistrature», révèle à AyiboPost le conseiller du CSPJ, Wando Saint-Villier qui lui-même évoque des actes de corruption et de vol de terrains commis par la plupart des juges mis en cause.
Des noms connus figurent sur la dernière liste du Conseil. L’on y retrouve le magistrat Ikenson Edumé, président du Réseau national des magistrats haïtien. Il y a aussi Ramoncite Accimé, juge en charge du dossier PetroCaribe, l’actuel commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Jacques Lafontant et Garry Orelien qui avait la charge du dossier de l’assassinat du feu Président Jovenel Moïse.
La poursuite judiciaire est un mur qu’on n’arrive toujours pas à franchir, commente Rosy Ducénat Auguste, responsable des programmes au Réseau national de Défense des Droits de l’Homme (RNDDH). Dans une note sortie le 17 janvier 2022, l’organisme salue le travail réalisé par le CSPJ. «C’est pour la première fois qu’il y a un vaste coup de balai au sein de l’appareil judiciaire haïtien », remarque Auguste Ducena.
Les qualifications vagues liées à la moralité […] visent à «protéger la magistrature»
– Wando Saint-Villier
Environ 1000 juges sans compter les commissaires du gouvernement et les substituts font partie du système judiciaire. Selon un cadre du CSPJ, l’institution devait statuer sur 120 dossiers. À cause des contraintes liées à l’instabilité politique, le conseil a travaillé sur 69. Dix de ces 69 rapports ont été retournés à la Commission technique de certification (CTC) pour des enquêtes beaucoup plus approfondies.
L’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) dans une note publiée le 20 janvier dit prendre acte de la publication de la liste des magistrats non certifiés par le Conseil Supérieur du Pouvoir. L’institution dirigée par Hans Jacques Ludwig Joseph informe qu’une enquête sera ouverte sur le patrimoine de tous les magistrats non certifiés et soupçonnés d’enrichissement illicite.
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Si l’autosaisine de l’ULCC est un pas important dans ce dossier, le docteur en Droit pénal, Me Guerby Blaise, déclare que la procédure est viciée au départ. Selon le spécialiste, l’ULCC devait en premier lieu solliciter du CSPJ la liste des magistrats mis au placard pour «soupçons de corruption».
Le processus de certification va continuer. «Tout magistrat en fonction non encore certifié n’a pas un statut de magistrat définitif dans le système», rajoute Wando Saint-Villier, doyen du tribunal civil de Hinche.
Cependant, des magistrats qui ne remplissent pas les conditions prévues par la loi continuent malgré tout d’exercer le métier souvent sans formation, sans diplômes ou avec de faux papiers.
La poursuite judiciaire est un mur qu’on n’arrive toujours pas à franchir.
– Rosy Ducénat Auguste
Les dernières opérations de certification des magistrats du CSPJ pour épurer le système datent du 16 janvier 2022. Sur une liste de 59 dossiers traités, 31 magistrats ont été certifiés et 28 autres n’ont pas reçu un avis favorable.
Créé par la loi du 13 novembre 2007, le CSPJ prend siège concrètement en 2012, soit cinq ans après sa création.
Selon les vœux de l’article 184-2 de la Constitution de 1987 amendée, cette instance judiciaire exerce sur les magistrats un droit de surveillance et de discipline. Il dispose d’un pouvoir général d’information et de recommandation sur l’état de la magistrature.
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La plupart des juges non certifiés contestent la décision du CSPJ. L’Association Professionnelle des Magistrats (APM) dans une note publiée le 19 janvier a demandé aux membres du CSPJ de reconsidérer le dossier du Juge Yvelt Petit Blanc qui fait partie des magistrats non certifiés.
Il reste au ministère de la justice, dirigé par la ministre Emmelie Prophète, d’entériner les recommandations du CSPJ. AyiboPost a vainement tenté d’entrer en contact avec le responsable juridique du ministère, Jean Nesly Elie. Il n’a pas répondu aux appels ni aux messages WhatsApp d’AyiboPost.
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