Lundi 29 octobre. Le chant saccadé des armes automatiques désemplit les rues d’une partie de la capitale. Alors que la peur et le sentiment d’insécurité court les rues et traversent les esprits, les médias en ligne pompent sur les écrans chronophages le dernier Indice de Paix Mondial (IPM) qui place Haïti en 88e position sur 163 pays, soit, une chute de 5 points par rapport à 2017 dans le rang des contrées « les moins en paix ».
Reclus quelque part au sein du palais National, l’attention de Jovenel Moise se porte sur la dernière présidentielle du Brésil, le grand voisin sud-américain traversé par une profonde crise sociale. « Je félicite Monsieur @jairbolsonaro pour sa victoire à l’élection présidentielle au Brésil », écrit le premier président haïtien utilisateur compulsif du réseau social à l’oiseau bleu. « Au nom du peuple haïtien, je lui souhaite beaucoup de succès ».
Je félicite Monsieur @jairbolsonaro pour sa victoire à l’élection présidentielle au Brésil. Au nom du peuple haïtien, je lui souhaite beaucoup de succès.
— Président Jovenel Moïse (@moisejovenel) October 29, 2018
Un tweet similaire accueillait en novembre 2016 l’accession de Donald Trump à la présidence américaine, « Je félicite @realdonaldtrump pour son élection à la Présidence des États-Unis d’Amérique. Je lui souhaite du succès aux commandes de son pays ».
Entre les deux déclarations néanmoins, une différence importante : pour Trump, le président haïtien s’est exprimé en son nom personnel alors qu’avec Bolsonaro, il déclare pérorer au nom de ses mandants.
Qui est donc Jair Bolsonaro et pour quel dessein le peuple haïtien aurait intérêt à ce que sa politique soit un succès ?
En une trentaine d’années au parlement brésilien, Jair Bolsonaro s’est forgé à coup d’invectives et d’exagérations une personnalité bravade qui a plus a voir avec les exubérances d’un Rodrigo Duterte aux Philipines qu’avec les idéaux du Mahatma Gandhi. Ancien militaire dans un pays qui s’est libéré d’une dictature de vingt ans en 1985, il ne veut rien à voir avec ceux qui ont conduit son pays à amorcer sa transition démocratique.
Jair Bolsonaro aime Donald Trump. Donald Trump l’aime. Pas uniquement parce qu’ils pianotent dans le même registre outrancier : ils cultivent une allergie commune aux noirs, détestent les Haïtiens, exècrent les homosexuels et les femmes.
Lors d’un entretien, rapporte le New York Times, Jair Bolsonaro s’est emporté contre les immigrés haïtiens vivant au Brésil. Il décrit avec dégoût la pauvreté et les conditions sanitaires qu’il aurait connues lors d’un voyage à Port-au-Prince : « J’ai vu des femmes proposer du sexe sans gêne, excusez-moi de le dire, sans aucune hygiène », a déclaré Jair Bolsonaro, qui sans la moindre évidence accuse les immigrants haïtiens au Brésil d’être porteurs de maladies.
L’histrion ne s’arrêtera guère en si bon chemin. Selon lui, les immigrants d’Haïti, d’Afrique et du Moyen-Orient sont les « vermines de l’humanité ». Des déclarations qui rejoignent ceux de son comparse américain pour qui ces régions tumultueuses ne sont que des « trous de merde ».
Une vague dite populiste s’abat sur le monde. Des nations en crise, désillusionnés par les promesses manquées d’une démocratie ineffective se réfugient dans les bras de bateleurs qui attisent la haine, érigent des boucs émissaires et offrent des expédients simplistes aux maux complexes d’un monde inégal.
Le Brésil partage avec Haïti un passé autoritaire dont le deuil est sans cesse repoussé. Face aux 60 000 homicides enregistrés chaque année, Jair Bolsonaro appelle au renouveau de la dictature, prône la violence, les meurtres et le « nettoyage social ». Selon lui, la dictature avait été trop douce en torturant en lieu et place des exécutions sommaires. Aussi dangereuses et absurdes qu’elles puissent paraitre, ces idées séduisent aussi ici.
Et comme en Haïti, de jeunes Brésiliens peu informés des souffrances infligées cèdent au révisionnisme voulant faire de la dictature un « âge d’or » pendant lequel régnaient la prospérité et la sécurité. La parole de Jovenel Moise pèse peu, certes. Mais par ces temps de résurgence du despotisme, son silence et son inaction profitent mieux à la nation que ses élucubrations pour souhaiter réussite à Jair Bolsonaro.
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