Les avocats de Samir Handal peuvent évoquer « l’état de délabrement de la justice haïtienne pour tenter de rejeter la demande d’extradition », soutient James Boyard, spécialiste en droit international
Un mandat d’amener a été émis contre Samir Handal pour son implication présumée dans l’assassinat du président Moïse en juillet dernier. Quatre mois après, soit le lundi 15 novembre 2021, l’homme d’affaires a été arrêté à Istanbul, en Turquie. Son interpellation a eu lieu lors de son transit dans ce pays bien avant son départ pour la Palestine.
Samir Handal reviendra-t-il en Haïti pour répondre aux questions de la justice ?
Certes, aucun traité d’extradition n’a encore été signé entre Haïti et la Turquie. Cependant, une convention des Nations-Unies de1973 dont Haïti et la Turquie comptent parmi les signataires donne aux autorités haïtiennes la possibilité de demander l’extradition de ce présumé assassin.
Puisque non automatique, la procédure d’extradition va faire l’objet d’une bataille judiciaire. Le verdict sera connu après les 40 jours que va durer le processus.
L’extradition de Samir Handal se complique supplémentairement par le fait qu’il détient plusieurs nationalités. Dans le cas où ces pays formulent aussi une demande d’extradition, les autorités turques vont devoir appliquer des théories pour déterminer le pays ayant le droit de recevoir le concerné, raconte le professeur James Boyard, spécialiste en droit international, dans une entrevue sur ce dossier avec AyiboPost.
Les échanges ci-dessous ont été modifiés et condensés.
AyiboPost : Pensez-vous que Samir Handal a une implication réelle dans l’assassinat du président Jovenel Moise ?
James Boyard : Je ne suis pas le mieux placé pour confirmer ni infirmer son implication. Mais il y a un fait, c’est que l’homme d’affaires était très proche du président. Ce rapprochement était sans doute parce qu’il se retrouvait dans la vision de Jovenel [Moïse] ou probablement, il cherchait à défendre son intérêt auprès de lui. De toute façon, il y avait une intermédiaire qui lui avait permis de se rapprocher du président.
Pour l’aspect de son implication dans l’assassinat du défunt président Jovenel Moïse, je crois que c’est le juge d’instruction qui a le pouvoir de le déclarer en cas où les faits qui lui sont reprochés sont tenus. Dès lors, il sera inculpé et la justice pourrait le poursuivre.
Lire aussi: JOVENEL MOISE ASSASSINÉ, QUI DIRIGE HAITI MAINTENANT ?
Avez-vous une idée de l’activité commerciale de monsieur Handal en Haïti ?
Je n’ai pas vraiment une idée claire sur la branche d’activité de cette famille. Mais elle est l’une des familles en Haïti qui investit dans le domaine import-export. Avant, les familles qui composaient cette classe bourgeoise se spécialisaient dans un domaine pour pouvoir en détenir le monopole. Mais depuis des décennies, elles appliquent ce qu’on appelle la diversification dans leur activité. Elles n’ont donc pas une activité précise.
Samir Handal fait partie du secteur privé des affaires. Il est membre d’une des grandes familles commerçantes en Haïti. Sa famille est d’origine étrangère. Ils se sont installés en Haïti pendant la période de l’occupation américaine de 1915. L’installation de ces étrangers en Haïti était le moyen idéal pour les Américains de prendre à contrepied une partie de la bourgeoisie haïtienne nationaliste qui n’était pas d’accord à l’occupation.
Certains historiens rapportent aussi que les Américains avaient une stratégie pour aliéner l’élite haïtienne qui consistait à ramener dans le pays d’autres élites tournées vers l’étranger et le commerce externe, plus particulièrement le commerce américain. Il ne faut pas oublier que la plupart des Syriens et Arabes qui avaient intégré Haïti à cette époque détenaient aussi la nationalité américaine.
Samir Handal peut-il être extradé sans aucun traité entre les deux pays sur la question ?
En vrai, il n’existe pas de traité entre Haïti et la Turquie sur l’extradition. Parce qu’en réalité le principe premier en matière d’extradition, c’est qu’il doit y avoir un traité entre le pays requérant (demandeur de l’extradition) et le pays requis (qui répond favorablement ou défavorablement à la demande). En revanche, il existe un traité bilatéral entre les deux pays. Il s’agit de la convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale. Grâce à cette convention, l’État haïtien peut obtenir l’extradition du concerné.
Cette convention a été adoptée à New York le 14 décembre 1973 par les Nations-Unies et elle vise à poursuivre ou réprimer tout individu portant atteinte à la vie et à l’intégrité des personnes jouissant de la protection internationale. Haïti l’avait signé le 25 août 1980 et elle l’a ratifié le 24 septembre 1980. La signature de ce document par la Turquie a été faite le 11 juin 1981, elle l’a ratifié un mois après, soit le 11 juillet 1981. Parmi les personnes énumérées ayant droit à la protection internationale figurent : les diplomates, les chefs d’État, les chefs de gouvernements et les ministres des Affaires étrangères.
L’article 8 de cette convention traite la possibilité de l’extradition entre les pays signataires. En ce sens, Jovenel Moïse comme étant un chef d’État peut bénéficier de cet article pour la poursuite des individus en terre étrangère présumés impliqués dans son assassinat.
Parallèlement, il y a un bémol dans l’article 9 de cette convention, car le pays requérant doit prouver que l’extradé sera traité et jugé de manière équitable. Le processus peut être compliqué sur ce point si les avocats de monsieur Handal utilisent cet article pour faire échec à l’extradition.
Lire également: Plusieurs juges « compétents » voulaient enquêter sur l’assassinat de Jovenel Moïse. Ils n’ont pas été choisis.
Comment pouvez-vous expliquer ces complications ?
En cas où les avocats de Samir Handal utilisent l’article 9 dans cette affaire, il peut y avoir des problèmes. Parce qu’ils peuvent évoquer l’état de délabrement de la justice haïtienne pour tenter de rejeter la demande d’extradition. À ce stade, il y a des faits assez solides qu’ils peuvent utiliser. Par exemple, le cas de vols répétés des dossiers dans les parquets et les greffes du pays.
Ils peuvent aussi mentionner les cas de détention préventive prolongée et les conditions désastreuses de détention en Haïti où il n’y a pas assez de cellule, d’espace et de nourriture pour les prisonniers. Le dernier argument qu’ils pourront éventuellement faire jouer contre Haïti est le décès de l’ex-commissaire Gilbert Dragon, présumé impliqué aussi dans l’assassinat du président, qui a été infecté du Covid-19 sans recevoir des soins adéquats que nécessitait son cas. Il était gardé en détention au Pénitencier national.
C’est pourquoi je pense que l’État haïtien doit être très prudent dans les charges retenues contre Samir Handal dans son dossier d’extradition. Il ne doit pas formuler de simples charges contre l’individu. Il doit évoquer des charges qu’il aura assez d’éléments pertinents qui vont permettre d’auditionner et de juger convenablement l’accusé. Si les charges formulées dans le dossier d’extradition sont démontées par les avocats du concerné quand il est extradé dans le pays, l’État haïtien ne pourra plus le juger pour une autre charge. Si les avocats prouvent que monsieur Handal n’a rien à voir avec les charges retenues, l’État haïtien sera dans l’obligation de le libérer.
Pourquoi les autorités turques gardent Samir Handal en détention pendant 40 jours. Est-ce une formalité dans processus d’extradition ?
Toute demande d’extradition doit passer par trois étapes : la phase administrative, judiciaire et politique. Chaque phase a un temps de traitement puisque le dossier doit être traité convenablement en fonction de l’intérêt politique et des lois en vigueur dans les deux pays.
Dans la phase administrative, on analyse les formes de la demande, la langue dans laquelle elle est écrite et les charges retenues contre l’individu au regard des textes de loi haïtienne qui condamnent ce qu’on reproche à l’individu. Dans la phase judiciaire, on va analyser la demande d’Haïti par rapport aux textes de lois turques pour voir si elle ne porte pas atteinte à l’ordre public turc.
Dès lors, les autorités turques vont considérer en fonction de leur loi, si l’individu qui sera extradé va être jugé de manière équitable, s’il ne va pas subir de traitement inhumain ou encore des actes de tortures. Dans la dernière phase, ce sont les autorités politiques qui prendront la décision de donner l’autorisation ou non de l’extradition en fonction de leur intérêt ou considération qui sont d’ordre politique.
Qu’est-ce qui va se passer si la demande d’extradition d’Haïti est rejetée ?
En cas de refus, le pays qui retient le détenu peut le poursuivre pour les charges retenues contre lui. Mais tout est possible lorsque la volonté des deux pays se joue. La Turquie peut négocier avec Haïti, pour envoyer des juges auditionner le prévenu. La justice haïtienne peut aussi juger l’accusé en Haïti sans qu’il ne soit présent. En cas de condamnation, il purgera sa peine dans une prison turque ou dans une prison de l’un des pays où il avait la nationalité.
En cas de refus, est-ce que la charge ou le coût du prisonnier sera pris par les autorités turques ?
Les frais du prisonnier et autres détails seront discutés dans les négociations entre les deux pays.
La négociation va définir aussi, en cas d’acceptation, si ce sont les policiers turcs qui accompagnent l’accusé sur le tarmac de l’aéroport national ou si ce sont les policiers haïtiens qui vont récupérer le concerné entre les mains des autorités turques. Dans les deux cas, les deux pays auront à signer un dossier de décharge précisant que la responsabilité du présumé n’est plus sous l’ordre des autorités turques.
Pensez-vous que Samir Handal encourt une longue peine si les charges retenues contre lui sont vraies ?
Cela dépendra de la charge retenue comme lui, comme je vous l’ai déjà dit je ne sais pas si les faits qui lui sont reprochés seront retenus. S’il est condamné, je pense qu’il aura au minimum de 20 ans d’emprisonnement aux travaux forcés. Malheureusement, les travaux forcés sont légaux dans le Code pénal haïtien encore en vigueur.
Ce code ne sera plus en vigueur à partir de juin 2022. Un autre code pénal sera adopté et ce document n’est pas le Code pénal de Jovenel Moïse comme on a souvent l’habitude de le dire. Le travail pour le renouvellement de ce code date d’une dizaine d’années. Si le travail avait pris fin sous la présidence de Jovenel, je crois qu’il serait normal de l’adopter sous son administration.
Avez-vous une idée sur le nombre de nationalités que détient monsieur Handal ?
Je ne connais pas en réalité le nombre de nationalités que détient monsieur Handal. Il est palestinien, haïtien… En clair, il y a au moins 3 passeports étrangers avec son nom qui circule sur les réseaux sociaux. Je crois que le cas de Samir Handal est un exemple concret des cas de plurinationalité. Un individu peut avoir une dizaine de nationalités, ce n’est pas un souci ni un crime devant la loi. Mais en cas où cet individu se trouve dans une situation juridique, on doit déterminer une nationalité d’appartenance pour pouvoir la juger. Je pense que Samir Handal peut se retrouver dans une pareille situation.
Admettons que Haïti sollicite son extradition alors que, un des pays où il avait sa nationalité formule aussi la même demande pour leur citoyen. Dès lors, il y aura un conflit positif de nationalité entre les pays qui demandent son extradition. En cas où son dossier se présente ainsi, les autorités turques vont évoquer une théorie pour déterminer une seule parmi toutes les nationalités.
La meilleure règle à évoquer dans ce cas est la théorie des attachés prépondérants. Cette théorie va pouvoir donner la préférence à la nationalité haïtienne sur toutes les autres nationalités en raison de son attachement au pays vu que c’est là qu’il développe ses activités commerciales et son entreprise. Sur cette base, on va dire que la nationalité haïtienne est la plus effective parmi les autres nationalités.
Il est palestinien, haïtien… En clair, il y a au moins 3 passeports étrangers avec son nom qui circule sur les réseaux sociaux.
Pourquoi dites-vous que les cas de plurinationalités ne posent aucun problème ?
Ce que les gens ne comprennent pas c’est qu’il existe deux situations possibles pour qu’un individu ait plusieurs nationalités. La première est la naturalisation. Une personne née haïtien peut être naturalisée américain et canadien par la suite. Dans ce cas, l’individu détient trois nationalités. La deuxième situation est par naissance. Par exemple, une personne peut être née sur le sol américain d’un père haïtien et d’une mère canadienne.
Ces cas sont légion et comme je vous le dis, lorsque ces gens sont en contravention avec la justice, il y a des théories qu’on doit appliquer, ils sont au nombre de deux : la théorie de l’antériorité et celle des attachés prépondérants. La théorie de l’antériorité est celle qui considère que l’enfant doit avoir la nationalité la plus ancienne. Cette théorie s’applique surtout pour les naturalisés.
Comments