La brigade, proche de Guy Philippe, recrute 300 nouveaux agents dans le sud et multiplie les interventions jugées illégales dans ce département
Dès son retour en Haïti en novembre dernier après avoir passé six ans en prison aux États-Unis pour blanchiment d’argent provenant du trafic de drogue, l’ancien commandant de police Guy Philippe fait appel à ses amis de combats, selon des sources au courant de ces prises de contact.
Joseph Jean Baptiste, responsable de la Brigade de sécurité des aires protégées (BSAP) au niveau de Hinche, confirme avoir fait partie des appelés. Le membre de l’unité étatique dédiée à la protection de l’environnement dit avoir combattu dans plusieurs villes aux côtés de Guy Philippe dans les luttes armées ayant contribué à renverser le président Jean Bertrand Aristide en 2004.
«Tous les responsables départementaux de la BSAP sont des anciens militaires qui avaient, pour la plupart, lutté avec Guy Philippe en 2004», déclare à AyiboPost Jean Baptiste, également porte-parole des militaires démobilisés.
Dimanche 14 janvier 2024, Guy Philippe fait un autre appel, public cette fois. Dans une vidéo sortie sur YouTube, l’ancien policier demande à la BSAP, ainsi qu’à l’armée et la police, de le rejoindre dans ce qu’il appelle une «révolution» pour libérer Haïti à partir de ce lundi 15 janvier 2024.
Tous les responsables départementaux de la BSAP sont des anciens militaires qui avaient, pour la plupart, lutté avec Guy Philippe en 2004.
Des commandants de la BSAP confirment à AyiboPost être prêts à combattre aux côtés de l’homme fort de Pestel.
«Dire que nous ne sommes pas alliés de Guy Philippe au niveau de la BSAP serait une trahison», déclare à AyiboPost Fritzner Jean Pierre, commandant de la brigade à Ouanaminthe.
Administrativement, la BSAP tombe sous l’autorité de l’Agence nationale des aires protégées (ANAP) qui a pour mission de gérer et coordonner le «Système national des aires protégées dans le pays». Cette institution a été élevée au rang de Direction générale en 2017 par l’ancien président Jovenel Moïse.
L’actuel directeur de l’ANAP, Jeantel Joseph, dirige le Consortium des partis politiques sous la bannière duquel Guy Philippe a été élu sénateur de la Grand’Anse lors des élections du 20 novembre 2016. Contacté par AyiboPost, Joseph n’a pas réagi avant publication.
Depuis son retour au pays, Guy Philippe entreprend une tournée dans certaines villes pour prêcher sa révolution.
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À Ouanaminthe, lors d’une visite sur le chantier de la construction du canal sur la rivière Massacre le 2 janvier 2024, Philippe était protégé principalement par des agents armés de la BSAP. «Il n’y a eu aucun incident, tout s’était déroulé dans la tranquillité», indique Fritzner Jean Pierre, commandant de la brigade dans la zone.
Des commandants de la BSAP confirment à AyiboPost être prêts à combattre aux côtés de l’homme fort de Pestel.
Les déplacements de Guy Philippe semblent inquiéter au plus haut niveau du pouvoir. Après la descente de l’ancien rebelle dans le Nord-Est, le gouvernement a demandé la liste de tous les agents de la BSAP ainsi qu’un inventaire des matériels de l’institution, selon Jean Pierre. Cette requête est interprétée, d’après le commandant, comme une tentative visant à «intimider le directeur de l’ANAP, Jeantel Joseph».
«Il existe une coalition entre les commandants de la BSAP, le directeur Jeantel Joseph, Guy Philippe et le commissaire du gouvernement de Miragoane Jean Ernest Muscadin [connu pour des exécutions extrajudiciaires] afin de réagir ensemble contre toute action du gouvernement », explique Joseph Jean Baptiste, commandant de la BSAP à Hinche. Il n’est pas clair si le commissaire de Miragoane a effectivement pris cet engagement. Cet article sera mis à jour s’il réagit.
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La situation peut déraper à tout moment. Toute attaque contre la brigade ou la révocation de Jeantel Joseph, servira à l’accomplissement du projet de révolution de Guy Philippe, d’après Joseph Jean Baptiste. «À la guerre comme à la guerre, que le plus fort gagne ! Point barre», rajoute le porte-parole des militaires démobilisés, tout en mettant le gouvernement en garde de ne pas s’en prendre à Philippe.
Malgré une relation tendue avec l’administration du Premier ministre de fait Ariel Henry, la BSAP se renforce dans le sud du pays.
Le 3 novembre 2023, la structure installe quinze nouveaux agents dans la zone en présence de plusieurs autorités départementales et lance une campagne afin de graduer 300 autres jusqu’à mi-février, selon un responsable. Les nouveaux agents s’entraînent à l’ancienne base de la compagnie de construction Estrella à «Lapòt» dans la commune de Camp-Perrin.
Le processus de recrutement pour la BSAP est différent de celui de la PNH. La brigade ne pose aucune restriction d’âge ou de niveau académique.
«En l’absence de problèmes avec la justice, les aspirants sont pris sur recommandation après les résultats d’enquêtes menées par notre service de renseignement», révèle à AyiboPost Fagasse Mychelain, inspecteur général Sud de la BSAP.
L’institution, dont certains membres sont lourdement armés, multiplie également des interventions spectaculaires, souvent violentes, très éloignées de sa mission officielle de surveillance environnementale ces derniers mois.
Après l’installation des nouveaux agents à Camp-Perrin, trois d’entre eux ont roué de coups et blessé un sourd-muet de la zone, lors d’une échauffourée, témoignent à AyiboPost plusieurs témoins.
«Des individus mal intentionnés ont pris le malin plaisir de proférer des injures aux agents», explique à AyiboPost l’inspecteur Mychelain. «On a fait le nécessaire pour emmener le jeune à l’hôpital, identifier et sanctionner les auteurs de cet acte tout en les transférant à la Capitale», rajoute l’originaire de Camp-Perrin.
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Les agents BSAP n’en sont pas restés là.
Au moins une fois, AyiboPost les a observés en train d’assurer la circulation dans la ville des Cayes à la fin de l’année dernière.
Le 16 décembre 2023, ces agents sont intervenus avec la police municipale au marché «Relè» de la ville des Cayes pour déguerpir dans la violence les marchands installés au bord de la rue.
Le processus de recrutement pour la BSAP est différent de celui de la PNH. La brigade ne pose aucune restriction d’âge ou de niveau académique.
Des agents de la BSAP s’en sont également pris aux chauffeurs de camionnettes assurant le trafic entre la ville des Cayes et Cavaillon, Maniche, Camp-Perrin pour les forcer à abandonner l’intersection entre la première Grande rue et le Boulevard des Quatre Chemins utilisée comme point de stationnement, conformément à une directive municipale datée du 28 novembre 2023.
Questionné sur l’illégalité de ces interventions non conformes aux missions de la Brigade, le directeur de la BSAP, Joarilus Placide déclare à AyiboPost : «Nous sommes dans un moment de vide et l’implication de tous les acteurs pour la sécurité nationale est essentielle».
Le directeur départemental sud du ministère de l’Environnement, Jean Marc Cherisier, confirme avoir constaté les agents dans les rues. «Je les ai vus, mais c’est un dossier qui ne m’intéresse pas, car ils sont directement sous l’autorité de l’ANAP», dit-il à AyiboPost.
Les accusations d’actions illégales jalonnent le parcours de la BSAP.
Un article d’AyiboPost révèle en décembre 2023 l’implication présumée d’agents du corps dans la contrebande sur la frontière, et la réception sans comptabilité officielle de milliers de dollars US pour la construction d’une base au nord du pays.
En février 2022, le ministère de l’Environnement avait annulé tous les badges des agents de la BSAP pour «filtrage et un examen appropriés», à cause de la «répétition de comportements indélicats de certains agents, retransmis à travers les médias.»
À cause de ces exactions, l’appel à l’aide publique lancé par Guy Philippe à la BSAP soulève des questions sur la possibilité de transformation du groupe en bras armé de la révolution annoncée par l’ancien chef rebelle contre le pouvoir, la classe politique et économique.
Formé en Équateur par les Forces spéciales des États-Unis au début des années 1990, Guy Philippe a été chef de police au Cap-Haïtien jusqu’à sa révocation en octobre 2000 pour participation à la préparation d’un coup d’État.
Après cette décision, l’ancien commissaire s’est réfugié en République Dominicaine d’où il a introduit avec d’anciens militaires le Front pour la libération et la reconstruction nationales (FLRN) ayant pour objectif principal le renversement du gouvernement d’Aristide.
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Entre 2001 et 2004, de nombreux crimes sont attribués à la force rebelle.
Le 28 juillet 2001, le groupe est pointé du doigt dans une attaque contre l’Académie nationale de police d’Haïti à Pétion-Ville. L’administrateur de l’académie et deux élèves policiers avaient été tués et dix-sept autres cadets étaient blessés.
Le 23 juin 2002, la force paramilitaire lance une attaque contre la ville frontalière Belladère. Cinq membres de la famille d’un coordonnateur de Fanmi Lavalas avaient été mitraillé par la milice.
En février 2004, Guy Philippe est revenu dans le pays. Et le 29 février de la même année, il réussit son coup : l’ancien président Jean Bertrand Aristide a été contraint de quitter le pays à bord d’un avion escorté par des membres de l’armée américaine.
Par la suite, sous la bannière du Front national pour la reconstruction nationale (FRN) qui s’est transformé en parti politique, Guy Philippe s’est présenté comme candidat à la présidentielle de 2006. Il avait obtenu moins de 1 % des voix.
L’appel à l’aide publique lancé par Guy Philippe à la BSAP soulève des questions sur la possibilité de transformation du groupe en bras armé de la révolution annoncée par l’ancien chef rebelle contre le pouvoir, la classe politique et économique.
À partir de 2007, Guy Philippe commence à faire l’objet de recherche de la Drug Enforcement Administration (DEA) ainsi que des agents antidrogue haïtiens.
Il se présente aux élections de novembre 2016, et a été élu sénateur du département de la Grand’Anse.
Alors qu’il venait de retirer son certificat de sénateur élu au Conseil électoral provisoire (CEP), Guy Philippe est arrêté à sa sortie d’une émission de radio, puis extradé vers les États-Unis le 5 janvier 2017 où il sera condamné par la justice américaine à neuf ans de prison pour blanchiment d’argent provenant du trafic de drogues.
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Selon René Civil, ancien allié de Fanmi Lavas et coordonnateur du Parti Émergence patriotique, le mouvement de Guy Philippe est «une stratégie de la chapelle politique au pouvoir depuis 2004 pour se renouveler sous une nouvelle forme.»
D’après Civil, Guy Philippe est revenu au pays avec le même discours de 2004 pour effectuer le travail des grandes puissances comme les États-Unis d’Amérique.
L’ancien allié de Fanmi Lavas craint une éventuelle catastrophe dans le pays à l’approche de la date fatidique du 7 février où il pourrait y avoir une confrontation armée et sanglante entre le camp de Guy Philippe et celui de l’équipe au pouvoir.
Le mouvement de Guy Philippe est une stratégie de la chapelle politique au pouvoir depuis 2004 pour se renouveler sous une nouvelle forme.
Très décrié par la population, le Premier ministre Ariel Henry dirige le pays depuis l’assassinat de Jovenel Moise en 2021, à la faveur d’une intervention de la communauté internationale en Haïti, menée par les États-Unis. Ses promesses de stabilisation du pays et d’organisations d’élections ne se sont pas matérialisées, plus de deux ans après son ascension au pouvoir dans un contexte où son nom est cité dans le meurtre encore non élucidé.
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Guy Philippe a été contacté sans succès dans le cadre de cet article.
Pour l’ancien colonel de l’armée d’Haïti, Himmler Rébu, «toutes les conditions sociales sont réunies pour un éclatement dans le pays. Cette situation, analyse l’ancien ministre, peut déboucher sur une catastrophe et échapper au contrôle de la personne qui l’a provoquée.»
Par Rolph Louis-Jeune & Jabin Phontus
Image de couverture : Guy Philippe aux Gonaïves, Artibonite en 2004, | © REUTERS/Daniel Aguilar/File Photo
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