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Pour une compréhension objective de l’affaire Guy Philippe

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Le 12 Février l’affaire Guy Philippe qui était passée aux oubliettes  a repris de l’effervescence suite à une bande sonore circulant sur les réseaux sociaux. Le sénateur élu, emprisonné aux Etats-Unis, a partagé dans cette intervention des détails sur son arrestation qu’il appelle un « kidnapping » bien planifié. Au-delà de sa dénonciation de l’intervention des américains qu’il qualifie d’illégale, M. Philippe a aussi accusé le président du Sénat, Youri Latortue, et le groupe de sénateur à tendance Lavalas, d’avoir participé au complot monté contre lui. Pour mieux comprendre l’affaire Guy Philippe lisons M. St Louis

Guy est déjà très loin.  Malheureusement. J’aimerais cependant que mes amis  sur  Facebook se ressaisissent un peu. Il me semble en effet que la majorité des interventions sur ce dossier ramène le problème de l’arrestation du sénateur fraichement élu, Guy Philippe, à une question d’immunité et son extradition, à l’égalité souveraine des États. Sachez cependant que cette qualification est mauvaise et elle ne joue pas en faveur de cette colère.

De l’arrestation  de Guy Philippe  et de son immunité supposée.

L’immunité dont il est question profite aux sénateurs en fonction et, si l’on fait une lecture formaliste de la Constitution de 1987 amendée en son article 114, il  est clair que l’immunité de Guy Philippe n’était pas encore en acquise lors de son arrestation :

« Les membres du corps législatif sont inviolables du jour de leur prestation de serment jusqu’à l’expiration de leur mandat, ils ne peuvent être en aucun temps poursuivis et être attaqués pour leurs opinions et votes émis par eux dans l’exercice de leur fonction ».

Certains diront que la prestation de serment n’est pas d’une si grande importance ; certes, elle répond à une simple formalité procédurale ou encore à une obligation protocolaire, nous sommes en accord sur ce point. D’ailleurs, j’ai essayé moi aussi de me convaincre qu’on ne peut accorder préséance à la prestation de serment face aux élections. Sauf que cette analyse est plus judicieuse que juridique : par respect pour les électeurs qui ont fait de Guy Philippe le vainqueur des élections, donc sénateur élu du département de la Grand’Anse, il  est inconcevable que son arrestation soit traitée et analysée comme celui d’un simple citoyen ordinaire. Cependant il est aussi évident qu’au moment de son arrestation M. Phillippe n’était pas encore couvert par l’immunité parlementaire. Avançons !

Puisqu’il etait encore un citoyen ordinaire le 5 janvier, date de son arrestation. Il avait donc des droits et des devoirs. Par conséquent, il est justiciable des tribunaux haïtiens ; il peut être arrêté et jugé.

En ce qui a trait à l’arrestation, revenons à notre chère Constitution en vigueur (Section B, de la liberté individuelle) ou pour le plus simple au petit manuel des FIC « J’aime Haïti».

En  effet, l’article 24.2 dit que l’arrestation et la détention n’auront lieu que sur un mandat écrit d’un fonctionnaire légalement compétent. Jusque-là, il me semble que la justice fait de la loi sa boussole car, des mandats d’amener ont été émis contre Guy Philippe pour son implication supposée dans l’attaque perpétrée contre le commissariat des Cayes. C’est d’ailleurs tout ce qui peut avoir motivé son arrestation. Certes, il y avait un mandat  d’arrêt international  émis contre lui aussi mais ce mandat existait bien avant ces faits; et jusqu’au 5 janvier 2017 la justice haïtienne était indifférente face à cette requête de la « Drug Enforcement Administration» (DEA). Pourquoi y aurait-il un si brusque revirement de l’appareil judiciaire haïtien? Poursuivons !

Selon l’article 25.1 notre Constitution stipule : «Nul ne peut être interrogé en l’absence de son avocat ou d’un témoin de son choix. » Bingo ! Voilà enfin la partie intéressante. Je pense que c’est là que se situe la question.

La Constitution haïtienne de 1987 dans son préambule reprend in extenso la  Déclaration Universelle  des Droits de l’Homme  de 1948. Cela sous-entend que la constitution en tant que norme suprême d’une nation s’y conforme par extension, reconnait et garantit à tous les citoyens haïtiens le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire. En plus, l’État haïtien a signé le Pacte International de 1966 relatif aux droits civils et politiques qui reprend ces mêmes garanties judiciaires.

La notion de « procès équitable » n’est donc pas un mythe, elle  est présente dans l’ordre juridique haïtien.  L’article 25.1 de la  Constitution citée s’appuie sur l’article 10 de la Déclaration Universelle des  Droits de l’Homme et se trouve renforcé par l’article 14.1 du Pacte international  relatif aux  droits civils  et politiques précité pour garantir le droit à un procès équitable. L’ensemble  de  ces articles se situe dans le cadre de la protection des Droits de l’homme, de  droits dits de la première génération, de droits  civils  et  politiques  qui, fort heureusement sont opposables à une quelconque action de l’Etat ou du gouvernement.

Dans l’affaire Guy Philippe, j’aimerais donc qu’on se pose cette simple question :  avait-il été entendu par une tribunal compétent ? Si oui, par qui ? Qui a été son témoin désigné ou son avocat constitué ? L’ensemble de ces questions se résume à une seule, la bonne : est-ce que le citoyen Guy Philippe a eu droit à un procès équitable aboutissant à son extradition vers les États-Unis puisqu’un acte d’accusation avait été émis contre lui par la DEA ?

De la légalité de l’extradition  de Guy Philippe

Je m’étais promis  de limiter mes propos sur l’arrestation réelle et sur l’immunité présumée du citoyen Guy Philippe. Finalement, la réaction de certains parlementaires en fonction et de simples électeurs, hommes et femmes, m’oblige à intervenir sur la légalité de l’extradition de Guy Philippe.

Mes  chers amis (de Facebook bien entendu), je vais articuler mon propos autour de deux principes de droit international :

  • l’égalité souveraine des États qui, est plus théorique que pratique.
  • le « Pacta sunt servanda.»

Un soutien pour réfléchir plus adéquatement comme un citoyen et ce, sur le long terme avant de « voter conséquemment » pour un individu aux élections. Tenant compte que, celui ou celle que vous aurez élu est votre représentant alors faites en sorte que cette personne mérite votre mandat, qu’elle soit  façonnée à votre image de représentativité et réponde à vos aspirations.

La Charte des Nations Unies pose en son article 2.1, le principe  de souveraineté et l’on parle à cet égard d’égalité souveraine des États comme un de ses corollaires. L’égalité suppose (théoriquement) que les États sont juridiquement égaux ;  chaque État jouit des droits inhérents à sa souveraineté pleine et exclusive, il respecte  les autres États, leur intégrité et leur indépendance politique sont inviolables. Ainsi, chaque État  fait choix de son  système politique, et doit s’acquitter pleinement et de bonne foi de ses obligations internationales. Bref,  cela comprend toute une série d’éléments que  je ne cite pour eviter  un cours de droit international.

Ce qu’il faut retenir surtout à propos de la souveraineté,  c’est que notre Constitution déclare en son article premier que « Haïti est une République indivisible, souveraine, indépendante, coopératisme, libre, démocratique et sociale. »

Plus loin, on peut lire : « Le Territoire de la République d’Haïti est inviolable et ne peut être aliéné ni en tout, ni en partie par aucun traité ou convention. »

L’État haïtien est souverain  dans son territoire et dans ses relations internationales. Dès lors l’État haïtien, en vertu du principe de l’égalité souveraine peut  intervenir juridiquement  dans le cadre des relations internationales et en toute liberté. Ce qui permet au parlement haïtien de passer des accords bilatéraux au nom  de la République. C’est à ce titre,  que cet organe a signé un accord bilatéral avec les États-Unis d’Amérique concernant la coopération en vue de mettre fin au  trafic illicite par mer de la drogue.

Cet accord permet en  effet,  aux autorités américaines à travers la DEA d’intervenir sur le territoire haïtien (Extraterritorialité de la DEA),toutes les fois qu’il s’agit de situation concernant le trafic illicite de la drogue. De plus, cet accord reconnait « un privilège de juridiction » à la justice américaine dès qu’il s’agit d’une affaire de trafic de drogue et même quand la personne mise en cause est de nationalité haïtienne: Incroyablement vrai ! Cet accord, effectif depuis 20 ans, a déjà contribué à l’extradition de plusieurs haïtiens.

Dans l’article 16 de cet accord, on peut lire :

« Dans tous les cas qui surviennent dans les eaux haïtiennes ou qui concernent des navires sous pavillon haïtien se trouvant au large de Ia mer territoriale de n’importe quel pays, le Gouvernement de la République d’Haïti a le droit fondamental d’exercer sa juridiction sur un navire immobilisé, la cargaison et les personnes à bord y compris la saisie, la confiscation, l’arrestation et  les poursuites. Cependant, le Gouvernement de la République d’Haïti peut, dans Ie respect de sa constitution et de sa législation, renoncer à ce droit fondamental et autoriser à appliquer la législation des Etats-Unis à l’encontre du navire, de la cargaison et des personnes à bord ».

Il y a un grave problème de logique dans cet article. Du moins il ne fait que confirmer la méchanceté des parlementaires haïtiens durant les deux dernières décennies. Comment le gouvernement haïtien peut-il respecter sa constitution, la législation en autorisant à appliquer l’accord avec les Etats-Unis ? La constitution est constamment citée sans pour autant être considérée dans les grandes décisions étatiques, car la section J de la constitution qui  traite du droit à la sécurité dit en ses articles 41 et 42 :

« Aucun individu de nationalité haïtienne ne peut être déporté ou forcé de laisser le territoire national pour quelque motif que ce soit. Nul ne peut être privé pour des motifs politiques de sa capacité juridique et de sa nationalité »

 

« Aucun citoyen, civil ou militaire ne peut être soustrait aux juges que la constitution et les lois lui assignent ».

Si l’on doit situer cet accord par rapport à la Constitution en vigueur, il est inconstitutionnel. Sauf, qu’il  fait désormais partie de l’ordre juridique haïtien en  raison du principe « Pacta sunt servanda » : il s’applique en  attendant qu’il  soit renégocié. L’explication est aussi simple que le  fait de lever la main pour voter au parlement haïtien. Il  s’agit de l’obligation  de respecter les engagements librement contractés : « Les conventions doivent être respectées ». Et, c’est malheureusement ce qui  justifie la légalité de l’extradition de Guy Philippe vers les USA au motif que la DEA lui reprochant d’avoir  protégé des livraisons colombiennes de cocaïne à  des trafiquants haïtiens avant que la drogue ne soit exportée aux USA, selon un acte d’accusation américain datant de 2005, rapporte l’organe  de presse américaine The Miami Herald.

Cette situation  est des plus tristes. Les électeurs de la Grand‘Anse doivent se sentir bafoués en  ce moment  et je comprends cette frustration. Beaucoup de citoyens haïtiens  qualifient l’affaire Guy Philippe d’humiliation. Et effectivement,  c’en  est  une. Guy Philippe ne fait que rallonger  la liste d’arrestation illégale faite en Haïti. Que pouvons-nous faire ? On peut être tenté de répondre : Rien ! De toute façon en droit pénal il n’y a pas de rétroaction. N’espérez surtout pas que la justice ou « le droit international » ramène Guy Philippe comme sénateur ou citoyen ordinaire. Vous allez devoir vivre pendant encore longtemps avec cette  cicatrice; vous n’en mourrez pas. Mais, dites-vous bien une seule chose, le coupable c’est la nation, nos législateurs, l’Etat haïtien et toute la communauté.

Oui, vous êtes  les seuls responsables, assumez ! L’honnêteté est une vertu. La douleur de cette conjoncture ne doit pas vous empêcher d’être honnête. Reconnaissez au moins que le parlement qui a ratifié cet accord bilatéral inconstitutionnel  est érigé à votre image. Ces hommes qui lèvent souvent la main pour approuver, sans même prendre le soin de lire le contenu du texte auquel ils donnent leur approbation ont votre vote. Sans penser à vous, aux conséquences que ce geste banal peut avoir sur nos vies, ils lèvent la main pour un placet.  Ces hommes, ce parlement constitue un pouvoir  qu’ils détiennent de vous, votre approbation populaire à travers les urnes. S’il le faut, remontez un peu plus loin  dans le temps, pour repérer ceux à qui vous avez confié un mandat pour ratifier l’ « accord DEA». La réalité est amère mais on doit s’y faire, c’est le fruit de vos décisions.

Je suis de la Grand’Anse. Je suis né à Jérémie. Je suis donc doublement concerné par cette affaire. Sauf  que je me suis accordé le temps  de respirer, afin  d’apaiser mes  émotions sur le sujet pour une compréhension objective de l’affaire Guy Philippe.

En ce qui concerne les actes de violence dans la Grand’Anse en ce moment, la population doit comprendre que ces manifestations et protestations ne pourrons pas vous ramener Guy Philippe. Seul un corps législatif qui respecte et protège notre constitution peut empêcher que de tels affronts  se reproduisent.  La  violence n’est pas la solution.

Boby St Louis

La rédaction de Ayibopost

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