SOCIÉTÉTremblement de terre

Grâce au travail des ambulanciers, des centaines de vies sont sauvées après le séisme

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Les ambulances sont très présentes sur la scène après le passage du séisme du 14 août 2021. Ayibopost a suivi le travail du Centre ambulancier national durant une journée.  

Tout bouge à l’aéroport Toussaint Louverture. Près de la piste d’atterrissage, beaucoup de bruit. Ayiti Air Anbilans, la Croix rouge et d’autres ambulances aériennes transportent des blessés en provenance du grand Sud. Des avions de l’armée américaine atterrissent avec des médecins qui viennent soigner des blessés du séisme.

L’infirmière Antonia Cadostin qui travaille au Centre ambulancier national est sur place avec d’autres collègues pour assurer le transport des victimes vers des hôpitaux. 

Il est 11 heures du matin mais la licenciée en Sciences infirmières et ses collègues ont déjà transporté trois blessés. « Depuis le 14 août 2021, nous prenons en charge 15-20 personnes par jour. Elles nous arrivent avec des fractures ouvertes ou fermées. C’est-à-dire qu’elles peuvent avoir des blessures ou des plaies ou bien elles peuvent ne pas saigner », explique-t-elle.

Un avion vient d’atterrir avec deux blessés à bord. Cadostin et des secouristes du CAN courent à leur secours. Ils sortent les victimes de l’avion avec soin. Il s’agit de deux dames qui viennent de Torbeck, au sud du pays. L’une est mise dans une ambulance de la Direction générale de la Police nationale d’Haïti et l’autre dans la voiture du CAN.

Le triage

Celle qui vient avec le CAN est âgée de 62 ans. Son bras droit est bandé. Son cœur bat très fort. La jeune dame qui l’accompagne monte aussi dans l’ambulance avec un oreiller et un petit matelas. Elle fournit les informations nécessaires à l’infirmière qui prend la tension et la température de la victime dans l’ambulance.

« Sa température est de 37.34 degrés Celsius, dit l’infirmière qui s’adresse par la fenêtre de la voiture aux autres ambulanciers assis à côté du chauffeur ». Cette température signifie qu’elle n’a pas de fièvre, nous explique-t-elle dans un langage plus clair. 

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La victime s’appelle Marie Elise Sainturbin. Elle est diabétique. Ses pieds ont des taches noires dues au diabète. Quand la terre a commencé à trembler, tous ceux qui habitent la maison où vit Sainturbin ont eu le temps de courir mais la sexagénaire ne le pouvait pas, parce qu’elle est non voyante.

« Je suis sortie de la maison, j’ai crié Élise, Élise, mais elle n’a pas pu me rejoindre. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Un mur lui est tombé dessus », explique celle qui accompagne la dame.

« Après le séisme nous nous sommes rendus à l’hôpital général des Cayes où j’ai vu des gens trépasser devant moi. Je suis soulagée qu’elle soit restée vivante. Elle n’est pas ma mère, mais c’est elle qui m’a élevée », explique la jeune dame.

Avant de conduire les victimes dans les hôpitaux, l’ambulance les emmène vers un espace aménagé à l’aéroport où des médecins font un triage pour déterminer l’hôpital le plus approprié pour les recevoir. « Autrefois c’est notre équipe dans le Sud qui faisait le tri. Les cas deviennent tellement urgents qu’on les escorte sans les examiner pour aller plus vite », précise Antonia Cadostin. 

Marie Elise Sainturbain est conduite au triage où plusieurs médecins étrangers auscultent les victimes. Ils font une piqûre à Sainturbain qui ne cesse de pleurer.

Les ambulanciers attendent le diagnostic des médecins pour savoir dans quelle direction conduire la victime.  Un médecin communique à l’infirmière Cadostin que la dame a eu une fracture pelvienne (au niveau des membres inférieurs) et une autre à l’épaule.

Une équipe du Centre ambulancier national conduit Sainturbain à l’hôpital Sans Frontières, à l’Avenue Charles Sumner, tandis que Cadostin et ses coéquipiers restent sur place pour assurer le relais à l’aéroport.

Un travail passionnant

Antonia Cadostin décrit son travail comme passionnant. « Je sauve des vies. Je suis heureuse quand j’apporte mon soutien à ceux qui sont dans le besoin, ceux qui n’ont pas les moyens comme je suis en train de le faire », témoigne fièrement celle qui travaille au Centre ambulancier national depuis sept ans. 

Depuis le samedi 14 août 2021, l’infirmière est affectée à l’aéroport Toussaint Louverture pour transporter des blessés venant du grand Sud vers des hôpitaux à Port-au-Prince.

Chaque matin, avant 6h, elle se rend à l’établissement du CAN situé à Cité militaire. Elle attend le signal du centre d’appel de l’institution pour savoir dans quelle direction se diriger. Puis, elle monte à bord d’un véhicule du CAN avec le chauffeur et deux secouristes.

Des ambulanciers s’activent. Photo: Valérie Baeriswyl

L’un des dangers du métier d’ambulancier, selon Cadostin, c’est de ne pas prêter attention à la personne assistée. « Il faut s’intéresser au moindre détail pour que la personne soit transportée dans de bonnes conditions. »

Pour sa part, le docteur Didié Hérold Louis, directeur général du Centre ambulancier national, parle de services pré-hospitaliers. « Nous ne faisons pas de taxi ambulance », dit-il pour expliquer que les ambulances du CAN ne font pas que conduire les gens d’un point à un autre.

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« Nous leur administrons des soins pour assurer leur stabilité jusqu’à ce qu’ils soient admis au centre de santé ou à l’hôpital le plus approprié, suivant leur cas », continue-t-il.

Selon Didié Hérold Louis, il devrait y avoir 9 ambulanciers par ambulance. Ce qui totaliserait un effectif de 810 ambulanciers pour le territoire national parce que le centre dispose de 90 ambulances fonctionnelles. Mais le CAN n’est pas encore à ce stade, faute de moyens, d’après son directeur général.

« Nous avons 521 employés régulièrement nommés dans la fonction publique. Nous voudrions augmenter l’effectif mais nous ne disposons pas encore de ressources nécessaires à cette fin. Ne voulant pas créer de frustration au sein de notre personnel, nous gardons un nombre restreint tout en assurant un bon roulement pour que nous puissions fonctionner 24/24 », explique Dr Louis.

Les moyens du bord…

Après son inauguration le 7 mars 2012, le Centre ambulancier national disposait d’un budget intégré à celui du Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP).

Depuis novembre 2020, le MSPP a nommé un conseil d’administration à la tête du CAN, ce qui lui a conféré le statut d’organisme autonome. Par conséquent, le CAN aura sa propre ligne budgétaire dans le prochain exercice fiscal, selon Didié Hérold Louis. 

Le Centre ambulancier national a été créé deux ans après le passage du séisme du 12 janvier 2010. Des partenaires brésiliens, vénézuéliens et cubains qui étaient sur place en 2010, ont vu dans quelles conditions les secours transportaient les blessés et ont discuté avec le gouvernement d’alors pour créer le CAN.

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« Nous sommes le premier service ambulancier public et gratuit du pays. Mais avant, il y avait des ambulances en Haïti. Certains hôpitaux privés et des organisations philanthropiques disposent encore de leur service ambulancier », explique le directeur du Centre ambulancier national.

Selon lui, le centre transporte des milliers de personnes par mois. 35% des cas ont des urgences obstétricales alors que les accidents de la route sont compris entre 16 à 18% des cas. Les maladies chroniques, notamment la tension et le diabète, représentent 11% des cas par mois.

« Il suffit de composer le numéro d’urgence 116 pour être assisté. Nous faisons face à d’énormes difficultés comme la voie d’accès aux ménages, la rareté de carburant et un nombre insuffisant d’employés qui font que notre travail ne peut pas être effectif comme nous le souhaitons. »

En attendant de résoudre les problèmes confrontés par l’institution, Didié Hérold Louis promet que le CAN va continuer sa couverture nationale des urgences pré-hospitalières pour atteindre un plus grand nombre de la population.

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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