Notre plus grande difficulté demeure un manque au niveau des ressources financières et matérielles, déclare le directeur de l’institution dans une entrevue avec AyiboPost
Le Centre ambulancier national vient de fêter ses neuf années d’existence le 7 mars 2021. Cet organisme autonome est placé sous la tutelle du ministère de la Santé publique et de la population.
À l’instar de toutes les institutions publiques, le CAN fait face à des difficultés l’empêchant de répondre convenablement aux cas d’urgences qui nécessitent son intervention. L’institution peine à répondre à 50 % de ces demandes, selon le directeur de l’institution Didié Hérold Louis.
Au cours d’une entrevue avec AyiboPost, le médecin généraliste déclare que ses principales difficultés résident non seulement dans le manque de ressources financières, mais aussi dans la non-collaboration de la population lors des périodes de troubles dans le pays.
Le CAN est-il réellement une institution nationale comme son nom l’indique ?
L’institution est présente sur tout le territoire national à travers un réseau d’ambulances positionnées dans le chef-lieu ou dans les grandes villes de chaque département. On a 83 ambulances en fonction sur tout le territoire national et 25 autres non en service car, l’ambulance est un engin mécanique qui peut tomber en panne à tout moment. Pour réaliser le travail, le centre a 480 employés. 90 % d’entre eux sont déjà nommés dans la fonction publique.
Est-ce que cela sous-entend que le CAN à plusieurs bureaux départementaux à travers le pays ?
Pour le moment le CAN a des espaces de bureau dans trois départements du pays. Il s’agit des départements de l’Ouest, du Nord’Est, et du Sud’est. Ces espaces se trouvent dans les directions départementales de la Santé. La structure a un réel besoin en infrastructure. L’institution devrait avoir des espaces administratifs et des infrastructures comme des centres d’appels dans tous les départements.
Malheureusement, l’unique centre d’appel qui existe se trouve dans le département l’Ouest. Mais, à travers le numéro 116, ce centre d’appel peut répondre aux sollicitations venant de tout le territoire national. Au cas où, par exemple, un résident de Limonade appelle, le centre entre en contact avec le réseau ambulancier du nord pour déclencher les opérations. Cela nous prend parfois du temps. Mais pour l’instant, c’est ainsi que fonctionne le centre pour intervenir dans les autres départements géographiques du pays.
Parallèlement, pour faire fonctionner la ligne 116, on utilise les services de la Digicel. Cela veut dire qu’on est aussi touché lorsque la Digicel affronte un problème technique. Mais, on a des voies de communication privilégiées avec la Digicel qui nous permettent de rester en contact avec la compagnie en cas de problème technique.
Qu’avez-vous en tête pour pallier cette situation ?
Les ressources financières faisant défaut pour le moment et parce qu’on n’arrive pas à toucher tous les départements du pays, nous sommes en train de travailler sur un plan d’infrastructure régionale. Cela dit, nous travaillons pour mettre en place par exemple, un centre d’appel dans le grand Sud. Ainsi, les départements du Sud, du Sud-Est, de la Grand-Anse et les Nippes pourront être servis avec beaucoup plus de facilité.
Notre stratégie pour l’instant est d’avoir des infrastructures dans les différentes régions du pays telles que le Nord, le Sud, l’Ouest et le Plateau central.
Quel est le pourcentage des cas d’urgence auxquels le CAN arrive à répondre par rapport à la demande ?
Le CAN prend mensuellement en charge entre 1000 à 1200 cas d’urgence à travers le pays. Grosso modo, on peut dire qu’il y a 1200 occasions où la population trouve service au CAN. Toutefois, on n’a pas toutes les capacités pour répondre à tous les problèmes d’urgence.
Le CAN répond à près de 50 % de la demande. Pour l’année 2020 par exemple, on a répondu à près de 11 000 cas d’urgence alors que la demande dépassait les 20 000. On a fait le meilleur de nous-mêmes par rapport à ce qu’on a comme moyens.
[Les blessés] sont généralement transportés dans les hôpitaux publics. Les rares cas qui se dirigent vers les hôpitaux privés sont réalisés sous la recommandation d’un parent qui accompagne son malade. Mais dans certaines situations, par exemple lors d’un accident, les patients sont emmenés dans un hôpital public.
La Croix-Rouge détient aussi une flotte d’ambulance, sont-elles au service du CAN ?
Le CAN n’a jamais été sous la tutelle de la Croix-Rouge. Nous sommes un organisme public autonome placé sous la tutelle du MSPP. Toutefois, le CAN utilise les ambulances de la Croix-Rouge dans son réseau. Par exemple, si on sait que la Croix-Rouge a une ambulance qui se positionne sur la côte des Arcadin sur la route Nord, dès qu’on appelle le centre pour un accident sur cette route, on active de préférence l’ambulance de la Croix-Rouge au lieu de dépêcher une à Port-au-Prince qui probablement prendra du temps pour y arriver.
Ce même partenariat se fait aussi avec les compagnies d’Ambulance privées du pays. Par rapport à leur prépositionnement, cela peut arriver qu’on les appelle pour intervenir lors d’une urgence qui leur est proche.
Comment a pris naissance le partenariat entre le CAN et les compagnies d’Ambulance privées en Haïti ?
Le CAN est l’instance de régulation du secteur ambulancier et des soins post-hospitaliers en Haïti. Selon le décret du 2 février 2016, le CAN est l’institution responsable d’enregistrer et de certifier tous les véhicules qui sont appelés à fonctionner comme ambulance dans le pays.
Après la réalisation de ce travail, le CAN peut établir un mode opératoire avec ces institutions pour lancer un partenariat à bénéfice mutuel. Lorsque le CAN sollicite une ambulance privée pour intervenir dans une urgence, il n’y a pas un coût associé à l’intervention. Ni le CAN ni le bénéficiaire n’auront à payer un sou.
Toutefois, le CAN offre des opportunités en formations [aux ambulanciers privés]. On les invite à désigner leur personnel pour suivre des séances de formations. Après, les intrants et matériels que reçoit CAN (en dons) sont partagés avec eux.
À date, quel est le nombre de véhicules déjà certifiés et enregistrés par le CAN ?
L’initiative commence à peine. Pour le moment, on a environ une dizaine d’ambulances certifiées. La certification est renouvelable tous les deux ans. Son prix est de 25 000 gourdes. Notre mission prioritaire à présent c’est d’identifier là où sont placées ces institutions et d’établir ensuite une voie de communication entre le CAN et l’instance pour expliquer les dispositions légales qui l’oblige à enregistrer puis certifier ses engins au CAN.
Quel est le nombre de compagnies d’ambulance privée reconnues en Haïti ?
Je suis en connaissance de trois compagnies pour le moment en Haïti. Il s’agit de Sam Ambulance, la compagnie d’ambulance Hero, et PolyMed, une institution médicale privée opérant aussi dans le domaine.
On a commencé avec le travail d’identification en 2019, et on peut dire que ce travail nous prendra du temps. Car, les compagnies d’ambulance privée en Haïti ne se rendent pas au MSPP pour les suites légales. Il revient à nous au sein du CAN d’être proactifs pour les identifier et faire les suivis nécessaires.
Quel était l’apport du CAN dans la gestion de la maladie Coronavirus en Haïti ?
Nous avons réuni plusieurs institutions détenteur d’une ambulance, que ce soient les mairies, les institutions privées ou autres. Sous le leadership du MSPP, on avait réalisé une formation pour tous les personnels publics et privés travaillant à bord des ambulances. Nous en avons profité pour distribuer des matériels nécessaires à la réalisation du travail (masques, gants, combinaisons et autres). On les active lorsque les ambulances de CAN prépositionnées dans une zone se mettent déjà en service pour un autre cas.
Quelle est la plus grande difficulté auquel fait face le CAN actuellement ?
Avant d’être autonome en septembre 2020, le CAN était une direction technique du MSPP. Mais, l’institution n’est pas encore émargée dans le budget national. À présent, le CAN fonctionne avec un budget de quatre cent millions de gourdes du trésor public. Nous avons aussi des partenaires qui nous fournissent des assistances techniques et financières. Ces assistances se réalisent le plus souvent sous forme de matériels.
Cela dit, nos plus grandes difficultés demeurent un manque au niveau des ressources financières et matérielles. Une ambulance qui parcourt plus de 2 500 kilomètres chaque huit semaines devrait changer fréquemment de freins, de filtres à gaz, freins, etc.
Tous les matériels médicaux à bord de l’ambulance ont un coût. Et ceci, ils doivent être changés ou remplacés régulièrement (les bonbonnes de gaz à oxygène, entre autres). Toute une chaîne d’approvisionnement en intrants, matériels et équipements médicaux est nécessaire pour faire fonctionner les ambulances. Les moyens ne répondent pas toujours.
Cela est-il déjà arrivé que vous n’interveniez pas suite à des problèmes…
J’ai pas qu’un seul cas en tête. C’est quand même la situation ou la frustration des ambulanciers en général. Parfois les problèmes de trafic ou des difficultés liées à des problèmes de troubles politiques altèrent grandement la qualité de notre travail. Je me souviens qu’au début de l’année 2020, une bonbonne de gaz lacrymogène avait éclaté dans une maison aux Cayes. Le CAN a eu beaucoup de difficultés pour transporter les victimes au centre des grands brûlés de Drouillard.
On a pris plus de quatre heures pour transporter les victimes parce qu’on était obligé d’arrêter pendant 10 à 15 minutes devant plusieurs barricades afin de trouver passage. Parfois les gens résistent et demandent de vérifier si réellement on transporte à bord des victimes. À cause de ces retards, un enfant de moins de dix ans qui faisait partie des victimes n’avait pas survécu.
C’est notre frustration quotidienne de n’être pas à temps pour sauver la vie des gens. En ce sens, nous sollicitons la pleine collaboration de la population surtout lors des périodes de crise. Nous avons besoin de sa collaboration pour réussir notre travail. Car, il faut à tout prix éviter d’être réticent par rapport au véhicule du CAN, car on est la seule institution en Haïti qui utilise notre sirène à bon escient lorsqu’il s’agit surtout de sauver des vies.
Emmanuel Moïse Yves
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