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Femme malgré moi

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Je m’en souviens encore comme si c’était hier de ce jour où ma vie allait prendre un tournant fatidique. Je m’étais réveillée au petit matin sans rechigner; j’étais habituée. Je quittai la dépendance en chantonnant et allai cogner à la porte de derrière afin que je puisse pénétrer la maison pour vaquer à mes multiples tâches domestiques.

J’avais été placée chez les Dejean depuis l’âge de huit ans, et franchement ils n’étaient pas si méchants que ça, à entendre les récits des autres jeunes filles vivant dans des conditions similaires. Ils ne m’avaient jamais frappée, et les injures récurrentes de Madame avaient fini par me laisser indifférente. Et puis, je dois être honnête, je suis si maladroite par moments. Ils me payaient l’école du soir et ma mère m’avait fait comprendre que c’était l’essentiel.

La journée passait vite, et dès quatre heures, je me rendais à l’école à pied, fière dans mon uniforme impeccable que je lavais vigoureusement et repassais soigneusement. J’arrivais souvent avant l’heure des cours soit pour réviser mes leçons soit pour me divertir avec mon groupe d’amies. Nous sautions à la corde, nous jouions aux osselets, ou tout simplement nous nous racontions nos peines, nos joies, nos aspirations.

Ce soir-là en rentrant, j’ai trainé les pieds, rêveuse comme d’habitude. J’avais la tête pleine de projets d’avenir, et je m’imaginais déjà médecin aux fins de pouvoir soigner ceux qui comme mes parents n’avaient pas accès aux soins de qualité.

De retour chez les Dejean, je fus surprise par le vacarme qui y régnait. Monsieur et Madame se disputaient, et la discussion était très houleuse. Je n’arrivais pas à comprendre de quoi il s’agissait. Prise de peur, je me réfugiai directement dans la dépendance sans passer comme d’habitude leur signaler mon retour et m’enquérir de leurs dernières consignes. Je me recroquevillai dans mon lit, la fatigue aidant je m’endormis rapidement.

Une ou deux heures plus tard, enfin je ne sais pas, je n’ai pas compté, la porte s’ouvrit délicatement, et quelqu’un s’introduisit dans ma chambre.

« Où étais-tu, petite salope » scanda-t-il ? « À quelle heure as-tu osé rentrer sous mon toit » poursuivit-il ?

Engourdie de sommeil et effrayée, je n’arrivais pas à articuler un mot. Je me redressai craintive sur le lit, évitant de lever les yeux vers lui. Il puait l’alcool et peut être autre chose. L’odeur me donna une légère sensation de nausée. Il se rapprocha du lit, me repoussa en arrière en me tenant par la gorge. Il fit glisser rapidement son pantalon avant de s’allonger de tout son poids sur mon corps frêle et innocent.

« Ouvre tes jambes, salope »  marmonna-t-il, avant de joindre vigoureusement la parole aux gestes.

Les larmes inondaient mon visage et mes sanglots secouaient tout mon corps. Je n’ai pas résisté.

La douleur déchirait ma chair, alors qu’il se forçait un passage. Son va-et-vient dégingandé me brisait les entrailles, l’étreinte de son corps déjanté étouffait à jamais mon âme d’enfant. Il poussa un râle rauque avant de me gifler sauvagement. Enfin, il se rhabilla promptement et quitta les lieux sans même me regarder.

Je m’en souviens encore comme si c’était hier, de ce jour où je suis devenue femme malgré moi. Cet homme m’avait laissé alanguie, confuse et bouleversée, pleurant amèrement dans mes draps souillés et était parti avec ma dignité, mes rêves d’enfants et tous mes espoirs d’un avenir meilleur.

9 mois plus tard, j’ai donné naissance à une fille. Je l’ai appelée Marie. Je ferai tout pour qu’elle ne subisse pas le même sort que moi.

Madame m’a traitée de salope lorsqu’elle m’a jetée dehors mais je ne lui ai jamais dit pour son salaud.

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Très attachée à mon cher pays, je demeure une personnalité ouverte, qui à travers sa profession de juriste et son implication au sein de diverses organisations soutient le projet du renouveau d’Haïti.

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