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Fausses croyances sur les fausses couches en Haïti

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Parfois, les femmes culpabilisent après la perte d’un bébé ou alors elles sont carrément tenues responsables par le conjoint ou les autres membres de la famille

Il y a environ onze ans depuis que Fanny Roy Castera, une mère de 40 ans, a fait une fausse couche. Elle avait plus de quatorze semaines de grossesse.

Un dimanche après-midi, vers trois heures, après avoir passé une journée tranquille avec son mari et sa fille aînée, Castera a ressenti de fortes crampes et un besoin soudain d’aller aux toilettes. « J’ai beaucoup saigné. Je me suis tout de suite rendue à l’hôpital. Le médecin de garde m’a fait une sono et a pu confirmer que la grossesse n’était plus viable, tant j’avais saigné. »

Après avoir perdu son bébé, Castera a sombré dans la dépression. Elle s’en remettra trois mois après, grâce au traitement de ses médecins et le soutien de ses proches. « C’était un moment très difficile pour moi, relate-t-elle. Quelques mois plus tôt, j’avais perdu mon grand-père, qui avait été plus un père qu’un grand-père dans ma vie. Mon mari a fait le mieux qu’il a pu. Il était souvent parti en voyage d’affaires, mais j’avais des amies qui m’ont beaucoup soutenue avec ma fille durant les moments les plus noirs. »

Une fausse couche ne se manifeste pas obligatoirement par la perte de sang durant la grossesse

Il n’existe pas de données spécifiques sur les fausses couches en Haïti. Mais comme Fanny Roy Castera, beaucoup de femmes en ont fait l’expérience. L’on dénombre annuellement 2,6 millions d’enfants mort-nés dans le monde. Et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) relate que de nombreuses femmes sont confrontées à des problèmes de santé mentale après la perte d’un bébé, même quand elles ont eu d’autres enfants bien portants après.

Josie Mauricette a perdu un bébé à plus de quatre semaines de grossesse. Elle avoue ne toujours pas s’en remettre de la mort de cet enfant qui allait être son premier-né. Après deux ans de mariage, Mauricette ne parvenait pas à tomber enceinte. La dame qui n’a pas donné son vrai nom avait pourtant suivi plusieurs traitements et médicaments.

Au bout de trois ans, Mauricette est finalement tombée enceinte. Mais à la première échographie, son gynécologue restait sceptique. « Ce n’est qu’après l’examen, que le médecin m’a dit que l’œuf lui paraissait peu complet », se souvient-elle. Quelques jours après, ce que Mauricette redoutait arriva, elle avait perdu son bébé.

Que dire des saignements ? 

« Une fausse couche ne se manifeste pas obligatoirement par la perte de sang durant la grossesse », précise le Dr Berthony François, gynécologue-obstétricien. En revanche, le spécialiste soutient que le saignement peut annoncer un problème. C’est pourquoi il est recommandé d’aller voir un médecin si cela arrive.

« Il convient de parler de fausse couche ou mort fœtale après vingt semaines de grossesse. Les neuf mois d’une grossesse correspondent à 40 semaines. Avant vingt semaines, on parle d’avortement », souligne le spécialiste qui tient à préciser que l’avortement n’est pas forcément provoqué. En cas de problème de santé, l’avortement peut survenir de manière spontanée.

La fausse couche, continue-t-il, peut être précoce ou tardive. Quand elle survient durant le premier trimestre de la grossesse, elle est dite précoce. À ce stade, l’on considère que la fausse couche est normale, car c’est un signe que l’embryon n’était pas viable. Quand elle a lieu durant le deuxième trimestre de la grossesse ou plus tard, la fausse couche est tardive.

Dans la majorité des cas, les causes d’une fausse couche sont idiomatiques, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas connues, selon Dr Berthony François. Cependant, le gynécologue avance que les causes connues peuvent être nombreuses. « Il peut être question d’une anomalie chromosomique qui interrompt la grossesse. Mais ce n’est pas tout. Si la femme souffre d’anémie falciforme, d’hypertension artérielle, de diabète ou du moins si la mère est de rhésus négatif (A —, B —, AB —, O —), elle peut se retrouver dans une incompatibilité de groupe sanguin avec son bébé, ce qui peut occasionner la mort de celui-ci. »

Lire aussi: Son conjoint l’a fait passer 8 ans en prison pour avortement. Elle ne savait pas qu’elle était enceinte.

Il convient de citer d’autres causes comme la consommation excessive de l’alcool et du tabac. Des femmes qui ont eu des fausses couches dans le passé ont tendance à en avoir d’autres.

Les symptômes d’une fausse couche peuvent se manifester par la disparition des signes classiques de la grossesse. « Le sein de la femme enceinte se dégonfle. Elle peut observer une suspension de la nausée, une diminution de l’utérus, et même une absence de mouvement du bébé », relate le Dr François. Le médecin ajoute que parfois, aucun de ces signes ne se présente, c’est lors d’une visite chez le gynécologue que la femme apprendra que le cœur de son bébé ne bat plus.

Si les symptômes d’une fausse couche peuvent être parfois identifiés. Il n’est pas aussi évident de la prévoir surtout quand elles sont répétitives. Toutefois, le médecin recommande de bonnes conduites que toute femme enceinte devrait tenir. « Il faut toujours suivre les soins prénataux pour s’informer de son état santé et celui du bébé. » Il est aussi important de limiter la consommation de certaines substances comme le café, l’alcool et le tabac et de faire des exercices physiques.

Un sujet tabou

Bien que la perte d’un enfant puisse briser la vie d’une femme, ce sujet reste tabou dans plusieurs sociétés dans le monde. Il est souvent difficile pour une famille de faire face à ce phénomène surtout quand il s’agit de son premier enfant. Parfois, les femmes culpabilisent après la perte d’un bébé ou alors elles sont carrément tenues responsables par le conjoint ou les autres membres de la famille.

La perte d’un bébé n’est pas seulement un sujet tabou. Elle est souvent considérée comme un mauvais sort. Dans certains pays africains, comme c’est aussi le cas pour Haïti, certaines familles associent la perte d’un enfant à la sorcellerie. Si elles ne la voient pas comme telle, certains croient quand même qu’après une telle expérience, il vaut mieux se taire pendant une période.

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C’est le cas par exemple pour Josie Mauricette qui a perdu son bébé à plus d’un mois de grossesse. Elle a dû attendre plusieurs jours avant d’en parler à tout le monde. « À part les membres de ma famille proche qui étaient au courant, je n’en avais parlé à personne d’autre, sauf à une amie qui avait subi une fausse couche pour l’aider à prendre courage. À ce qu’il parait, ça porte malheur de le dire avant. »  Après la fausse couche, Mauricette a repris ses activités normalement pour que personne ne s’en aperçoive.

Dr Berthony François qui est gynécologue-obstétricien pense qu’il ne faut négliger les considérations culturelles de la perte d’un bébé. Mais il soutient que cela ne rentre pas dans le cadre de son travail en tant que professionnel de la santé.

Qu’il s’agisse d’avortement ou de fausse couche, la perte d’un enfant peut affecter lourdement une femme. C’est pourquoi le Dr Berthony François recommande aux femmes qui ont perdu un enfant de suivre un traitement médical tout en ayant le soutien de leurs proches. « Après une fausse couche, une femme peut présenter des troubles psychoaffectifs. C’est pourquoi le soutien des proches est très important. »

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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