La mauvaise formation de ces médecins peut avoir des conséquences graves sur la vie des patients.
Chaque année, une poignée de médecins sont admis en résidence hospitalière en Haïti. C’est une période qui permet à ces professionnels de maîtriser toutes les subtilités de leur domaine de spécialité. Cette spécialité peut être d’ordre médical (médecine interne, dermatologie) ou chirurgical (chirurgie générale, gynécologie obstétrique, orthopédie).
Seulement cinq hôpitaux publics du pays offrent la résidence hospitalière. Il s’agit de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), l’Hôpital universitaire Justinien (HUJ), la maternité Isaïe Jeanty (Chancerelles), l’hôpital Sanatorium et l’hôpital universitaire la paix (HUP). L’hôpital universitaire de Mirebalais, institution privée, offre lui aussi ce programme.
Mais les conditions de fonctionnement des hôpitaux universitaires publics en Haïti sont alarmantes, dénoncent les médecins résidents de ces institutions. Ces établissements souffrent de l’absence criante de matériels médicaux et d’intrants.
La formation dispensée par ces entités est pétrie d’irrégularités, selon Anderson Jean-Baptiste, résident en pneumologie à l’hôpital Sanatorium. «L’assimilation des connaissances devient difficile lorsque les outils médicaux se font rares, dit-il. Cela limite du même coup les interventions médicales.»
Les dysfonctionnements du système sanitaire impactent la formation de ces médecins. En réalité, la plupart d’entre eux se sont auto-formés via des ouvrages liés à leurs spécialités ou par leurs propres recherches sur internet notamment. « En ce sens, les diplômes reçus n’attestent pas nécessairement notre compétence», admet Patrick André, résident en médecine interne à l’hôpital Justinien.
Une formation de piètre qualité
La résidence hospitalière a trois grandes missions : la recherche, la formation et la dispensation des soins aux patients. Le fonctionnement des hôpitaux universitaires est assuré par les résidents et les médecins de service.
Les médecins de service sont de grands absentéistes
Anderson-Jean Baptiste
Dans ce système, les médecins de service sont importants. « Ils sont nommés par l’Etat pour assurer la formation des résidents et fournir aussi des soins dans ces hôpitaux », affirme le docteur Jude Milcé, vice-doyen aux affaires académiques de la Faculté de médecine et de pharmacie (FMP).
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Mais dans les faits, ce sont les médecins résidents qui couvrent largement le fonctionnement de ces hôpitaux. Cela explique pourquoi ils sont paralysés quand les résidents entrent en grève pour réclamer de meilleures conditions de travail.
Les médecins de service sont de grands absentéistes, selon Anderson-Jean Baptiste. Patrick André le confirme: « En général, ce sont les anciens résidents qui assurent la formation de leurs pairs », dit-il. Par exemple, pour une spécialité comme la gynécologie qui dure trois ans, les résidents en troisième année assurent la formation de ceux en deuxième année qui, à leur tour, forment les admis en première année.
Vilson Bonhomme, médecin résident en gynécologie à l’hôpital de Chancerelles, dénonce également la faiblesse de la formation. « Le volet recherche est totalement ignoré. Déjà, il n’y a plus de bibliothèque à notre disposition dans ces hôpitaux », fait-il savoir.
Des disparités énormes
«Le résident est à la fois sous la responsabilité du MSPP et de la FMP», affirme docteur Milcé. Le MSPP doit non seulement faciliter l’accès aux matériels dans les hôpitaux mais s’assurer aussi de la rémunération de ces médecins.
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Quant à la FMP, elle gère l’aspect académique, le programme et le rapport de service que doivent fournir les responsables de résidences placées dans ces hôpitaux. Mais en réalité, tout cela reste flou. « Il n’existe aucune provision légale qui définit le rôle des responsables de résidences. D’ailleurs, leur choix dans le système sanitaire se fait par le MSPP au lieu de la FMP qui peine à les contrôler », reconnaît-il.
Ce vide laisse place à des anomalies dans la formation des résidents en Haïti. Par exemple, quatre ans de résidence sont exigés aux médecins de l’hôpital universitaire de Mirebalais qui souhaitent se spécialiser en gynécologie.
«Pourtant, explique docteur Bonhomme, toutes les autres structures universitaires offrent ce programme en trois ans. Ces anomalies mettent en péril le système sanitaire actuel alors que les médecins sont tous formés par le FMP pour desservir un seul pays ».
Fort de ce constat, Vilson Bonhomme réclame aux autorités du Ministère de la santé publique et de la population (MSPP) et de la FMP un programme d’enseignement pour chaque spécialité dans la résidence hospitalière. Ce, afin d’uniformiser la formation à travers les hôpitaux.
Les efforts de la Direction de formation et de perfectionnement en sciences de la santé (DFPSS) au sein du MSPP ne sont pas suffisants. Le gynécologue Evans Vladimir Larsen, responsable de la DFPSS, pense qu’il revient à la FMP de régulariser cette formation de 3e cycle.
Entre-temps, sa direction tarde encore à doter la résidence hospitalière d’un budget pour répondre aux exigences de la formation spécialisée fournie aux médecins, pendant leurs années d’études.
L’absence des sous-spécialités
Il existe aussi des « sous-spécialités ». « Ce sont des niveaux de spécialisation très pointue, qui font encore défaut à Haïti. C’est pourquoi on ne compte que deux ou trois médecins spécialistes de la néphrologie (maladie des reins), ou de la rhumatologie (maladie des os, articulations) dans le pays, pour environ onze millions d’habitants », remarque Patrick André.
La neurologie et la chirurgie plastique sont les deux seules sous-spécialités disponibles en Haïti, à l’hôpital universitaire de Mirebalais. Le spécialiste en formation en médecine interne, Patrick André, pense que le MSPP doit intégrer des domaines de sous-spécialités comme la cardiologie, l’hématologie, entre autres, pour renforcer les compétences médicales en Haïti.
Ils peuvent passer six mois sans recevoir un sou.
Plus loin, il estime que l’enseignement médical en Haïti doit être réformé. « La loi sur la formation médicale est désuète. Il est temps de doter le pays d’une nouvelle loi, car la législation anticipe l’enseignement », dit-il. Selon Patrick André, les disparités de la formation médicale favorisent une compétition entre les étudiants des facultés de médecine du pays, qui prétendent que l’une est meilleure que l’autre.
Regard sur les conditions de travail
En plus des manquements dans leur formation, les médecins résidents sont confrontés à des conditions de travail précaires dans les hôpitaux publics. Non seulement les conditions hygiéniques de ces hôpitaux laissent à désirer, mais les médecins ont aussi des problèmes de logement. Ils sont installés dans l’inconfort des dortoirs des hôpitaux universitaires.
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Les services de cafétéria de ces structures ne sont pas opérationnels, critique Wislet André, résident en médecine interne à l’HUEH, également président du comité national des résidents.
La plupart de ces médecins résidents vivent aux dépens de leurs familles puisqu’ils peuvent passer six mois sans recevoir un sou de leur maigre salaire, qui se situe entre 12 000 et 14 000 gourdes.
Ce problème occasionne annuellement des arrêts de travail dont les conséquences sur les patients sont graves.
Emmanuel Moïse Yves
Photo couverture: Adventist hospital
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