Presque toutes les armes, même celles importées illégalement, peuvent être légalisées en Haïti
Delmas 33 était déjà la scène régulière de braquages en 2020. Raison pour laquelle un de ses résidents, Ronal Cénet, cherchait à se procurer une arme à feu pour défendre sa famille en cas d’attaque.
Un proche met le professionnel en communication sur une piste : un policier vendeur d’armes, qui lui a par le passé vendu l’objet létal aussi appelé « zoulou ». « Je devais payer 2 000 dollars américains au policier pour une arme à feu de calibre neuf millimètres », se rappelle Cénet. Cette somme ne prend pas en compte les autres dépenses liées à la légalisation de l’arme.
Environ 500 000 armes illégales circulent dans le pays, selon les données fournies en novembre 2019 par Jean Rebel Dorcénat, un des responsables de la commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR). Près de 45 000 autres sont légalisés au niveau du Service de permis des armes à feu (SPAF), rapportait en décembre 2020 le commissaire Max Hilaire, responsable de cette section au niveau de la PNH.
La vente d’armes illégales par des policiers n’est un secret pour personne, confie un agent de la PNH sous couvert d’anonymat. Selon l’analyse de ce dernier, certains policiers, sans souci autre que le profit, vendent des armes qui finissent par atterrir dans les ghettos.
Au début de l’année, le policier Carl Steeven Félix longtemps soupçonné a été arrêté par la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) avec comme chef d’accusation : la vente d’armes et de munitions illégales.
À l’époque, l’actuel directeur départemental de l’ouest de la PNH, le commissaire divisionnaire Joël Casséus, était intervenu sur les ondes d’une radio de la capitale pour se démarquer des actions commises par son neveu, Félix. Le présumé vendeur d’armes aurait recouvré sa liberté, selon des rapports non vérifiés de façon indépendante par AyiboPost.
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D’importantes failles existent au niveau du Service de permis des armes à feu, selon les spécialistes. Reginald Delva est expert en sécurité, et ancien ministre de l’Intérieur. Il parle de complicité et de connivences pour expliquer ces problèmes. « Avant la vente d’une arme à feu récupérée par un policier, il se sert d’un complice au niveau du service de permis d’armes à feu (SPAF) pour vérifier si l’objet est déjà enregistré. »
En cas de non-enregistrement, l’arme est facilement vendable puisque le SPAF ne demande pas à son détenteur sa provenance ni son reçu d’achat. « Le détenteur a seulement besoin d’une lettre de demande d’autorisation d’achat de l’arme signée par le DG de la police pour réaliser les suivis. Normalement, il devrait avoir un permis d’importation, mais cette procédure n’est jamais respectée », explique l’expert en sécurité.
La non-demande du permis d’importation encourage le trafic. Tacite Toussaint, ancien secrétaire d’État à la sécurité publique, n’avait pas de documents sur la provenance de son arme ni le reçu d’achat lorsqu’il a sollicité auprès du SPAF un permis de port d’armes. Selon ses dires, il avait acheté l’objet létal auprès d’un ancien militaire.
La grande majorité des armes revendues par les policiers sont récupérées lors d’opérations policières, selon les informations obtenues par AyiboPost. Une quantité moins importante rentre clandestinement dans le pays, et des policiers sont chargés de les écouler sur le marché.
« Lorsque des présumés bandits sont tués lors d’échanges de tirs avec la police, leurs armes sont généralement récupérées par les agents sur place », raconte notre source.
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Un autre policier interviewé par AyiboPost confirme l’existence de cette pratique. Dans certains cas susceptibles d’être médiatisés, les policiers remettent les armes aux autorités pour ne pas subir des mesures conservatoires parce que la patrouille policière a tué un individu dans un contexte où les forces d’attaques n’étaient pas proportionnelles.
Dans ces cas, les armes sont récupérées par un juge de paix ou par le commissaire de police. « Arrivé à ce stade, on ne sait pratiquement rien sur la finalité de ces matériels », analyse notre source, bien au courant des pratiques au sein de la PNH.
Souvent, un bras de fer oppose la police et les juges pour la récupération des armes. Le 7 avril 2022, un présumé bandit a été abattu par les forces de l’ordre qui avaient déjoué une tentative de kidnapping à Lalue. Alors que les autres présumés kidnappeurs ont pris la fuite, deux armes à feu, un fusil d’assaut et un pistolet ont été retrouvés à bord de leur véhicule. Le juge de paix en question avait refusé de réaliser les constats puisque le commissaire était opposé à l’idée qu’il se déplace avec les armes.
Jean Frantz Ducas est un juge de paix affecté au niveau du tribunal de paix de la section est de Port-au-Prince. Il ne nie pas le fait que certains de ses collègues ont l’habitude de confisquer l’arme du crime après constat. Selon lui, cette pratique qui met en doute le travail de ses collègues n’est pas l’œuvre de juges de paix honnêtes.
Parallèlement, certains policiers transportent des armes factices pour pouvoir les échanger avec les vrais zoulous, bien avant l’arrivée des juges de paix sur les scènes de crimes, rapporte le juge.
« Parfois, les policiers supplient les juges pour pouvoir récupérer l’arme prétextant qu’ils vont l’utiliser pour combattre les cambrioleurs dans leurs quartiers », relate Ducas. Le juge dit faire souvent appel, dans ces genres de cas, à un investigateur de la DCPJ pour signer le constat et corroborer le fait qu’il avait vu et mentionné une arme dans son rapport.
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Le juge Ducas relate avoir reçu un appel de la DCPJ concernant la disparition d’une arme après une fouille réalisée chez un suspect cette année.
« La DCPJ m’avait informé qu’elle avait retrouvé parmi les documents saisis, la licence d’une arme à feu alors que l’objet n’a pas été physiquement retrouvé. J’ai donc demandé la convocation rapide des policiers qui étaient présents sur les lieux. Finalement, l’arme a été retrouvée aux mains d’un policier qui l’avait discrètement enlevé. La DCPJ a procédé à son arrestation », rapporte le juge.
Ces mêmes armes peuvent retomber dans le milieu du crime. C’est pour cela que Ronald Cénet de Delmas 33 avait abandonné le processus entamé pour avoir une arme à feu.
« Je ne voulais pas que l’arme soit identifiée, pendant les procédures de légalisation, comme ayant déjà appartenu à quelqu’un d’autre qui a commis des crimes en Haïti. “Li ka se yon zam ki cho” (Il peut être un arme dangereux) puisqu’on ne sait pas réellement sa provenance », déclare Cénet.
En principe, la procédure légale à adopter, en vertu du décret du 23 mai 1989 sur le contrôle des armes à feu et des munitions, exige que l’arme récupérée sur une scène de crime soit confisquée après le constat légal.
« La confiscation d’un arme par un individu autre que les autorités est une peine établie par la loi pénale haïtienne. Elle consiste à enlever la possession d’un objet déclaré illégal du patrimoine de l’individu », fait savoir l’avocat pénaliste, Frantz Gabriel Nerette.
La loi haïtienne admet que tout ce qui est saisi en tant que stupéfiant doit être détruit, peu importe sa valeur. Mais pour les armes, le terme défini par la loi est la confiscation. « Tout individu qui s’aviserait à remettre sur le marché des armes confisquées au cours d’opérations policières est en train de procéder au trafic d’armes. C’est une infraction criminelle au regard de la loi », ajoute l’homme de loi.
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Selon le professeur en droit pénal, tout détenteur d’armes illégales devrait être emmené par devant un tribunal correctionnel. « La confiscation doit être prononcée par un tribunal en attendant que l’objet obtienne une mesure provisoire permettant à un juge de le mettre comme pièce à conviction lors du procès », ajoute l’avocat.
Ces pièces à conviction sont généralement emportées lors des cas de cambriolages à répétition dans les tribunaux du pays. En guise de preuve, l’officier judiciaire utilise parfois sa propre arme ou l’arme de quelqu’un d’autre pour se présenter lors du procès. Me Nerette affirme avoir vécu une pareille situation lors du procès d’un de ses clients. Heureusement, il avait bien prêté attention au numéro de série de l’arme.
Pour l’avocat, le pays devrait avoir une réglementation claire qui détermine ce que l’institution policière doit faire avec les armes confisquées.
Selon les informations obtenues sur la page Facebook de l’institution policière, les armes confisquées sont détruites. La dernière annonce de cérémonie de destruction d’armes à feu retrouvées sur la page remonte au 17 juin 2019. Les tentatives d’AyiboPost pour entrer en contact avec le porte-parole de la PNH, Garry Desrosiers, n’ont pas porté fruit.
Couverture : Policier en entrainement. Photo de Army National Guard par Spc. Agustin Montanez
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