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Des paysans se demandent si le Coronavirus existe. Ces artistes et personnalités répondent.

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Haïti est à près de 4000 cas de contamination au Covid-19. Des citoyens vivant à Lafitte, La Saline, ou Canaan, ne savent pas grand-chose du virus et les dispositions de prise en charge de l’État haïtien sont presque inexistantes

La communication gouvernementale sur le nouveau Coronavirus est régulièrement critiquée pour son manque clarté et d’efficacité. Des institutions et personnalités de la société civile ont décidé de prendre le relai avec des initiatives citoyennes.

« Atis k ap bare kowona » (ABAKO) figure parmi les plus emblématiques. Lancée deux semaines après la déclaration de deux cas de Coronavirus en Haïti, le 19 mars 2020, la structure regroupe des personnalités du monde culturel haïtien. Ses membres, parmi lesquels l’on retrouve Jacques Adler Jean Pierre, Magalie Comeau Denis ou Rolando Étienne, rapportent des difficultés énormes à convaincre les gens de certaines localités que la maladie est bien réelle.

Jean Jean Roosevelt s’engage aussi dans la lutte. L’artiste offrit au public son tube Kowona dont le clip est sorti sur YouTube le 22 mars. Il entama des campagnes de sensibilisation dans les zones reculées, à Jérémie (Grande-Anse), sa ville natale. À Lafitte, une section communale, de la commune des Abricots, il fit des expériences presque similaires à ABAKO quant à la réception de son message.

«Au début, les gens ne croyaient pas que la maladie était présente dans le pays, affirme Jean Jean Roosevelt. Certains disaient que c’était une maladie des blancs, qu’elle vient du diable ou qu’il s’agit d’une [stratégie du gouvernement] pour faire de l’argent. Il y a des endroits où nous avons été les premières personnes à venir leur en parler, ils ne savaient rien du tout.»

Nègès Mawon, une organisation féministe, entama depuis le 28 mai 2020 ce même type d’initiative pour la journée internationale d’action pour la santé des femmes. L’institution se donne pour objectif de visiter une communauté par semaine durant six mois. Nègès Mawon cible principalement les femmes et les filles. Selon la structure, elles ne peuvent pas rester confinées puisqu’elles sont déjà désavantagées par les inégalités sociales en Haïti.

«Les communautés que nous avons visitées étaient, pour la plupart du temps, déjà ignorées par l’État [haïtien], révèle Pascales Solages, coordonnatrice de Nègès Mawon. Et avec le Coronavirus, dans ces communautés où nous avons travaillé, il n’y a aucun responsable de l’État qui était venu avant nous.»

Communication communautaire

Dans le contexte actuel, toute communication doit s’adapter aux différentes réalités locales. « La façon dont la sensibilisation se fait de manière globale à Port-au-Prince, à la radio ou sur les réseaux sociaux, ne convient pas aux gens des villes de province», analyse Jean Jean Roosevelt qui a passé plusieurs mois à sillonner la Grande-Anse.

La démarche de l’artiste repose sur « l’activation communautaire », un concept relativement nouveau dans l’approche de la participation communautaire. 

«“L’activation communautaire’ suppose que les populations des communautés s’organisent entre elles, en comité ou en organisation afin de participer dans “la santé”», explique Dr Junot Félix, spécialiste en système de santé. Les gens ne doivent pas uniquement «subir la santé» en recevant un vaccin, par exemple. «Il faut les impliquer dans la définition même des besoins, les stratégies de luttes, etc., pour leur permettre d’atteindre un bien-être.»

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À Jérémie et à Beaumont, Rolando Etienne fait savoir que des citoyens des « lakou’ dans des zones reculées s’organisent pour mettre des seaux d’eau pour laver leurs mains, comme à Port-au-Prince.

Pour Magalie Comeau Denis, comédienne et ancienne ministre de la Culture et de la communication en Haïti, les gens de ces localités se tournent vers la médecine traditionnelle, dans les péristyles, parce que bien avant la pandémie, c’était uniquement dans ces structures qu’ils trouvaient de l’aide.

Selon Denis, inclure les « médecins feuilles » dans la lutte contre le Covid-19 est plus que nécessaire dans le contexte socioculturel haïtien où une grande partie de la population reste rurale.

Crédibilité du porteur du message

L’activation communautaire contraste avec la stratégie du gouvernement haïtien qui semble limiter ses actions de communication et de sensibilisation massive aux conférences de presse, aux publications sur les réseaux sociaux et la diffusion de messages de sensibilisation à la radio ou la télévision.

«La population ne croit pas en ses dirigeants et le gouvernement ne peut pas rester à distance pour envoyer des communiqués», déplore le coordonnateur général du parti Aksyon pou konstwi yon Ayiti Òganize (AKAO). Le pays n’est pas réellement connecté, il y a des gens [habitant] loin à les Irois ou sur l’île de la Tortue.»

Pour Magalie Comeau Denis, si les gens sont sceptiques et ne changent pas de comportement par rapport au coronavirus, c’est parce qu’il est question de «crédibilité, de respect et de confiance». Ce sont des critères que «le porteur du message comme le message en lui-même doit remplir pour que l’information soit mieux reçue», déclare-t-elle.

La PNH impuissante

Dans les communautés en dehors des villes, les leaders de locaux peuvent être considérées comme des atouts. Contrairement à la police, ils sont mieux capables d’identifier les personnes qui ne respectent pas les gestes barrières lors des programmes de DJ ou en jouant aux dominos dans le quartier, par exemple, analyse Dr Junot Félix.

«Il y a certaines choses que même les journaux ne savent pas, renchérit le comédien Rolando Étienne. Dans nos visites, j’ai eu connaissance de “hougans’ décédés après avoir présenté des symptômes de coronavirus, ou qui acceptaient de prendre soin de gens ayant les symptômes de la maladie.»

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Un drame est d’ailleurs survenu à Martissant fin mai 2020. «Il y avait quelqu’un qui présentait les symptômes de coronavirus, et il en est mort, rapporte Rolando Etienne. Le MSPP n’a jamais accepté de venir enlever le cadavre sous prétexte qu’ils ne vont pas mettre les pieds dans un tel quartier. Le cadavre a été enlevé par une morgue privée, sans respect des consignes sanitaires, et la famille est harcelée dans le voisinage à cause de ce proche [probablement] victime [du Covid-19].»

Puisque les gens de ces communautés ont été déjà exclus notamment du système formel de la santé, ils ne savent pas où se trouvent les hôpitaux, comment ils fonctionnent ou encore les soins disponibles, illustre Dr Junot Félix. Mais ensemble, ils peuvent se réunir dans leurs quartiers pour discuter de leurs problèmes.

Actions menées au niveau communautaire

Depuis le lancement des activités de sensibilisation communautaires, ABAKO a réalisé trois missions et couvert huit départements géographiques du pays. Dans ces villes, la structure a visité la communauté vaudou, dans des lakou comme Badjo ou lakou Soukri. Les espaces réunissant beaucoup de jeunes, comme le groupe Atis rezistans ont aussi été touchés.

«Nous avons le souci de sensibiliser les leaders des communautés, comme les prédicateurs, les responsables de chapelles, les marchands de “borlette’, les “hougan’, […], expose Roosevelt au sujet de sa méthodologie appliquée sur le terrain. Nous prenons le soin de les rencontrer pour leur expliquer ce que c’est [le coronavirus]. Nous leur faisons cadeau de mégaphones afin qu’ils puissent continuer le travail de sensibilisation.» 

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Nègès Mawon, pour sa part, a concentré ses actions dans la zone métropolitaine et ses environs. L’organisation a été notamment à La Saline, Carrefour-feuilles, Canaan et des camps d’hébergement existants depuis le tremblement de terre de 2010.

Nègès Mawon a organisé des rencontres de sensibilisation en petits groupes pour respecter la distance de 1 min 50 s. L’institution a également distribué des kits de produits désinfectants et des masques. Une enquête sur la perception des gens sur la pandémie, l’accompagnement reçu et comment s’organise la vie en communauté a été organisé.

Hervia Dorsinville

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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