Justice

Des enfants abandonnés en prison en Haïti

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Le tribunal pour enfants de Port-au-Prince ne fonctionne plus depuis bientôt trois ans. 95 % des mineurs actuellement placés au Centre de réinsertion des mineurs en conflit avec la loi sont en « détention préventive prolongée »

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Le tribunal pour enfants de Port-au-Prince, le plus important des deux tribunaux pour enfants dans le pays, se retrouve paralysé depuis bientôt trois ans.

« Après un affrontement entre les gangs de la zone de Bel-Air où était logé le tribunal en octobre 2019, les fonctionnaires ne se pointaient au tribunal que pour signaler leur présence. Les portes du Tribunal sont définitivement fermées à partir de la mi-juin 2021 », informe le greffier Joël Joseph. Le professionnel travaille au tribunal depuis bientôt dix ans.

La police appréhende régulièrement des enfants, membres de gangs. Parfois, ces « soldats » en bas âge sont interviewés par les forces de l’ordre.

Selon une source à la Direction des Affaires pénitentiaires requérant l’anonymat pour des raisons de sécurité, des enfants continuent d’arriver au Centre de réinsertion des mineurs en conflit avec la loi (CERMICOL), devenu désormais un espace de détention préventive plutôt qu’une institution corrective.

« La semaine dernière, deux enfants sont arrivés au centre sans être jugés », informe la source dans une entrevue accordée à AyiboPost le 15 septembre 2022.

Selon l’article 50 du Code pénal, la détention préventive d’un mineur en conflit avec la loi ne peut-être qu’une décision de dernier recours.

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Cependant, sur 87 mineurs détenus au CERMICOL, seulement 4 sont des condamnés ayant déjà comparu devant un juge. Les 83 autres sont en privation préventive de liberté (« nan depo » dans les jargons du Centre).

Sur 87 mineurs détenus au CERMICOL, seulement 4 sont des condamnés ayant déjà comparu devant un juge.

Selon cette source de la direction de l’Administration pénitentiaire, proche du CERMICOL, bon nombre de ces mineurs sont retenus pour des infractions mineures pour lesquels ils ne devraient même pas être au Centre. D’autres n’y passeraient pas trois mois s’ils étaient jugés.

« À regarder les dossiers respectifs des détenus, bon nombre d’entre eux sont là pour de simples larcins, ou pour bagarres… Mais malheureusement, ils sont au Centre depuis quatre ans, cinq ans et même plus. »

La grande majorité de ces enfants proviennent de milieux défavorisés, avec des parents incapables de payer les frais d’un avocat. L’impact du sentiment d’injustice au CERMICOL et la récidive des mineurs incarcérés ne sont presque pas étudiés en Haïti.

Par exemple, pour un fait perpétré avant seize ans (âge de la majorité pénale), aucune peine ne devrait légalement dépasser l’époque où le prévenu aura atteint l’âge de 21 ans, selon le professeur d’université, Me Frantz Nerette.

Or, la population du CERMICOL compte beaucoup de détenus de plus de 21 ans. Depuis 2019, aucun jugement ne vient fixer la responsabilité de ces enfants en conflit avec la loi.

« On ne peut pas prendre la responsabilité de faire venir des mineurs pour les juger puisque le local n’est pas en sécurité », déclare le juge Gabard Antoine. Ce magistrat est principalement assigné aux dossiers d’adoption.

Cette situation ne semble pourtant pas inquiéter le ministère de la Justice. « Il ne nous est proposé aucune alternative », se plaint le greffier Joël Joseph. Selon l’officier, le Ministère pourrait essayer de trouver un autre local afin de remettre en marche les activités du tribunal.

Contacté par AyiboPost, le Directeur des Affaires judiciaires du ministère n’a pas réagi.

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