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De simples gestes peuvent aider à prévenir les tracas du cancer du col utérin

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Haïti n’a pas de données épidémiologiques sur le cancer du col utérin, mais les spécialistes interrogés rapportent qu’ils observent beaucoup de cas de cette pathologie dans le pays

La photojournaliste Édine Célestin avait 33 ans quand le papillomavirus humain (PVH) a commencé à se développer dans son corps.

Il existe plus d’une centaine de ce type de virus qui se transmet sexuellement même quand il n’y a pas de pénétration. Environ quatorze d’entre eux sont cancérogènes. Ils causent des cancers du pénis, de la gorge, du rectum et surtout du col de l’utérus.

Edine Célestin s’est rendue à l’hôpital à temps. Son partenaire avait des condylomes — sorte de verrue génitale — qui sont aussi transmis par le HPV, et l’avait conseillé de se rendre à l’hôpital.

« Effectivement, je portais déjà des lésions précancéreuses, déclare Célestin. Je n’avais pourtant aucun mal, je n’ai ressenti aucune douleur. Le médecin a fait une cryothérapie et j’ai été rétablie », se rappelle la photojournaliste.

« Si le PVH est détecté à temps, on peut éviter et même guérir le cancer du col de l’utérus qui est un tueur silencieux » selon le gynécologue Batsch Jean Jumeau, président de la Société haïtienne d’Obstétrique et de Gynécologie (SHOG).

Ce cancer peut prendre des dizaines d’années avant de se déclarer. « Souvent il est déjà trop tard quand une femme commence à avoir des pertes vaginales malodorantes, des rapports sexuels douloureux, des saignements vaginaux inexpliqués, qui sont entre autres les signes du cancer du col utérin », rapporte Batsch Jean Jumeau.

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En principe, trois ans après son premier rapport sexuel, une femme devrait aller faire un dépistage, continue l’expert. Il souligne qu’en général, c’est à 21 ans qu’une femme ayant déjà eu des rapports sexuels devrait faire son premier paptest qui consiste à analyser les cellules.

« On constate qu’avant cet âge, l’organisme humain peut éliminer le virus, dit le médecin. Mais il y a de jeunes filles de 18 ans qui ont déjà un cancer invasif au col de l’utérus. Il devient alors important de faire le dépistage avant l’âge de 21 ans si la jeune fille a eu des rapports sexuels prématurément. »

À côté des rapports sexuels précoces, il faut considérer d’autres facteurs importants comme le tabagisme, la pauvreté, la promiscuité, l’infection au VIH dans le cadre du cancer du col de l’utérus.

Dans certains pays, on administre le vaccin contre le papillomavirus humain aux enfants entre neuf et quatorze ans qui n’ont pas encore eu de rapports sexuels, et l’on observe une baisse considérable du cancer du col de l’utérus.

Jean Jumeau signale que le vaccin contre le PVH n’est pas encore dans le calendrier de vaccination du ministère haïtien de la Santé publique. « Nous n’avons pas encore les moyens pour payer ce vaccin, mais je sais que le ministère travaille dessus. Il y a des structures privées qui ont aussi la volonté d’instaurer ce vaccin ici en Haïti », révèle le président de la SHOG.

Les difficultés sont énormes

Beaucoup de femmes en Haïti auraient pu échapper au cancer du col utérin si elles étaient prises en charge à temps.

Souvent, elles n’ont ni les moyens ni les informations nécessaires pour prévenir la maladie. Même quand elles arrivent à entamer le processus à temps, certaines font face à d’énormes difficultés. Edine Célestin se rappelle avoir dépensé 3 000 gourdes pour une consultation chez le médecin, sans compter les frais des examens. Cela lui a pris six mois pour rassembler les moyens pour le traitement contre les cellules précancéreuses qu’elle avait déjà dans son col.

La situation est d’autant plus compliquée pour les femmes évoluant en milieu rural. Selon l’infirmière Danta Bien-Aimé qui a dirigé une clinique de dépistage du cancer du col utérin à Gonaïves, la majorité des échantillons prélevés pour les examens de Pap-test ou les biopsies doit être envoyées à Port-au-Prince. L’infirmière explique qu’il faut parfois attendre des mois avant d’avoir les résultats. « Ce qui donne à un éventuel cancer largement le temps de progresser. En période de crise politique, la situation est encore plus alarmante », avance-t-elle.

Une prise en charge coûteuse

 Haïti ne dispose pas assez de ressources pour une prise en charge complète du cancer du col, analyse Danta Bien-Aimé. Elle a une maîtrise en santé globale à Harvard Medical School.

Les méthodes de traitement, selon Bien-Aimé, sont extrêmement limitées. « Il n’existe pas de traitement par radiations en Haïti. Il n’existe pas non plus de programme national de vaccination contre les infections à Papillomavirus. Le manque criant de pathologistes qui jouent un rôle clé dans le diagnostic du cancer du col utérin vient aggraver le problème ».

Il existe plusieurs options de traitement du cancer du col de l’utérus, dépendamment du stade de la maladie, de l’âge de la personne, de son état de santé, de son désir de préserver sa fertilité. Ces options incluent principalement les interventions chirurgicales (hystérectomie, procédure d’excision électro chirurgicale en boucle), la radiothérapie et la chimiothérapie associées.

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Selon la spécialiste, le traitement du cancer du col peut être extrêmement coûteux dépendamment du stade auquel il a été détecté et de la structure de soin à laquelle la patiente s’est confiée.

« En Haïti, seules les interventions chirurgicales et la chimiothérapie sont disponibles. Chez nos voisins en République Dominicaine, hormis les frais de voyage et de logement, je sais qu’il fallait un minimum de 2 000 dollars américains pour une seule séance de radiothérapie (à noter que le traitement comporte une vingtaine de séances). »

Il faut au moins 30 000 gourdes pour une hystérectomie (seulement les frais opératoires, les autres soins ne sont pas couverts) dans une structure hospitalière semi-publique. Ce coût peut tripler facilement dans une structure privée, selon Danta Bien-Aimé.

L’importance de la prise en charge psychosociale

En Haïti certaines femmes sont délaissées par leurs conjoints à cause du cancer du col de l’utérus. D’autres doivent laisser leur emploi, leurs familles pour poursuivre un traitement (parfois à l’extérieur du pays).

« Le cancer du col utérin affecte l’un des organes les plus intimes de la femme. Au fur et à mesure que la maladie progresse, les pertes vaginales malodorantes peuvent devenir insupportables, dit l’infirmière Danta Bien-Aimé. Certaines doivent se faire à l’idée de perdre leur capacité d’enfanter ou de se voir dépourvue d’un organe de leur corps. »

Tout cela peut, selon l’infirmière, entraîner une grande détresse émotionnelle. La prise en charge psychosociale de la patiente, ainsi que l’accompagnement des proches sont deux volets extrêmement importants dans le traitement de la charge du cancer du col utérin.

Les experts encouragent les femmes qui ont déjà eu un rapport sexuel d’aller faire un dépistage à temps. Plus le cancer est détecté tardivement, plus le traitement est couteux et la femme peut ne pas sortir vivante.

Pour sa part, Edine Célestin croit que le partenaire a aussi pour responsabilité d’informer l’autre de l’état de sa santé sexuelle. « Si mon partenaire ne m’avait pas confié qu’il avait des condylomes, je n’aurais pas fait le traitement à temps » témoigne celle qui dit être en bonne santé aujourd’hui. Depuis environ un an, son dernier pap test a révélé que tout était bien.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, le cancer du col de l’utérus est le quatrième cancer le plus courant chez la femme dans le monde. L’OMS constate que la majorité des décès dus à ce cancer proviennent des pays à faible et intermédiaire revenu.

La prévention du cancer du col de l’utérus en tant que problème de santé publique, ne devrait pas s’inscrire uniquement dans une démarche individuelle. Selon les spécialistes, l’État devrait faire des campagnes de prévention contre le cancer du col pour sauver le plus de femmes que possible.

Laura Louis

Photo de couverture: uicc.org

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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