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Covid-19: Un spécialiste répond aux questions des fumeurs

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Le Directeur médical de l’Hôpital sanatorium, Dr Jean Ardouin Esther Louis-Charles, égrène les risques encourus par les fumeurs

 «J’ai commencé à fumer la marijuana fin 2014, début 2015. Au début, je fumais occasionnellement, mais maintenant, c’est rare que je passe plus d’une journée sans rouler un joint. »  – Charles

«C’est durant les programmes de DJ à l’école secondaire que j’ai débuté avec la cigarette. À l’époque, je n’avais que 13 ans. Aujourd’hui, j’essaie de contrôler mon addiction.» – Joséphine

«Cela fait plus de 10 ans maintenant que je fume régulièrement. Avant, c’était la cigarette, mais j’ai arrêté en 2011. Depuis, j’ai développé une addiction à la marijuana. Je la prends sous toutes les formes, thé, légumes, et autres.» – Bruno

Environ 17 % des Haïtiens ont fumé du tabac et 6 % de la marijuana au moins une fois, selon une étude de la Commission nationale de Lutte contre la Drogue (CONALD) sortie en 2019.

Avec la pandémie du COVID-19, les fumeurs du pays s’inquiètent des complications que peut entraîner la consommation de ces substances, car le virus attaque particulièrement les poumons.

Des recherches menées en Chine sur 55 924 patients montrent un lien entre le tabagisme et le risque de développement d’une forme plus sévère de Coronavirus. Ces personnes sont plus enclines à afficher des formes sévères de la maladie. Généralement, ces patients doivent passer en réanimation ou meurent.

Une autre enquête des Chinois parle même de 12 % des fumeurs souffrant des formes extrêmes de la maladie contre 5 % des non-fumeurs.

Charles, Joséphine et Bruno sont des fumeurs réguliers haïtiens. Ils ont soumis à Ayibopost une liste de questions que nous avons adressées au pneumologue Jean Ardouin Esther Louis-Charles. L’interview a été traduite en français et condensée.

Les fumeurs et les non-fumeurs sont-ils égaux devant le Covid-19?

Non, parce que les personnes qui fument ont déjà un terrain favorable au Coronavirus.

Lorsqu’une personne fume beaucoup, ses bronches s’enflent et ses poumons sont endommagés par la fumée.

Parce que les bronches doivent éliminer de temps en temps des corps étrangers, ils sont tapissés de cils vibratiles qui sont de minuscules poils fonctionnant comme des balais qui expulsent les poussières, le mucus, les microbes et autres agents pathogènes à l’extérieur des poumons.

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La fumée accroît les risques d’infections respiratoires en altérant la structure même des bronches avec ses cils et ses muqueuses.

Et lorsque le virus se dépose tout doucement sur les bronches d’un fumeur, il ne trouvera aucun obstacle pour l’empêcher de descendre plus bas vers les poumons et faire encore plus de dégâts. Le fumeur perd dans sa capacité à faire ce travail de protection à cause de la fumée au contraire d’un non-fumeur.

Et puisque le fumeur est déjà en faiblesse, le Coronavirus va l’attaquer encore plus sévèrement qu’une personne qui ne fume pas. Ce qui fait que les non-fumeurs, avec des poumons et des bronches en meilleure santé, peuvent mieux faire face au virus.

Est-ce que les fumeurs sont plus à risque de développer des formes graves de COVID-19?

Lorsqu’une personne tombe malade du Coronavirus, elle souffre alors d’une réaction inflammatoire de ses poumons qui essaient de circonscrire ou d’envelopper le virus pour l’empêcher d’aller plus loin. Mais quand le fumeur a des bronches et des poumons endommagés — avec peu d’immunoglobuline dans le sang — le virus peut sans entrave se multiplier dans son organisme après sa contamination.

C’est alors que le fumeur pourra développer des complications qui sont des formes graves du Coronavirus, qui pourront occasionner sa mort. Par exemple, la maladie peut causer la bronchite chronique. Son appellation scientifique est : broncho-pneumopathie chronique obstructive.

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Le tissu pulmonaire, ce qu’on appelle vulgairement la viande du poumon, peut être très fragilisé où il peut s’enfler facilement. De ce fait, il ne peut ne pas tenir face aux attaques du virus. Ainsi, le fumeur peut plus facilement souffrir d’une pneumonie face au Coronavirus, qu’un non-fumeur.

Définitivement, ils sont des personnes à risque au même titre que les personnes âgées ou ceux qui souffrent d’hypertension, du cancer ou d’autres maladies chroniques.

En termes de risques dans ce contexte, y a-t-il une différence entre une personne qui fume la cigarette, la marijuana ou la «shisha»?

Avec ses 4 000 produits [différents], c’est sûr que la cigarette a plus de produits qui vont déranger le poumon que la marijuana ou la « shisha ».

Les [substances de la cigarette] les plus dangereuses sont la nicotine, le goudron, le benzène, le formaldéhyde, l’acide cyanhydrique et le monoxyde de carbone. Et parmi elles, il y en a qui sont cancérigènes et vont irriter les différentes parties de l’appareil respiratoire du fumeur.

La cigarette dépasse de loin la marijuana et la « Shisha » par rapport aux dégâts qu’elle peut causer dans les bronches et dans les poumons. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que tous ces produits sont des corps étrangers dans l’organisme. La marijuana et la « shisha » sont également désagréables, car elles affectent aussi l’appareil respiratoire et les tissus des poumons.

Pour cela, les fumeurs de marijuana et de la « Shisha » sont également à risque.

Qu’en est-il de la prise de tabac par le nez?

Puisque les grains de tabac sont considérablement plus gros que les particules présentes dans la fumée de la cigarette, ils ne descendent pas facilement vers les bronches de la personne. Mais, ils peuvent causer des soucis au niveau des narines.

Toutes ces pratiques sont donc mauvaises parce qu’elles fragilisent l’organisme lors d’une infection au COVID-19.

Certains spécialistes parlent de changement de comportement de la part des fumeurs en signe de prévention contre les complications liées au COVID-19. Est-ce que cela fera vraiment une différence si une personne décide d’arrêter de fumer uniquement durant de la crise, en faisant un sevrage volontaire?

Oh oui ! Dès que la personne arrête de fumer, c’est un point positif. L’organisme n’aura pas deux corps étrangers, la fumée et le virus, qui l’attaquent en même temps.

Dès que la personne arrête de fumer, c’est un point positif.

Si une personne a le Coronavirus et qu’elle continue de fumer, c’est presque un acte suicidaire, parce que les dégâts seront considérables dans les poumons.

Donc, c’est une très bonne chose si une personne décide d’arrêter de fumer bien avant d’avoir été contaminée par le Coronavirus. De cette façon, ses bronches seront au repos, leurs conditions pourront commencer à s’améliorer.

Y a-t-il une différence entre une personne qui fume régulièrement depuis 10 ans et une autre personne qui fume occasionnellement depuis quelques années?

Oui, cela peut faire une différence, parce que les bronches de la personne qui a arrêté de fumer après un certain temps sont tentées de revenir presque comme avant.

Et de toute façon, les bronches d’une personne qui fume longtemps, comparés à ceux d’une personne qui n’a que quelques années [de pratique], ne sont pas les mêmes.

Est-ce que la fumée expirée par les fumeurs et parfois la toux qui vient avec, peuvent contaminer les fumeurs passifs avec le COVID-19?

Évidemment, si vous fumez en étant infecté, la fumée va irriter vos bronches et provoquer la toux. Il peut avoir des postillons contaminés rejetés dans l’air vous environnant.

Également, même la fumée expirée de vos poumons peut être contaminée. C’est encore pire si vous toussez ou éternuez.

Ce n’est pas sans raison que l’on exige les deux mètres de distance. Même lorsque vous parlez, vous pouvez contaminer une autre personne. Encore plus lorsque vous fumez en groupe, dans un espace réduit, puisque vous expirez un peu de vapeur d’eau de salive ou du liquide provenant de vos poumons.

Hervia Dorsinville

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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